Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 20 février 2015

La chronique du blédard : Irisées

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 18 février 2015
Akram Belkaïd, Paris
 
Partir du sud, de Tunis, Alger, Oran ou Casablanca, en direction du nord. En hiver, toujours s’arranger pour prendre un vol de fin d’après-midi. A l’enregistrement, demander, insister s’il le faut, un siège à côté du hublot mais, attention, il faut préciser que l’endroit souhaité, exigé, doit être à la gauche de l’appareil, de préférence vers l’arrière. Rang trente, place A, c’est parfait. S’installer et patienter. Quel que soit le temps qui fait au sol, la promesse d’un enchantement est là. Attendre que passent le décollage, l’ascension, les premiers virages. Se détendre, ne pas chercher à repérer tel ou tel monument, tel quartier, telle mosquée ou basilique. Ce n’est pas le plus important.
 
Voilà, l’avion a percé l’épaisse couche, gris-noir à l’entrée, immaculée à la sortie. Stabilisation, derniers bruits de vérins, signal lumineux qui s’éteint. Se couper du monde environnant, écouteurs bien vissés dans l’oreille, du Floyd, ou du Tangerine, qui tourne en boucle. A l’ouest, le soleil semble encore brûler de mille feux. Cela ne va pas durer. En bas, c’est une étrange banquise qui s’étend à perte de vue. Des affaissements troublent parfois sa planitude moutonneuse. Des crevasses la parcourent, se croisent, s’éloignent les unes des autres, se retrouvent en de larges canyons aux lits sombres. Des questions d’enfant reviennent à l’esprit. Peut-on marcher sur les nuages ? Ou alors sauter de ces hautes falaises, marchepieds pour géants invisibles habitués à escalader les cieux, pour atterrir sans heurts ni dommages sur un tapis d’ouate ?


 
Au loin, là où les rayons de l’astre commencent à faiblir, un monticule s’est formé. On dirait un chapeau de cowboy posé sur le sable. L’esprit reprend ses divagations. Il entraîne en Arizona puis au Sinaï ou encore dans les montagnes du Musandam omanais. Il va partout où le rouge domine la rencontre de la terre et de la lumière. L’œil capte ensuite une grosse trainée noire qui, perpendiculaire à la course de l’avion, file d’est vers l’ouest. C’est le sillage d’un autre appareil, dont le passage remonte à quelques minutes. Nouvelles réflexions. L’aviation a-t-elle vraiment détraqué le climat ? Tous ces résidus de masses d’air aspirées, brûlées avec du kérosène, rejetées dans l’atmosphère, qui peut jurer qu’ils sont inoffensifs ? Qui peut savoir quel est leur effet réel ? Rires intérieurs en pensant aux adeptes de la théorie des « chemtrails », des gens pour qui cette condensation n’est rien d’autre que la preuve matérielle démontrant que les gouvernements répandent délibérément des produits chimiques en haute altitude pour je ne sais quel but obscur dont celui de rendre idiots les peuples. Le complot, toujours et encore…
 
L’avion file maintenant à fleur de nuages. C’est une crème onctueuse, des œufs battus en neige. Tout est si proche, si net. Non, merci, pas de repas pour moi. Oui, juste un verre d’eau et qu’on me laisse tranquille. A quoi correspondent ces multiples puits noirs ? Quelles perceuses les ont forés ? Descendent-ils jusqu’au sol ? Sont-ils empruntés par les habitants des cirrus qui nous rendent parfois visite ? Parfois, des trouées laissent apparaître le spectacle d’un peu plus bas. La mer, la vraie, mélange de bleu et de turquoise. Du brouillard aussi que l’on devine gorgé d’eau. Tout cela, avec quelques turbulences en prime, menace de gâcher la rêverie. Il faut relever la tête et regarder au loin, vers l’ouest, à dix heures dirait un navigateur à son pilote.
 

