Le Quotidien d’Oran, jeudi 3
janvier 2019
Akram Belkaïd, Paris
Il y a dix ans, Barrack Obama
était élu président des Etats-Unis d’Amérique sur la fameuse promesse du « change is coming », le
changement vient. On connaît la suite (à moins de considérer que Donald Trump
constitue, in fine, ce fameux changement…).
Quelques années plus tard, un politicien sournois et inutile se faisait élire président
de la République française en répétant à l’envi « le changement, c’est maintenant ». Là aussi, on connaît
la (piètre) suite… Mais ce qui est intéressant dans les deux cas, c’est que ces
deux politiciens ont bien compris l’exigence – et l’attente – du changement
chez les électeurs.
Qu’entendons-nous souvent
autour de nous ? Le « ça ne peut
plus continuer comme ça » est un discours récurrent sous de nombreuses
latitudes (et l’Algérie n’échappe pas à cette constatation mais c’est une autre
histoire). Comprenons-nous bien. Il ne s’agit pas de propos de comptoir ou de
mots lancés par la force de l’habitude avant de s’en retourner à ses pénates. On
parle ici de constats, souvent de bon sens, d’expériences et parfois même
d’intuitions. La machine s’est emballée et personne ne semble pouvoir la
contrôler. Qui peut vraiment croire que la planète peut continuer à subir encore
longtemps ce rythme démentiel de production des richesses et de destruction de
l’environnement ? Qui peut vraiment croire que les ressources en pétrole,
eau potable ou simplement en air respirable sont infinies ?
Plus important encore, qui
peut vraiment croire, exception faite de la valetaille médiatique et
intellectuelle (mais le croit-elle vraiment ?), que l’inégale répartition
des richesses aggravée par une mondialisation désormais hors de tout contrôle
ne va pas engendrer des ondes de chocs dont nous n’imaginons même pas la
violence. Qu’est-ce que ce monde où une Banque centrale peut dépenser des
centaines de milliards de dollars pour acheter des créances douteuses sur le
marché quand, dans le même temps, des augmentations de quelques dizaines
d’euros sont refusées à des corps de métier tels que les enseignants ou les
infirmières ?
Le changement, c’est une
remise en cause profonde des paradigmes économiques qui régissent le monde
actuel. Toute autre modification, surtout cosmétique, mènera à des drames. Les
peuples, qu’on le veuille ou non, sont mieux informés qu’avant. En France, il
ne faut pas avoir fait de longues études pour comprendre que la privatisation
des autoroutes ou celle annoncée des aéroports (ou du loto) procède d’une
captation organisée du bien public par des intérêts privés et cela avec la
complicité d’une partie de la classe politique et des médias (lesquels sont
détenus par ces mêmes intérêts privés). Et l’emballage idéologique de ce genre
de déprédation ne trompe plus guère. « Efficience
du marché, libre-concurrence, retrait nécessaire de l’Etat pour qu’il se
concentre sur ses missions, exigences de la mondialisation » : du
blabla creux servis par les adeptes de la servitude volontaire à l’ordre
néolibéral.
En France, le mouvement des
gilets jaunes a très bien posé les termes de l’équation. Les servants de cet
ordre, les misérables éditocrates toujours prêts à clamer leur docilité,
peuvent bien essayer de délégitimer cette contestation en la réduisant à des manifestations
racistes, antisémites ou homophobes, la réalité est toute autre. C’est une
exigence profonde de changement de système qui se fait entendre en France et
ailleurs.
Quand on entend le président
Emmanuel Macron discourir comme il l’a fait à l’occasion de ses vœux de fin
d’année, on se rend bien compte que le système ne lâchera pas prise facilement.
Coïncidence exemplaire, son propos sentencieux de fin d’année était diffusé au
moment même où des dispositions légales étaient prises pour rendre la vie des
chômeurs encore plus difficile avec des sanctions et des suspensions d’indemnisations.
On nous dit que le mouvement
des gilets jaunes s’essouffle. En réalité, ce sont les mêmes qui ne lui
prédisaient que quelques jours d’existence – ah, cette maudite méconnaissance
de sa propre société – qui jouent en boucle cette musique en espérant la
transformer en prophétie autoréalisatrice. Il est certain qu’occuper des
ronds-points ou se manger des balles en caoutchouc en pleine poitrine peut
conduire à une certaine lassitude. Mais la France est aujourd’hui une lande
sèche prête à s’enflammer encore. Le moindre événement mettant en exergue les
différences de traitement entre la majorité de la population et la minorité
protégée – disons les choses telles qu’elles sont – conduiront à de nouvelles
protestations.
Parmi les scénarii évoqués
ici et là, on recense l’hypothèse d’une nouvelle crise financière, comparable à
celle de 2008. Est-ce que l’Etat français, comme ses pairs occidentaux, aura alors
la même latitude pour sauver les acteurs financiers et bancaires avec de
l’argent public ? Pas si sûr. Mais comment pourrait-il faire
autrement quand on sait à quel point haute administration et intérêts
financiers sont reliés ? Pour faire taire l’inévitable contestation, il y
aura nécessairement des mesures de restriction, des limitations de libertés,
bien plus dures que celles auxquelles on assiste actuellement avec
l’empêchement des gilets jaunes de gagner la capitale ou de manifester. En
clair, le changement, le vrai, ne se fera pas sans peines. Et il passera
nécessairement par la confrontation.
Note qui n’a rien à voir, ou presque : Bonne et
heureuse année aux lectrices et lecteurs de cette chronique. Que 2019 leur
apporte le meilleur.
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