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Le Quotidien d’Oran, jeudi 4 octobre 2018
Akram Belkaïd, Paris
Il y a un an, une vague de
« tourismophobie » s’est abattue sur la ville de Barcelone (mais
aussi à Valence et aux Baléares). Enclenchée par un mouvement de jeunesse
d’extrême-gauche, la protestation entendait mettre fin à la déferlante de
touristes, un rush incessant favorisé par le développement du transport aérien
à bas coût. L’une des actions parmi les plus spectaculaires fut « l’attaque »
d’un bus touristique dont les pneus furent crevés et sur lequel des mains
vengeresses inscrivirent « le
tourisme tue les quartiers ». Cet été, le phénomène s’est renouvelé,
les habitants de la ville catalane n’en pouvant plus de ces grappes humaines –
souvent désargentées et très alcoolisées - qui déambulent sans fin sur la
Rambla.
Et les malheurs de « Barna » (l’un
des surnoms de la ville) ne sont pas terminés. En effet, un autre touriste y a
débarqué avec pour objectif de devenir son maire au terme de l’élection
municipale du 29 mai prochain. Il s’agit, on l’aura deviné, de Manuel Valls,
ancien ministre français de l’intérieur, ancien premier ministre et ancien
député de la première circonscription de l’Essonne (le neuf-un). D’homme d’Etat
français, voici donc l’ancien maire d’Evry devenu homme politique espagnol. En
théorie, c’est une belle histoire. Elle illustre le fait que l’Europe est une
chose concrète et qu’il est possible, en 2018, d’avoir une identité multiple
qui permet de traverser les frontières du vieux continent.
Bien entendu, concernant ce triste individu,
l’affaire est tout autre. Il y a d’abord le fait le plus emblématique d’une
certaine France, celle du copinage et des magouilles. Tout à son travail
d’approche et de séduction à Barcelone – il y a même trouvé une nouvelle âme
sœur, aussi riche qu’influente – le député n’a pratiquement jamais siégé à
l’Assemblée française (quatre jours à peine, selon des statistiques
officieuses). Autrement dit, l’homme a été payé à ne rien faire. Il n’a pas non
plus été vu dans « sa » circonscription où, rappelons-le, son
élection a été contestée par ses adversaires qui ont dénoncé des irrégularités.
Tout ça pour ça… On pourrait résumer l’affaire ainsi : se faire élire par
des pigeons, prendre le pognon et aller se refaire une carrière à la cité comtale, l’autre surnom de
Barcelone.
Ce qui est frappant dans cette affaire, c’est
que cette tentative de parachutage n’indigne qu’une partie de la classe
politique. Un tel comportement devrait provoquer de sérieuses mises en cause,
des blâmes. Comment, en agissant ainsi, ne pas convaincre des milliers
d’électeurs que la politique a quelque chose de pourri ? Qu’elle est au
service des intérêts personnels et certainement pas en faveur de la
collectivité. On reste confondu par une telle vergogne, un tel toupet. Plus
c’est gros, et plus ça passe. Se faire élire en promettant (cf. le programme
électoral de l’intéressé) de défendre les intérêts de ses administrés et
décamper à la première occasion… Belle morale. Et tout aussi choquante est la
« standing ovation » dont a bénéficié Valls à l’Assemblée. Bien sûr,
il y a eu quelques pancartes « bon débarras » de brandies mais les
médias lourds ont plus insisté sur les applaudissements. Des images qui seront
certainement exploitées lors de la campagne électorale.
Au-delà de cela, Manuel Valls restera comme
l’homme qui a symbolisé jusqu’à la caricature la dérive droitière d’une partie
de la « gauche » française dite « socialiste ». C’est avec
lui, et comme jamais auparavant dans sa famille politique, que s’est libéré le
propos stigmatisant les musulmans, de façon particulière, et les étrangers
(venus du Sud) en général. Valls n’a eu de cesse de courir derrière les idées
du Front national et de surfer sur l’air du temps sécuritaire. Dans un contexte
marqué par le choc engendré par les multiples attentats de 2015 et 2016, il a
essayé de camper la posture de l’homme fort et autoritaire, le Clemenceau qu’il
n’a jamais été et qu’il ne pourra jamais être. Je n’oublie pas non plus qu’il
est celui qui, se disant solidaire des Palestiniens, réclamait au milieu des
années 2000 la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et
Israël. On connaît la suite, et ce soudain volte-face de celui qui s’est dit
« éternellement » lié à l’Etat hébreu…
Une image s’impose : une femme, militante
socialiste, qui lui dit, d’une voix respectueuse : « Monsieur
Valls, on ne veut pas de la loi Khomri » (loi réformant la législation sur
le travail). Et lui de répondre, sans même la regarder, serrant d’autres mains
qui se tendaient : « Hé ben, vous l’aurez quand même ». Et
comment l’ont-ils eue ? Par le fameux 49-3, disposition permettant au
gouvernement d’imposer des lois sans passer par l’Assemblée. Démocratie ?
Lâchez quelques Valls dans la nature en temps de crise et vous aurez un 18
Brumaire…
Autre souvenir. Ce propos tenu en Tunisie à
l’été 2013 où il encouragea les Tunisiens à faire barrage coûte que coûte à
Ennahda sans même réfléchir aux conséquences de sa déclaration dans un pays au
bord de l’affrontement civil entre islamistes et « laïcs ». Et que
dire du jour où, en 2016 et toujours en Tunisie, il fit rire l’assistance avec
ces mots : « je viens de rencontrer le président de la République, BCE
comme on dit ici : Béji… Caied… Ezzibi [au lieu de Essebsi] ». Le manque de
respect, le mépris implicite de celui qui ne prend même pas la peine, quelques
minutes avant, de bien mémoriser le nom de son interlocuteur… Tout est dit, ou
presque avec cette anecdote où le patronyme d’un président n’est pas simplement
mal prononcé mais où il est, aussi et surtout, écorché de manière à désigner un
phallus…
Rien ne dit que Manuel Valls sera élu maire de
Barcelone. L’éthique et la morale dicteraient qu’il soit battu à plate-couture
(on attendra alors avec intérêt l’annonce de son futur point de chute). Si tel
n’est pas le cas, s’il devient alcalde, alors on pourra dire que Barcelone est
vraiment la ville des prodiges, pour
reprendre le titre du roman d’Eduardo Mendoza.
Addenda : Voici, à ce propos, un extrait
d’un livre de David Mc Neil (Angie ou les
douze mesures d’un blues, Gallimard, 2007).
« Carpetbagger »
« Avant
1900, le mot ‘‘carpetbagger’’ voulait dire ‘‘vagabond’’, ça désignant les types
qui comme moi aujourd’hui trimbalaient leurs affaires dans des sacs en tapis.
Par la suite, aux États-Unis, on a nommé ainsi tous les aventuriers qui
venaient du Nord pendant la période de la ‘‘Reconstruction’’, c’est-à-dire
juste après la guerre de Sécession, ils venaient acheter ou louer à bas prix
des terres dans le Sud ruiné par la défaite. Maintenant, ce mot est toujours
employé, mais plus de façon aussi péjorative : qu’un politicien change de
ville ou d’État pour se faire élire ailleurs que chez lui, c’est un
‘‘carpetbagger’’ »
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