 
Le clou du spectacle a commencé. C’est l’heure des derniers flamboiements. Le disque solaire lutte pour ne pas sombrer dans les sables mouvants qui l’aspirent. Le voici qui refait surface, encore vaillant, projetant ses pâles irisées jusqu’à la carlingue. Puis de nouvelles masses nuageuses le découpent, formant d’étranges caractères, un mélange de chinois et d’hébreu. Apparaissent ensuite deux longs sabres japonais que l’on dirait fichés horizontalement dans une immense orange. Tout est si net, tout paraît si propre. Il n’y a ni halos poisseux ni volutes jaunâtres. La pollution des villes semble si loin.
 
Un point noir apparaît à onze heures. Il croise à grand vent. Un autre avion de ligne qui s’en va vers le sud. Le Maghreb, peut-être, ou alors au-delà du Sahara. Sa vitesse est impressionnante. Question, la nôtre est-elle la même ? Pourquoi ne ressentons-nous rien ? Pourquoi avons-nous l’impression que le chariot qui débarrasse les restes de repas va plus vite ? Mystère de la physique. Repère absolu, repère relatif… Autre interrogation souvent posée aux compagnons de voyage. Quelle est la vitesse réelle d’une mouche qui vole à l’intérieur d’un avion lancé à 820 kilomètres-heure ?
 


 
Le soleil a encore perdu sa partie quotidienne. Les derniers instants de son combat sont les plus féériques. La boule incandescente n’est plus qu’une minuscule circonférence, le dard d’un laser qui continue de se jouer des nuages lesquels affichent désormais toutes les teintes du bleu. Le crépuscule ne s’est pas encore installé, du moins pas à l’ouest car il règne depuis longtemps à la droite de l’appareil. Vient une autre question fondamentale. A quel endroit exactement se trouve la séparation géographie entre le jour et la nuit ou alors à quelle vitesse faut-il filer d’est en ouest pour ne jamais être rattrapé par l’obscurité ? Mais c’est terminé. L’avion semble ralentir, signe d’un passage du pilotage automatique à l’approche manuelle. Dans quelques minutes, on verra les lumières de la ville. Surgit alors une étrange sensation, mélange de soulagement et de mélancolie face à ces milliers de points jaunes, certains fixes, d’autres pas. Autant de vies, autant de mystères...

 

 

 
 
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La chronique du blédard : De l’impôt et de la criminalité en col-blanc

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 11 février 2015
Akram Belkaïd, Paris
 
Payer ses impôts n’est pas un geste naturel. Un acte de ceux que l’on admet aisément. Il n’est pas facile d’accepter l’idée de devoir céder une partie de ses revenus surtout quand une petite voix nous chuchote que cet argent va payer, entre autres, le salaire d’élus indélicats, de fonctionnaires incompétents (clin d’œil à celles et ceux qui galèrent avec Pôle-emploi) ou même de journalistes du service public dont le propos et le parti-pris néolibéral agacent de bon matin. Pas facile non plus quand on lit – démarche masochiste – le rapport annuel de la Cour des comptes où sont compilés un nombre impressionnant de gaspillages d’argent public. Pour autant, s’arrêter à cela serait faire preuve d’une grande incivilité. C’est un fait. Payer ses impôts est un engagement civique. Une nécessité au nom de la solidarité nationale voire au nom du patriotisme. Ecoles, routes, hôpitaux, installations éducatives, tout cela exige que chaque citoyen paie son écot. Bien entendu, cela vaut aussi pour les entreprises. Pour toutes les entreprises. Cela peut irriter, cela peut paraître injuste, mais on n’a pas encore trouvé d’autres moyens pour financer le fonctionnement de l’Etat et la réalisation d’infrastructures utiles au bien-être commun (et que l’on ne vienne pas me parler des partenariats public-privé qui ne sont qu’une vaste fumisterie…).
 
