Le Quotidien d’Oran, jeudi 20 décembre 2018
Akram Belkaïd, Paris
Dans les jours qui viennent, les médias français qui
traiteront des derniers développements de la crise des gilets jaunes vont
certainement s’interroger sur la persistance de ce mouvement au moment de la
trêve des confiseurs. Ouvrons une parenthèse pour rappeler que cette expression
est née aux débuts de la Troisième République alors que le parlement français
était le théâtre de vifs échanges à propos de la nouvelle Constitution. A
l’approche des fêtes de fin d’année, les députés de toutes factions
s’entendirent pour une suspension des débats, suspension aussitôt baptisée,
avec une certaine ironie, « trêve des confiseurs » par la presse de
l’époque. Fin de la parenthèse.
Pour beaucoup d’observateurs, ces fêtes de fin d’année
devraient sonner le glas du mouvement. Champagne, foie gras et cotillons :
circulez, il n’y a plus de rondpoints à occuper ! D’ailleurs, les forces
de l’ordre ont commencé à démanteler les installations de bric et de broc dont
la presse a beaucoup parlé : tentes, garde-manger, fûts pour faire du feu…
Le président Macron et son gouvernement ayant fait quelques concessions – du
moins, à les croire -, les gilets jaunes sont donc priés de rentrer chez eux en
attendant ce fameux (fumeux ?) dialogue national qui n’interviendra
finalement qu’à la fin du mois de janvier.
Mais est-on si sûr que le mouvement est vraiment
terminé ? Il est certain qu’une partie des « gj » sont épuisés
par plusieurs semaines de mobilisation. Les fêtes de fin d’année, la baisse de
luminosité propre au mois de décembre, le retour du froid et de la pluie, sont
autant d’incitations à abandonner la partie d’autant que l’envie de passer Noël
et le réveillon de la Saint-Sylvestre en famille ne peut être facilement
réprimée quelle que soit la catégorie sociale à laquelle on appartient. Et
pourtant, rien ne dit que janvier sera un mois tranquille. La colère est encore
perceptible et il suffira d’un rien, un tout petit catalyseur pour que l’on
assiste à une reprise de la contestation.
Il est difficile de savoir d’où pourrait venir l’étincelle
mais les possibilités sont nombreuses. Parlons d’abord du fameux Parcoursup, ce
système informatique de sélection des nouveaux bacheliers. Dans quelques
semaines, les futurs étudiants commenceront à entrer leur souhait d’orientation
et si les choses se passent comme l’année dernière, il y a fort à parier que
l’agitation lycéenne – laquelle se poursuit aujourd’hui encore –réveillera les
troupes jaunes. Il est d’ailleurs plus que probable que le premier acte ayant
préparé le mouvement des gilets jaunes s’est joué au printemps dernier quand
des milliers de ménages français se sont retrouvés démunis face à un logiciel
au maniement loin d’être simple.
D’ailleurs, Parcoursusp a révélé de nombreuses inégalités au
sein de la société française dont une fracture numérique rarement évoquée. Des
pans entiers de la jeunesse française savent utiliser leurs téléphones
intelligents (smartphones) pour échanger en ligne, s’amuser, regarder des
vidéos ou télécharger telle ou telle application mais ils s’avèrent souvent peu
capables de remplir des formulaires ou de traiter avec une interface
d’intelligence artificielle. Cela sans oublier les foyers qui ne possèdent pas
d’ordinateurs. Remplir ses fiches de vœux avec son smartphone n’étant pas une
opération aisée, on imagine les efforts déployés par les concernés pour avoir
un accès suffisamment long (et tranquille) à un ordinateur de leur centre de
documentation.
Lorsque les premiers résultats de la sélection opérée via
Parcoursup ont été connus, ce fut une onde de choc dans de nombreuses familles.
Refus et mise en liste d’attente à des positions ne laissant entrevoir aucune
chance d’accéder à la formation désirée ont provoqué colère, ressentiment et
sensation de relégation, notamment chez les élèves des filières technologiques.
Plusieurs mois avant l’apparition de pages Facebook dédiée à la protestation
contre l’augmentation des taxes sur le carburant, on a vu en juin dernier des
parents d’élèves et leurs enfants essayer d’organiser des mobilisations
communes via les réseaux sociaux. Un augure qui, en son temps, ne se vit pas
accorder toute l’attention qu’il méritait.
L’autre élément ayant contribué à préparer la colère n’a
rien à voir avec une quelconque décision fiscale ou une proposition de loi
gouvernementale. Il s’agit tout simplement de l’affaire Benalla, ancien
collaborateur du président Emmanuel Macron. Le but de cette chronique n’étant
pas de revenir dans les détails sur cet étrange scandale, on relèvera
simplement qu’il a provoqué une colère inouïe qui s’est notamment exprimée, là encore,
sur les réseaux sociaux. Il faudra un jour revenir sur ce dossier pour en
comprendre les mécanismes. Est-ce la faute des médias qui en ont trop
fait ? Est-ce que l’opinion publique y a vu une énième preuve de la
déliquescence au sommet de l’État ? En tous les cas, cette affaire a
provoqué bien plus de dégâts dans l’opinion qu’il n’y paraît.
Il suffira donc d’un rien pour que les passions reprennent.
Cela, le gouvernement français le sait. Certaines de ses réformes prévues,
comme par exemple la modification du système d’indemnisation chômage, devraient
être reportées à la Saint-Glinglin. Mais fin janvier, les salariés auront la
(mauvaise) surprise de découvrir sur leur fiche de paie un salaire net
inférieur à ce qu’il était en 2018. Bien sûr, cette différence s’expliquera par
l’entrée en vigueur de la retenue à la source de l’impôt sur le revenu mais il
n’empêche. Jusqu’à présent, de nombreux foyers ont géré leur insuffisance de
revenus en jouant sur les découverts, les prêts puis en serrant les boulons
quand se profilait le paiement de l’impôt. La retenue à la source va changer la
donne et nécessiter des adaptations. En ces temps de grogne, cela ouvrira la voie
à tous les possibles.
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