Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

jeudi 8 août 2019

La chronique du blédard : Après le foot, la politique

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 25 juillet 2019
Akram Belkaïd, Paris

Le sacre africain de l’équipe algérienne de football amène à plusieurs commentaires. Le premier d’entre eux est d’ordre subjectif mais il sera certainement partagé par nombre d’amateurs du ballon rond. Grâce à sa victoire acquise en territoire étranger, l’Algérie est désormais un « vrai » champion d’Afrique. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de dévaloriser la victoire de 1990 – ce grand moment de joie avant la nuit des années 1990. Mais ce fut un titre acquis à Alger et l’on sait que les victoires à domicile sont toujours accompagnées d’un « oui mais ». Bien sûr, et l’exemple de l’Égypte défaite chez elle le montre bien, organiser une compétition ne signifie pas qu’on va l’emporter à coup sûr. Mais, dans le même temps, gagner une finale chez soi, devant son public et ses officiels, est jugé normal. Au passage, on ne boudera donc pas notre plaisir en imaginant le désagrément provoqué par une telle victoire chez les officiels égyptiens…

Les deux commentaires qui suivent sont d’ordre sportif. D’abord, avec la finale contre le Sénégal, l’Algérie a démontré une nouvelle fois les dangers d’inscrire un but trop tôt. Le football a certaines règles non-écrites dont l’une veut qu’une équipe peut perdre une partie de ses moyens si la victoire lui ouvre rapidement ses bras. Dans l’histoire de ce sport, on peut citer maints exemple d’un favori battu parce qu’ayant marqué dès les premières minutes (Les Pays-Bas en finale de la Coupe du monde en 1974). C’est toute la problématique de faire la course en tête alors qu’il est souvent plus motivant, et plus simple, d’assurer la poursuite (le cyclisme et la moto confirment aussi cette règle). Ensuite, on insistera sur le grand état de fatigue des joueurs. Cela pose d’ailleurs la question du statut de la Coupe d’Afrique des nations (CAN). En janvier, les concernés sont en meilleure forme physique mais leurs clubs rechignent à les libérer. En fin de saison, ils sont épuisés et leur niveau de jeu s’en ressent. On ajoutera aussi qu’il n’est pas certain qu’organiser une CAN tous les deux ans soit une bonne idée. L’argument avancé est que cela aide le football africain à progresser. En réalité, on se rend bien compte que rares sont désormais les pays disposant de l’assise financière et des infrastructures pour bien accueillir cette compétition qui succombe, elle aussi, au gigantisme en portant à vingt-quatre le nombre de qualifiés.

Venons-en maintenant à une lecture plus politique des choses. Cette équipe algérienne qui vient d’entrer dans l’histoire est composée d’une majorité de joueurs nés et formés en France. La plupart d’entre-eux sont des binationaux. C’était déjà le cas lors des coupes du monde 2010 et 2014 et la question avait déjà été abordée. Une victoire pour l’équipe nationale et les intéressés sont des héros. Une défaite ou une élimination peu glorieuse, et les voici transformés en parias accusés de mercenariat. On rappellera surtout que la Constitution algérienne, amendée sous Abdelaziz Bouteflika, interdit à tout binational d’occuper un certain nombre de postes à hautes responsabilités. Loué pour sa science tactique et son savoir-faire en tant que meneur d’hommes, l’entraîneur Djamel Belmadi ne peut pas devenir président de la République comme le réclament certains fans et certains montages photographiques partagés sur les réseaux sociaux. Certes, l’Algérie a toujours été très prudente à l’égard de ses communautés vivant à l’étranger. Mais l’histoire retiendra que c’est sous Bouteflika qu’une nouvelle discrimination entre citoyens a été créée. La victoire de l’EN changera-t-elle les choses ? Ce n’est pas certain.

Autre commentaire d’ordre politique. Comme nombre de téléspectateurs, j’ai été très étonnée de voir un officier supérieur algérien descendre sur la pelouse du stade olympique du Caire au moment de la remise des trophées. Le plus souvent, les attachés de défense sont des personnages discrets qui s’en tiennent à un strict respect du protocole (lequel leur permet d’apparaître en uniforme en certaines occasions comme les réceptions diplomatiques). En ces temps de Hirak où les Algériennes et les Algériens défilent aux cris de « État civil et non militaire », ces images d’un homme en uniforme congratulant les joueurs semblaient asséner le contraire en affirmant la prééminence des militaires sur tout ce qui touche à l’Algérie. Des amis occidentaux, peu au fait des questions géopolitiques mais passionnés de football, y ont vu la confirmation d’une idée bien ancrée dans leurs esprits selon laquelle les militaires tiennent tout en Algérie, y compris le sport…

Tout cela nous amène à la situation actuelle. Entre le 16 mars 1990 et le 19 juillet 2019, l’Algérie a connu une longue traversée du désert footballistique (on ne peut pas estimer qu’une qualification en Coupe du monde est une « victoire »). Durant ces vingt-neuf années, le pays n’a guère connu de transformations positives sur le plan politique. Bien au contraire, toutes les affaires de justice qui font actuellement l’actualité démontrent à quel point il a régressé. Être un « vrai » champion d’Afrique, c’est bien, cela fait « plizir », mais ce n’est pas le plus important. Le football est là pour nous donner des joies, des fiertés et des émotions. Mais il ne nous fera jamais perdre de vue l’essentiel. C’est sur le plan politique que l’Algérie a un besoin urgent de victoires et de changements majeurs.

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