On peut juger de la modernité d’un pays à la manière dont est organisé son système fiscal. Et, dans ce type d’approche, on a souvent opposé le « bon fonctionnement » des pays développés, censés être parfaitement organisés pour ce qui est de la levée de l’impôt, à celui des autres nations, notamment africaines, où l’importance du secteur informel empêche toute politique fiscale équitable. Pour ces dernières, l’impôt est d’ailleurs souvent un moyen de coercition destiné à mettre au pas les récalcitrants sur le plan politique ou ceux qui refusent de payer dîmes et pots-de-vin. Mais de récents événements sont en train de modifier la manière dont est appréhendée cette question. Au nord, chez les « riches », dans un contexte où les classes moyennes mais aussi les petites et moyennes entreprises (PME) n’ont pratiquement aucune marge de manœuvre face aux fourches caudines de l’administration fiscale, on sait désormais que l’égalité devant l’impôt est un immense leurre. Il y a d’abord le fait que de nombreux pays européens n’hésitent pas à détourner, car c’est le mot, une partie des recettes fiscales de leurs voisins. L’affaire dite du Luxleaks l’a bien montré. Pendant des années, et aujourd’hui encore, le Luxembourg, membre fondateur de l’Union européenne (UE), a encouragé des entreprises à se domicilier sur son sol pour payer un minimum d’impôts privant ainsi ses partenaires européens ou transatlantiques d’importantes ressources financières. Et cela dans un contexte mondial où l’on ne cesse de parler d’austérité, de diminution des dépenses publiques et de retrait des Etats de la sphère socio-économiques. Bien entendu, le Luxembourg n’est pas le seul à pratiquer ce petit jeu maléfique. Outre la multitude de paradis fiscaux qui continuent de prospérer malgré les discours récurrents annonçant leur mise au pas, des pays comme la Grande-Bretagne, la Belgique, les Pays-Bas ou l’Irlande pratiquent aussi la compétition fiscale.
 
Ensuite, le récent scandale de la filiale suisse d’HSBC est lui aussi de nature à remettre en cause la perception de l’impôt en Europe. Des milliards de dollars en provenance de plusieurs pays, y compris du Maghreb et d’Algérie, ont été soustraits au Trésor public. Si l’on part du principe que cette activité est aussi le fait d’autres banques (on ne voit pas pourquoi il en serait autrement) et si l’on ajoute à cela les centaines de milliards de dollars de recettes fiscales qui disparaissent grâce à « l’optimisation fiscale » - autrement dit une fraude légale – on atteint des montants faramineux. Chaque année dans le monde, entre 2000 et 3000 milliards de dollars échapperaient ainsi aux caisses des Etats lesquels n’ont d’autre alternative que de pressurer ceux qui n’ont pas les moyens d’échapper à l’impôt. Cette situation est d’une gravité extrême. L’évasion fiscale et le manque à gagner qu’elle engendre, minent la cohésion de sociétés déjà fragilisée par le chômage et les inégalités. La question est aussi importante, sinon plus, que le terrorisme et la criminalité organisée. Pourtant cela ne déclenche guère de réactions gouvernementales. Jusqu’à quand des Etats mais aussi des établissements financiers vont-ils continuer à capter les ressources qui devraient légitimement revenir à d’autres nations ? Jusqu’à quand de grandes entreprises vont-elles exceller dans la capacité à ne payer aucun impôt dans des pays où, pourtant, elles réalisent d’importants bénéfices ? Tout cela mériterait un grand sommet mondial. Tout cela mériterait une mobilisation générale et des discours politiques s’engageant à mettre fin à cette immense duplicité qui fait que les grands perdants de l’obligation fiscale sont les classes moyennes et les PME.
 
Ce silence connivent et cette inaction malgré la multiplication des scandales interpellent. Cela témoigne de la puissance des lobbies bancaires et financiers ainsi que de leur capacité à étouffer les initiatives politiques visant à les contraindre. Cela montre que « l’industrie de l’optimisation fiscale » a toujours une longueur d’avance sur les législations. Faudra-t-il l’effondrement d’un ou plusieurs pays, voire des conflits armés dans ce qui, aujourd’hui encore demeure une zone de prospérité, pour que les choses changent ? En tous les cas, cette criminalité et cette inconscience en col blanc semblent avoir de beaux jours devant elle.
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jeudi 19 février 2015

Pierre Rosanvallon, à propos de la marche du 11 janvier à Paris, du Pacte républicain et du vivre ensemble

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- Extraits d’un entretien accordé au quotidien Le Monde daté du 12 février 2015 (propos recueillis par Nicolas Truong).
- Pierre Rosanvallon est Professeur au Collège de France,  historien et analyste des phénomènes de défiance démocratique.

