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La Tribune, mardi 5 février 2008
- Face à une inflation galopante, les monarchies du Conseil de coopération du Golfe (GCC) hésitent à réévaluer leurs monnaies arrimées au dollar.
- Un tel mouvement entraînerait une nouvelle faiblesse du dollar, qui diminuerait d'autant les recettes générées par la vente de leur pétrole.
Réévaluera ou ne réévaluera pas ? Peg supprimé ou non ? Depuis plusieurs mois, les banquiers centraux de cinq des six pays du Conseil de coopération du Golfe (GCC) déroutent les observateurs en multipliant les déclarations contradictoires à propos de leurs monnaies, toutes arrimées par un lien fixe au dollar US (seul le dinar du Koweït est lié à un panier de devises depuis mai 2007). Face à la glissade du billet vert qui entraîne vers le fond rial omanais, qatari et saoudien, dinar de Bahreïn et dirham émirati, et une inflation qui bat tous les records, plusieurs responsables régionaux ont évoqué l'hypothèse d'une réévaluation de ces devises, voire d'une suppression pure et simple du peg. Mais ils ont fait machine arrière alors que le marché des changes était persuadé que le réajustement n'était plus qu'une question d'heures.
Le cas le plus caractéristique de ces tergiversations est celui des Émirats arabes unis (EAU). En novembre, Sultan Bin Nasser al-Suwaidi, gouverneur de la banque centrale, a appelé les pays du Golfe à abandonner le peg au profit d'un panier de devises pour contrer les tensions inflationnistes. Quelques semaines plus tard, cet appel était réitéré et assorti de la promesse que les Émirats ne procéderaient à aucune réévaluation seuls, souhaitant une action de concert avec les autres pays du GCC. Mais, début janvier, le gouverneur faisait lui aussi machine arrière, estimant que le lien fixe entre le dirham et le dollar n'est pas responsable de l'inflation. Promettant de ne pas remettre en cause ce peg, Nasser al-Suwaidi a désigné l'immobilier et l'alimentation comme principales causes de la flambée des prix.
Pour bien comprendre ces atermoiements, il faut rappeler que les deux premières sorties de Nasser al-Suwaidi sont intervenues dans un contexte particulier marqué par la multiplication de protestations contre l'augmentation du coût de la vie dans les Émirats. En 2007, l'inflation émiratie a atteint en effet un plus-haut historique de 9,8 % avec des conséquences sociales importantes. Face à la grogne des fonctionnaires, le gouvernement fédéral a dû concéder des augmentations salariales de 70 %, en vigueur depuis le 1er janvier.
De même a-t-il dû faire pression sur les entreprises privées pour qu'elles revalorisent les salaires des travailleurs immigrés en provenance d'Asie, qui avaient provoqué plusieurs émeutes, notamment à Dubaï. Ils s'estimaient doublement pénalisés par la chute du dirham et par la baisse de leur pouvoir d'achat, qui rognait d'autant le montant des mandats envoyés à leurs familles.
Ces mêmes hésitations se retrouvent au Qatar, où l'inflation flirte avec 15 %. La semaine dernière, Abdullah bin Hamad al-Attiyah, vice-Premier ministre, a déclaré que son gouvernement et la banque centrale qatarie étudiaient « le principe d'une réévaluation du riyal » tout en s'empressant d'ajouter que « rien en la matière n'était décidé ». Un chaud-froid qui n'a guère étonné les marchés tant cette question des monnaies n'est pas uniquement liée à des considérations économiques.
Attentive à ne pas froisser son allié américain mais aussi soucieuse de ne pas déprécier ses avoirs financiers libellés en large part en dollars, l'Arabie Saoudite fait pression sur ses partenaires du GCC pour maintenir un statu quo monétaire. « Nous n'avons aucun plan pour modifier ou supprimer le lien fixe entre le rial et le dollar » , affirme-t-on ainsi dans l'entourage d'Ibrahim al-Assaf, ministre des Finances saoudien.
D'autres officiels du Royaume wahhabite reconnaissent que leur gouvernement est attentif à ne pas provoquer une baisse brutale du dollar en réévaluant le rial. Une réévaluation qui, par effet mécanique, amoindrirait la valeur des revenus pétroliers, ces derniers étant libellés en dollar. « Les pays du Golfe sont partagés entre la nécessité de ne pas diminuer le montant de leurs avoirs financiers et de leurs recettes pétrolières et celle de combattre une inflation qui posent de sérieux problèmes sociaux », juge Mario Maratheftis, économiste chez Standard Chartered.
Pour cet expert, comme pour ceux de Merrill Lynch, « la réévaluation des monnaies du Golfe n'est qu'une question de temps ». D'abord, parce que l'inflation pourrait bien atteindre les 20 % si rien n'est fait pour la juguler. Ensuite, parce que la faiblesse du dollar semble partie pour durer. Le marché des changes ne s'y est d'ailleurs pas trompé qui teste régulièrement les monnaies du Golfe. Enfin, l'exemple du Koweït plaide pour une modification du peg. Depuis mai 2007, date à laquelle la valeur du dinar est fixée par rapport à un panier de devises (où le dollar pèse tout de même 70 %), l'inflation, même si elle demeure élevée, est la mieux contrôlée de la région.
Akram Belkaïd
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