Le Quotidien d’Oran, mercredi 26 décembre 2018
Akram Belkaïd, Paris
C’est l’un des points majeurs du dogme néolibéral et du
consensus de Washington. Une Banque centrale doit être indépendante du pouvoir
politique afin que ce dernier ne puisse influer sur ses décisions ni lui dicter
sa stratégie monétaire. L’idée de base est que les gouvernements sont toujours
enclin à favoriser la planche à billet, à l’image de ce qui se passe
actuellement en Algérie, et que les banquiers centraux doivent donc avoir la
capacité de leur refuser une telle facilité. Aujourd’hui, les deux grandes
banques centrales du monde, la Réserve fédérale (Fed) aux Etats-Unis et la Banque
centrale européenne (BCE) sont indépendantes. Leur statut est consacré par les
textes et il est très difficile pour le pouvoir exécutif de congédier leurs
présidents.
Jerome Powell sur la
sellette
Mais tout cela était valable avant l’élection de Donald
Trump. Selon plusieurs informations parues dans la presse, et mollement
démentie par l’intéressé, le président américain réfléchirait à congédier
Jerome Powell, le président de la Fed. Pour mémoire, le locataire de la
Maison-Blanche a déjà poussé vers la sortie l’ancienne présidente Janet Yellen
qu’il jugeait trop proche des démocrates et responsable d’une emprise trop
importante des marchés financiers sur l’économie réelle. Mais concernant
Yellen, Donald Trump s’est contenté de ne pas renouveler son mandat.
Dans le cas de Jerome Powell, c’est carrément une procédure
de « licenciement » qu’envisagerait Donald Trump. Ce serait la
première fois au cours des quarante dernières années – c’est-à-dire depuis que
la Fed joue un rôle aussi important dans le pilotage de l’économie – qu’une
telle chose arrive. Aux Etats-Unis, la presse économique et financière ne cache
pas sa stupéfaction voire sa colère. Passe encore que Trump bouscule tous les
usages en congédiant ministres et ambassadeurs par un simple tweet. Passe
encore que sa politique étrangère semble dictée par l’humeur du moment. Mais
s’attaquer au président de la Fed est une transgression majeure qui fait déjà
date.
Pour Donald Trump, la Réserve fédérale est trop obnubilée
par l’inflation et elle ne prête pas suffisamment attention aux batailles
commerciales que mène l’Amérique. Le problème est simple. Pour la Fed, il est
temps de mettre fin à la période de détente monétaire et d’enclencher un cycle
haussier des taux. L’idée est d’empêcher le retour de l’inflation et tout
échauffement de l’économie au moment où le pays connaît quasiment le
plein-emploi. L’idée implicite est d’accompagner l’atterrissage de l’activité
et de limiter les hausses salariales que toute période faste en matière
d’emploi génère.
Pour le président américain, la hausse des taux signifie la
hausse du dollar et donc une moindre compétitivité des exportations américaines.
Or, aider les entreprises américaines à s’imposer sur les marchés étrangers est
l’une des priorités de Donald Trump. Un dollar fort, signifie une baisse des
exportations et donc une hausse des importations autrement dit une destruction
des emplois américains. Une perspective inacceptable pour le président
américain pour qui la Fed comment « une terrible erreur ».
Le politique reprend
la main
Jerome Powell sent donc le vent du boulet. Il a d’ailleurs
annoncé que la Fed n’augmentera ses taux qu’à deux reprises en 2019 au lieu des
trois prévues. Une concession qui ne va certainement pas contenter Donald Trump
et il est prévisible que cette affaire n’en reste pas là. Si les uns vont
s’indigner de l’interventionnisme du président américain dans un domaine qui
n’est pas censé relever de ses prérogatives, d’autres vont suivre cela avec
attention. En effet, si Jerome Powell est renvoyé (il faudra que le Congrès
approuve), cela signifierait que le politique reprend le dessus sur les
banquiers centraux. Les regards se tourneront alors vers l’Europe où le
président de la BCE ne rend de comptes à personne…
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