A propos de la marche du 11 janvier :
« Nous avons d’abord vu le rassemblement d’une communauté d’effroi et d’interrogations  (…) Loin de manifester une véritable union nationale, cette communauté d’effroi a immédiatement fait apparaître le caractère problématique de cette prétendue unité (…) Une partie de la population ne s’est pas retrouvée dans ces manifestations. Une partie du pays est resté en retrait (…) C’est la fracture entre une France impliquée et une France marquée par un sentiment d’abandon, submergée par les difficultés personnelles, qui se sent marginalisée. »

A propos de l’universalisme français :
 (…) « Les appels au séparatisme se multiplient partout dans le monde, une société d’éloignement dans laquelle les groupes sociaux tendent à se regrouper entre personnes qui se ressemblent, se met progressivement en place. Les inégalités grandissantes accentuent en outre le phénomène. La France n’échappe pas à ce délitement. »

A propos du Pacte républicain :
« En France, on continue à parler d’immigrés à propos de personnes qui sont intégrés depuis deux ou trois générations. On ne dirait jamais de Nicolas Sarkozy qu’il est immigré parce que son père est issu de la petite noblesse hongroise. De même, Manuel Valls, dont le père était un peintre catalan. On appelle aujourd’hui ‘immigrés’ ceux qui incarnent la mémoire et la mauvaise conscience de ce que l’universalisme français a raté, avec au premier chef l’expérience algérienne (…) Les questions d’intégration ne sont pas simplement en France de l’ordre de la pratique quotidienne, elles remuent également un ensemble de rêves brisés. Car, si l’Algérie n’est pas devenue française, ce n’est pas simplement du fait de la révolte des Algériens, mais aussi parce que les autorités rêvaient et mentaient. Elles parlaient d’universalisme mais refusaient l’égalisation des niveaux de vie. Il y a eu une désoccidentalisation de ces populations à la mesure des déceptions et des échecs qui se sont répétés sur le terrain de l’intégration. »

A propos de la laïcité
(…) Le mot laïcité est devenu trop élastique : pour certains, il désigne techniquement la neutralité de l’Etat, pour d’autres, un idéal de vie sociale harmonieuse où les individus n’auraient plus de classes sociales, de religions, d’histoires… Il faut se méfier de cette vision enchantée. Il faut apprendre le vivre-ensemble non pas grâce à une série d’interdictions, mais par une réflexion commune et permanente sur ce qui le rend possible ou difficile (…) La République, ce n’est pas que des procédures et des lois. C’est aussi ces ‘institutions invisibles’ que sont la confiance et la légitimité. Et plus encore ces règles de civilité qui s’appellent respect, responsabilité, que la devise républicaine a réunies sous le terme générique de fraternité. »
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mardi 17 février 2015

Peter Sloterdijk à propos du terrorisme et du consensus mou dans les sociétés occidentales

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Extraits d'un entretien accordé au Quotidien Le Monde daté du 12 février 2015 (propos recueillis par Nicolas Truong).
Peter Sloterdijk est philosophe, professeur de philosophie et d’esthétique à la Hochschule für Gestaltung de Karlsruhe.

