Le Quotidien d’Oran, mercredi 12 décembre 2018
Akram Belkaïd, Paris
Le point de départ de la crise française des gilets jaunes
est l’augmentation des taxes sur les carburants notamment le gasoil destiné aux
moteurs diesels. On sait que ce fut juste le catalyseur d’un mécontentement aux
motivations bien plus multiples et, d’ailleurs, l’annulation de ces taxes
décidée par le gouvernement n’a pas suffi à calmer la rue. S’il est beaucoup
question désormais de salaires, de réduction des inégalités et de pouvoir
d’achat, il est intéressant de revenir au point de départ de cette contestation
inédite qui est loin d’avoir trouvé son aboutissement.
Financer l’énergie
propre
Officiellement, le surplus de taxes recueillies devait
servir à financer la transition énergétique. « Transition énergétique »,
voilà une combinaison de deux mots dont on entend beaucoup parler surtout quand
il s’agit d’évoquer la lutte contre le réchauffement climatique. La présence du
mot « transition » signifie le passage d’un état à un autre. Dans le
cas présent, il s’agit d’abandonner peu à peu le modèle qui repose sur
l’exploitation des énergies non-renouvelables (hydrocarbures, charbon) pour
passer à des énergies renouvelables comme le solaire ou l’éolien. On peut aussi
définir cette transition comme le passage à des modèles d’exploitation
d’énergie fortement carbonées (ou pour le dire plus simplement, sales) à des
énergies moins productrices d’émissions de gaz à effet de serre (ges).
Pour abandonner un système et passer à l’autre, il faut de
l’argent. Exemple, si on veut convaincre un ménage d’utiliser un chauffe-eau
solaire à la place d’une chaudière à gaz, il faut un ensemble d’incitations
fiscales consenties par l’État. Idem, quand il s’agit de remplacer une voiture
avec un bon vieux moteur à combustion et le remplacer par un véhicule hybride.
Là aussi, l’État a tout intérêt à offrir des primes de remplacement sans
compter des prêts à taux d’intérêts bas (le jargon habituel parle de taux
bonifiés). Bref, il faut de l’argent pour développer les technologies, financer
la transition et en amortir les conséquences directes et indirectes sur
l’emploi et les infrastructures.
Le problème dans l’affaire des gilets jaunes c’est
qu’au-delà de leur caractère inopportun (venues après une longue liste
d’augmentations), ces nouvelles taxes ne devaient guère servir à financer la
transition énergétique. Selon les estimations les plus répandues, on estime que
85% de l’augmentation des prix des carburants était destinée à compenser la
baisse de recettes fiscales dues à la suppression de l’impôt sur la fortune
(ISF). Rien à voir donc avec une quelconque stratégie écologique. Cette
dernière avait bon dos et ne servait qu’à mieux faire passer la pilule. Une
sorte de « green-washing » fiscal en somme. Les observateurs auront
d’ailleurs remarqué que le président Emmanuel Macron n’a pas prononcé une seule
fois le mot écologie pendant son discours du 10 décembre.
Les pollueurs ne
veulent pas payer
Quoiqu’il en soit, financer la transition écologique en
alourdissant la fiscalité indirecte à laquelle sont confrontés les ménages est
injuste. Le bon sens voudrait que les pollueurs soient les premiers payeurs. On
pense notamment aux groupes pétroliers mais aussi aux compagnies aériennes, aux
transporteurs routiers ainsi qu’aux entreprises maritimes. Depuis trente ans,
la planète vit un bras-de-fer qui ne dit pas son nom. Il s’agit pour ces gros
pollueurs d’échapper à une plus forte contribution en matière de financement de
la transition énergétique. Le « green-washing », encore un autre, de
ces entreprises qui ne cessent de communiquer sur les « énergies
propres » ne doit tromper personne. Toutes ou presque refusent de payer
seules la facture. Et à ce jeu, la solution de facilité consiste à faire payer
les ménages.
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