Le Quotidien d’Oran, jeudi 17 janvier 2019
Akram Belkaïd, Paris
La chose est humaine. Il est toujours difficile d’être
confronté à ses défauts et à ses manques (ou manquements). L’affaire de Khadidja
Benhamou, élue Miss Algérie 2019 illustre à merveille ce constat. A peine élue,
des dizaines de commentaires infects ont fusé sur les réseaux sociaux.
Commençons par mettre de côté ceux qui dénonçaient ce concours en l’estimant
peu compatible avec les exigences religieuses. Ce n’est pas cela qui nous
intéresse aujourd’hui. Écartons aussi les critiques – fondées, quant à elles -
contre une manifestation jugée sexiste voire misogyne et dégradante pour la
femme. Là aussi, il ne s’agit pas d’aborder ce thème même s’il faudra bien
expliquer un jour que la modernité et l’égalité entre les genres, ce n’est pas
de pouvoir organiser des concours de miss plus ou moins dénudées.
Revenons à ce qui nous interpelle, à savoir les commentaires
racistes qui n’ont pas manqué de suivre l’élection d’une jeune femme originaire
du sud algérien. La presse algérienne en a beaucoup parlé et l’affaire n’est
pas passée inaperçue à l’étranger notamment en France. L’occasion, il est vrai,
était trop belle. Habituellement, les Algériens sont de féroces contempteurs du
racisme quitte, parfois, à le voir partout. C’est normal et logique puisqu’ils
l’ont longtemps subi pendant la période coloniale et qu’ils le subissent encore
dès lors qu’ils s’aventurent au nord de la Méditerranée ou qu’ils franchissent
le seuil de certains consulats occidentaux (les « zmigris » tenants
de l’habituel « moi, je n’ai jamais subi le racisme » sont priés de
faire le point avec eux-mêmes…).
Dans ce qui nous intéresse, la victime habituelle devient
bourreau. Et comme c’est souvent le cas dans pareille situation, la volonté du
déni est très forte. Certains amis, humanistes revendiqués, m’assurent que tout
cela n’est qu’agitation médiatique et que les Algériens ne sauraient être
racistes, du moins à l’égard des Noirs (on traitera des racismes réciproques
qui peuvent exister entre berbérophones et arabophones une autre fois). Ces
amis me répètent que les Algériens ont un bon fond, que c’est juste de
l’ignorance, que c’est la faute au pouvoir qui, s’il améliorait les conditions
de vie, contribuerait à faire disparaître toute tentation xénophobe. La réalité
est pourtant édifiante même si elle dérange. La condition des Noirs dans notre
pays, comme chez nos deux voisins du Maghreb central, ne nous fait pas honneur.
La manière dont sont traités les migrants subsahariens en témoigne. Jadis, dans
les années 1970, les étudiants issus des pays « frères » africains ne
cachaient pas leur désarroi. Officiellement, l’Algérie leur ouvrait ses bras,
dans la réalité, les moqueries, les plaisanteries douteuses, le tutoiement à la
coloniale, les difficultés administratives et le simple regard hostile des passants
prouvaient le contraire.
Aujourd’hui, on expulse à tour de bras, on brutalise de
pauvres hères à la recherche d’un meilleur avenir tandis que des personnalités
gouvernementales n’hésitent pas à reprendre, et répandre, les pires des clichés
xénophobes comme celui qui affirme que les ressortissants subsahariens
véhiculent des maladies. Et ce racisme n’épargne pas nos compatriotes Noirs.
Nous avons tous en tête une ou plusieurs anecdotes qui en témoignent. La liste
des surnoms dont on peut affubler tel ou tel natif de Ouargla, Adrar ou Tamanrasset
est très longue. Par respect, nous ne l’infligerons pas au lecteur auquel nous
recommanderons, tout de même, de se souvenir comment tous les Noirs d’Algérie, ou
presque, furent surnommés Kunta Kinte quand fut diffusé la série Racines (Roots) tirée du livre d’Alex Haley.
Bien entendu, et c’est aussi cela que les réseaux sociaux
ont permis de montrer, il y a eu des réactions indignées contre les attaques
visant Miss Algerie. Cela permet de balayer les affirmations qui font fi de
toute pondération ou subtilité, comme celle qui consiste à affirmer que « [tous]
les Algériens sont racistes ». Non, comme c’est le cas dans n’importe quel
pays, ou n’importe quelle société, il y a ceux qui ne le sont pas (et c’est
tant mieux). Il y a ceux qui le sont et qui ne s’en cachent pas (souvenir de
M.Z de Laghouat qui, alors que nous étions collégiens à Alger, n’avait de cesse
d’insulter, en crachant par terre, ceux qu’il appelait « les n… »).
Il y a aussi ceux qui le sont mais qui ne s’en rendent même pas compte. Dans le
premier tome de ses mémoires, l’historien Mohammed Harbi raconte l’anecdote
suivante : À la fin des années 1940, un membre du Mouvement pour le
triomphe des libertés démocratiques (MTLD) fut blâmé par ses camarades
nationalistes pour avoir épousé une Française. Qui donc parmi vous est prêt à
m’accorder la main de sœur ? demanda alors le mis en cause qui n’obtint
pour réponse qu’un silence gêné (*). Faut-il préciser qu’il était noir de
peau ?
Lutter contre le racisme et les préjugés qu’il véhicule
n’est pas chose facile. Cela passe d’abord par l’environnement familial et cela
avant même de compter sur l’école pour qu’elle fasse ce boulot. Cela passe
aussi par les partis politiques et l’État. La Tunisie vient d’accomplir un vrai
pas en avant en criminalisant les insultes et les actes racistes. Ne compter
que sur la mobilisation de la société civile n’est pas suffisant. Mais pour
faire face à un problème, il faut commencer par admettre qu’il y existe un.
(*) Seul Mostefaï Seghir
répondit : « Je n’ai pas de sœur,
sinon je t’aurais accepté comme gendre. » [in Une vie debout. Mémoires politiques. Tome 1 : 1945-1962, La
Découverte, Paris, 2001, p.38]
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1 commentaire:
Bonjour Monsieur,
J'ai été accroché par le titre de votre article car j'ai travaillé en Algérie de 1974 à 1978 et avait été frappé à l'époque par ce statut de type "esclave" attribué aux personnes de peau noire, qu'ils viennent du sud algérien ou de Mauritanie ou d'ailleurs. Je vis en Belgique depuis 1978 et ressens parfois encore cette hostilité de personnes d'origine maghrébine à l'égard des personnes qui ont la peau noire.
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