(...)
Le Monde.- S’agit-il d’un véritable choc des civilisations, entre un pays qui accepte de tout moquer et un autre univers traversé par un regain des dogmes et des interdits ?
Peter Sloterdijk.- Les meurtriers ne sont pas du tout les messagers d’une guerre de civilisation ni d’une quatrième guerre mondiale. Il s’agissait de simples criminels à la recherche de la gloire. Ils étaient des tueurs de la société du spectacle. Les sociétés modernes sont celles des apparences multiples qui ne soutiennent plus les identifications simplistes. Les catholiques français pourraient se déclarer mille fois plus « offensés » que les musulmans. Pourtant, ils ne tuent pas. La véritable question est complètement différente : « A quoi sert le terrorisme ? » Pour faire vite on peut dire : à souder une nation qui se croit agressée, à donner à l’appartenance européenne ou américaine un peu plus de consistance. Sans un élément de paranoïa, les grands corps sociaux qu’on appelle « sociétés » perdraient de leur cohérence. En un mot, dans la perspective de la realpolitik, si le terrorisme n’existait pas, il faudrait l’inventer.
Comment combattre la fabrique nihiliste et djihadiste de nos sociétés ?
Les sociétés modernes sont des ensembles tièdes. Si rien ne leur arrive, elles peuvent se permettre de vivre avec un minimum de convictions fermes et un presque rien de résolution cohérente. Or, il nous est arrivé quelque chose. La solidarisation de l’Europe entière avec la France après les attentats restera un geste inoubliable. Cela veut dire qu’il suffit d’élever un peu la température de nos convictions. Il faut voter pour une forme de vie moins paresseuse.
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lundi 9 février 2015

La chronique économique : De la Grèce, de la troïka et de la "démocratie de marché"

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 4 janvier 2015
Akram Belkaïd, Paris

Qui prime ? Le choix électoral d’un peuple ou un traité transformé en totem ? C’est la question que pose, une nouvelle fois, l’actualité grecque. De fait, l’arrivée au pouvoir du mouvement Syriza est susceptible de rebattre les cartes d’une situation que l’on croyait figée depuis que le Traité constitutionnel européen a été adopté sans grandes modification. Et cela malgré les (vaines) promesses d’amendements faites par quelques gouvernements velléitaires ou vite rappelés à l’ordre par Bruxelles (on pense notamment au président français François Hollande qui, à l’entendre pendant la campagne de 2012, devait imposer une nouvelle mouture de ce texte).

La Troïka a échoué

La situation est connue. D’un côté, un pays qui a été mis sous tutelle par la désormais tristement célèbre troïka (Banque centrale européenne ou BCE, Fonds monétaire international ou FMI et Commission européenne). De l’autre, des créanciers qui ne veulent pas de l’idée d’une annulation partielle ou encore moins totale d’une dette qui fait près de 320 milliards d’euros. Or, depuis 2009, la Grèce ne cesse de s’enfoncer et les mesures d’austérité mises en place par la troïka n’ont pas donné de résultats. Le déficit grec s’est aggravé, la dette n’a jamais cessé d’augmenter alors que, dans le même temps, la situation sociale de la population s’est détériorée. Aujourd’hui, et alors qu’un vent de changement souffle sur Athènes, les langues commencent à se délier. Les critiques contre la troïka se multiplient, y compris en provenance du Parlement européen. Autoritarisme, mépris affiché pour les souffrances des Grecs, morgue des tenants du pouvoir financier : on s’accorde enfin à dire que les émissaires du trio sont les premiers responsables de l’échec de la thérapie de choc qui a failli tuer la Grèce et les Grecs.

Le nouveau pouvoir à Athènes a remporté une première manche, celle de se faire élire. Il est aussi en passe d’en gagner une deuxième, celle de démontrer qu’il appliquera les mesures promises pendant la campagne électorale. En Europe occidentale, les petits soldats du néo-libéralisme poussent des cris d’orfraie. Ils ne comprennent pas que Syriza ne se range pas au principe de réalité qui, selon eux, consisterait à continuer gaiement dans une voie sans issue. Cela met en exergue le fait que le débat sur l’inutilité des politiques d’austérité en temps de crise n’est toujours pas clôt. Pourtant, la Grèce est la preuve directe que rogner dans les dépenses publiques, mettre à la rue des milliers de fonctionnaires, démanteler un système de protection sociale sont autant de mesures douloureuses, pour ne pas dire criminelles, qui ne relancent pas la machine économique, bien au contraire. Le FMI a beau dire, la BCE a beau faire, et la Commission européenne a beau intriguer : la croissance n’est pas au rendez-vous. Que faut-il de plus pour que le cap soit changé ? Même Barack Obama, le président américain, y est allé de son couplet pour souhaiter que la Grèce cesse d’être pressurée. Il reste maintenant à savoir si les appels au bon sens vont être entendus.

