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La Tribune, mardi 15 janvier 2008
Le sultanat d'Oman veut réduire sa dépendance vis-à-vis du pétrole. Proche du sous-continent indien, des côtes iraniennes et des monarchies du Golfe, le port de Sohar offre une alternative au détroit d'Ormuz. La ville est adossée à une vaste zone industrielle et à une zone économique spéciale.
Au premier abord, l'endroit ne paie pas de mine. Une clôture grillagée peu dissuasive, une route parsemée de ralentisseurs qui débouche sur nulle part, une autre qui longe des terrains vagues, des réservoirs et de grandes imbrications de tuyauteries, de la rocaille et de la poussière à perte de vue. Sans oublier un océan paresseux aux teintes d'ardoise. Pourtant, c'est ici, dans le port de Sohar, à 220 kilomètres au nord-ouest de la capitale, Mascate, qu'Oman prépare son avenir. Le sultanat veut réduire sa dépendance vis-à-vis du pétrole, dont la production lui a rapporté l'an dernier plus de 22 milliards de dollars, soit près de 79 % de ses recettes d'exportation. « Notre urgence est de diversifier notre économie. Cela passe par une plus grande base industrielle », explique un haut responsable omanais.
Au début des années 1990, conscient du caractère éphémère de l'or noir, le sultan Qabous bin Saïd a lancé une large réflexion en matière de stratégie économique. Sous la houlette du sultan, le pays a vu son PIB passer, en trente-cinq ans, de 330 millions de dollars à 42 milliards. La nécessité d'insérer le sultanat dans l'économie mondiale est apparue comme une urgence.
« L'ouverture oui, mais à notre rythme et en respectant notre identité et notre culture. Et, surtout, sans nous lancer dans une profusion de projets qui défigureraient notre pays »,prévient Said bin Khalfan AlHarthy, conseiller au ministère de l'Information.
Un site stratégique
En quelques années, le sultanat a adhéré à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Il s'est ouvert au tourisme international(lire encadré)et il a créé le port de Sohar. Ou plutôt recréé car, comme l'explique Bruno Le Cour Grandmaison, économiste et auteur de plusieurs ouvrages sur Oman,« au IIe siècle de notre ère, Sohar était déjà une étape importante du commerce maritime. Il jouait notamment le rôle d'une plate-forme de réexportation à destination de l'Inde ».
Inauguré en 2002, le « nouveau » port, dont le tirant d'eau atteint 18 mètres, traite du vrac, liquide et solide, des hydrocarbures et des containers. Robert Boonk, responsable commercial de la société Sohar Industrial Port Company (SIPC), détenue à parts égales entre le gouvernement omanais et le port de Rotterdam, assure que Sohar accueillera cette année« un minimum de 1.000 bateaux », contre seulement 171 en 2005. De son côté, Jan H. Meijer, directeur général de SIPC, insiste sur« l'emplacement stratégique du port de Sohar ». Baignant dans la mer d'Oman, Sohar est proche du sous-continent indien, des côtes iraniennes et des monarchies du Golfe, sans oublier la côte est de l'Afrique, zone d'influence traditionnelle d'Oman (l'île de Zanzibar a longtemps fait partie du sultanat et de riches familles marchandes omanaises y vivent encore aujourd'hui).
Plus important encore, Sohar est à l'extérieur du golfe Persique. Les navires qui y accostent n'ont donc pas besoin de passer par le détroit d'Ormuz.« Actuellement, les primes d'assurance pour les bateaux qui passent le détroit augmentent de façon quasi exponentielle en raison des tensions entre l'Occident et l'Iran. Cela offre un véritable avantage compétitif pour Sohar »,assure Jan H. Meijer. Un avantage renforcé par le fait que le port omanais n'est qu'à deux heures de route de l'émirat de Dubaï, l'un des poumons économiques de la région et la plus importante plate-forme logistique entre l'Europe et l'Asie.« Sohar est indiscutablement un moyen de contourner le détroit d'Ormuz et d'acheminer des marchandises vers les monarchies du Golfe dont les économies sont en plein boom »,estime Khalifa bin Mubarak bin Ali Al-Hinai, conseiller au ministère du Pétrole et du Gaz.
On comprend dès lors pourquoi la France est très intéressée par le projet récurrent de ligne de chemin de fer entre Sohar et Dubaï. L'entrée en vigueur, le 1er janvier dernier, de la zone de libre-échange entre les six pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) devrait fluidifier la circulation des marchandises entre Oman et les Émirats arabes unis. Mais Sohar n'est pas qu'un simple port. Le site est adossé à une zone industrielle où sont en cours de construction une raffinerie - la deuxième du pays -, plusieurs unités chimiques, une fonderie d'aluminium, une aciérie, une unité de production de gaz industriels d'Air Liquide ainsi qu'une centrale électrique.
À cette zone industrielle qui s'étend sur près de 20 kilomètres carrés, les autorités omanaises prévoient d'ajouter une zone économique spéciale, une zone franche destinée à la réexportation ainsi qu'un aéroport dédié au fret. Une autoroute à trois voies destinée à relier, dans un premier temps, Sohar à Mascate, est également programmée.Tous ces projets ne répondent pas simplement au seul souci de diversifier l'économie. Ils visent aussi à réduire le chômage dans un pays qui compte 2,9 millions d'habitants.« Malgré la vigueur du développement économique, la croissance n'est pas suffisamment créatrice d'emplois pour absorber les générations qui arrivent sur le marché du travail »,relève une note de la mission économique de l'ambassade de France en Oman. « Le port et l'omanisation des emplois vont de pair puisque l'ensemble du projet devrait créer 8.000 emplois directs et 30.000 emplois indirects. Avec Sohar, c'est toute la région qui entre dans le XXIe siècle »,estime Jan H. Meijer.
Akram Belkaïd, à Sohar
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