L’exigence du changement de cap

La démocratie a parlé. Les Grecs ne veulent plus être humiliés. L’Europe, de son côté, tergiverse. Elle ne veut pas d’annulation de dette mais fait mine d’oublier que si l’Allemagne est ce qu’elle est aujourd’hui c’est parce que, entre autre, sa dette en matière de dommages de guerre a été annulée en 1953. Mais ce que l’Union européenne (UE) a de plus en plus de mal à cacher, c’est qu’elle sait que bouter la Grèce hors de la zone euro signifiera certainement la fin de la monnaie unique et une onde de choc d’une brutalité extrême dans tout le vieux continent. Les politiques économiques suivies au cours des vingt dernières années, faites de dérégulation et de réformes au profit du capital et de la finance, se paient cash aujourd’hui. La Grèce est la première à en souffrir mais d’autres pays suivront si l’UE ne réalise pas qu’il est temps pour elle de changer de cap.
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La chronique du blédard : La parole, une urgence française

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 5 février 2015
Akram Belkaïd, Paris
 
Que faire ? C’est la question que beaucoup se posent depuis les attentats des 7 et 9 janvier à Paris. Cette interrogation concerne un large champ de possibilités et de domaines. D’une personne à l’autre, le « que faire ? » n’est pas fondé sur les mêmes préoccupations. Certains, assez nombreux, n’ont pour seule obsession que cela ne recommence plus, que les « autres » ne puissent plus frapper et cela sans réfléchir aux raisons, au terreau socio-politique qui a favorisé ce drame. Dans une discussion, dans un débat, ici ou là, cela transparait à travers leurs propos martiaux, leurs appels à la fermeté, en France et ailleurs, leur envie de guerre dans ce « là-bas » diffus et informe dont, trop souvent hélas, ils ne savent rien. Leur envie aussi, non pas de guerre – le mot serait trop fort – mais de poigne de fer dans les banlieues, dans tous ces endroits où se tapirait la menace djihadiste. Ils applaudissent sans réserve à la convocation d’un gamin de huit ou dix ans au commissariat. Ils oublient ce qu’est un gosse, ce qu’il peut dire comme bêtises sans que ses parents n’en soient tenus pour responsables. On leur raconte les pays de l’Est à l’époque communiste. Les pères et mères terrorisés à l’idée que leur ado ou pré-ado se moque, par provocation ou bravade, du Parti, du camarade Staline ou du KGB. Ils haussent les épaules. Ils voient de la graine de djihadiste partout. La peur les aveugle et a donné des ailes à leur raison.
 
L’une des règles du « vivre-ensemble », formule peu satisfaisante car elle induit une certaine forme de résignation face à l’altérité de l’autre, est de rassurer celui qui a peur. Comment faire ? Face à celui qui profère des énormités parce qu’il se sent vulnérable, parce qu’il tremble pour lui et les siens, parce que son histoire personnelle et familiale remonte à la surface, on peut être tenté par la colère, l’emportement et la rupture. Mais il faut raison garder. Bien sûr, l’avalanche de bêtise qui déferle en ce moment sur les ondes n’arrange pas les choses. Le mieux, dans ce genre de circonstances, est de distinguer le grain de l’ivraie. Les énormités proférées par des politiciens en mal de voix en provenance de l’électorat habituel du Front national ne sont pas chose nouvelle. Cela va même aller en empirant au cours des prochains mois. Ce n’est pas avec eux qu’il faut raisonner. Les politiciens, hantés par les courbes des sondages, n’ont pas peur. Ils n’ont peur de rien d’ailleurs et, comme cela est dit dans les Tontons flingueurs, c’est à ça qu’on les reconnaît… Mention spéciale à ce sujet à Nathalie Kosciusko-Morizet qui a affirmé que des enfants arrivent en retard le matin à l’école parce que leurs parents les emmènent d’abord à la mosquée (affirmation démentie par les syndicats de l’éducation tandis que, précisons-le, l’intéressée a fait son mea-culpa).
 
Revenons à monsieur tout-le-monde. Exposé à un flux permanent de mauvaises nouvelles dès son réveil (il faudra un jour s’attarder sur le rôle joué par les matinales des radios dans la diffusion de l’angoisse), il est évident qu’il peut avoir du mal à faire face. Il est évident que cette violence, jusque-là inconnue à l’intérieur des frontières de l’Hexagone (depuis au moins une vingtaine d’années) ne peut le laisser indifférent. D’un autre côté, à l’autre bout de la chaîne de la peur, il y a ces gens décrits dans une chronique précédente. La peur des musulmans, qu’ils soient ou non de nationalité française. La peur des Juifs aussi qui ne peut être ignorée ou minimisée. Au milieu, des dizaines de milliers de gens qui ont des idées, des propositions et qui aimeraient contribuer à ce que la peur disparaisse. Ou, du moins, qu’elle ne fasse pas faire des bêtises. Dans ce genre de situation, la seule option est la parole. Et c’est là que l’on constate à quel point la France est un pays où cette dernière est confisquée. Bien sûr, la liberté d’expression existe. Bien sûr, la parole est abondante grâce au flux médiatique. Mais qui parle ? Qui peut parler ? Toujours les mêmes, répondra-t-on. Il y a quelques jours, j’ai assisté à un débat sur l’islam en France. Deux interventions de haute facture, stimulantes, mais je ne suis pas sûr que c’était cela que le public présent attendait ou souhaitait. Ce que les gens veulent aujourd’hui, c’est parler. C’est se parler les uns aux autres. C’est se dire ce qu’ils pensent et ne pas rester assis sagement à écouter telle ou telle personnalité, aussi légitime soit-elle à s’exprimer et à éclairer l’assistance grâce à un propos érudit.
 
J’ai longtemps pensé que cette confiscation qui ne dit pas son nom ne concernait que les communautés maghrébines avec ce schéma habituel qui pourrait alimenter quelques chroniques sarcastiques : à la fin du débat, quand vient le temps, très limité, des questions, un troll s’empare systématiquement du micro pour un long monologue sur le thème du « je n’ai pas de question mais je souhaite dire que… ». En fait, c’est une amie, habituée des débats politiques en tous genres, qui m’a expliqué que cela concernait la France entière. Partout, les gens souffrent d’un déficit de leur propre parole. On leur parle, mais on ne leur permet guère de s’exprimer. Voilà qui explique, en partie, pourquoi les échanges sont aussi virulents sur le net. Ce n’est que l’indice d’une immense frustration. Celle de ne pas avoir la capacité de se faire entendre.
 
Que faire ? Les colloques, les grandes messes organisées sous tel ou tel haut patronage ne sont pas inutiles. Mais ce n’est pas le plus urgent. Il y a nécessité à organiser des temps de parole, fussent-ils modestes-, pour tous et cela sans flonflons ni arrière-pensées promotionnelles. Et, dans le climat délétère actuel, les musulmans de France doivent être les premiers à prendre ce genre d’initiative. Pas parce qu’ils seraient coupables par ricochets ou qu’ils devraient avoir mauvaise conscience mais simplement pour montrer qu’eux aussi sont des citoyens qui participent à la vie de la Cité.
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A3çida-zgougou

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Bien malheureux est celui qui n'a jamais goûté l'A3çida-zgougou...



Avant :



Après, en quelques minutes chrono :


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mercredi 4 février 2015

Pointus

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Il manque la babouche tunisienne pour compléter l'ensemble des 4 pays du Maghreb : Algérie, Maroc, Tunisie et... France (ici représentée par sa capitale)

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