Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

samedi 22 janvier 2011

La lecture du samedi : Dictionnaire des écrivains francophones classiques

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Voilà un ouvrage qui va faire date et qui devrait être distribué dans toutes les librairies et les bibliothèques d’Algérie mais aussi du Maghreb et d’Afrique sub-saharienne. Avec 105 articles dédiés à des écrivains appartenant tous à l’espace francophone, il est une invitation à la découverte, à la relecture et à la réflexion sur l’évolution de la littérature d’expression française hors de France. Ce qui est fondamental, au-delà de la somme inouïe d’informations contenues dans l’ouvrage, c’est que les auteurs proposent la qualification de Classiques francophones pour tous les écrivains recensés.

Combien d’entre-nous, entrant dans une librairie en France à la recherche d’un ouvrage d’Aimé Césaire, de Sembène Ousmane ou de Mohammed Dib, se sont entendus dire « vous le trouverez en rayon étranger » parfois, dans le meilleur des cas, « dans le rayon des littératures francophones ». Cette hiérarchisation a toujours porté en elle une séparation implicite. D’un côté, les auteurs français. De l’autre, le reste, les francophones, jugés avec plus ou moins de bienveillance et de paternalisme.

« Est lourd de sens, aussi, et fécond de polémiques, le geste qui inclut les écrivains français parmi les écrivains francophones, alors que les Français ont rarement considéré comme ‘francophone’ – et continuent à le faire dans leurs institutions – ce qui précisément n’est pas français. La littérature des Sud écrite en français a tardé à se faire accepter comme telle ; elle ne s’est acquis droit de cité, sous le nom de ‘littérature francophone’, qu’à condition d’être tenue à l’écart de la littérature française » est-il ainsi noté dans la préface de ce dictionnaire.

De même, notent Christiane Chaulet Achour et Corinne Blanchaud, l’originalité de ce livre « est d’avoir introduit le qualifiant de ‘classique’ à côté de celui d’écrivains francophones et donc d’avoir mis en synergie des écrivains issus de pays qui ont tous connu la situation coloniale ». Une situation qui a profondément marqué leur entrée en écriture. Du coup, « parler de ‘classique francophone’ apparaît comme un acte de revendication, de déplacement de la notion de classique »
Mais laissons-là ces considérations et entrons dans le livre à la découverte d’auteurs de référence parmi lesquels on citera Jamel Eddine Bencheikh, Tahar Ben Jelloun, Rachid Boudjedra, Andrée Chedid, Driss Chraïbi, Mohammed Dib, Malek Haddad, Kateb Yacine, Amin Maalouf, Rachid Mimouni et Jean Sénac. On n’oubliera pas non plus les auteurs subsahariens tels que Léopold Sedar Senghor et Sembène Ousmane, ou originaires des Caraïbes (Aimé Césaire et Daniel Maximin notamment). A noter que le plus ancien de ces écrivains est Oswald Durand, un Haïtien né en 1840 tandis que la plus jeune, Angèle Rawiri, Gabonaise, est née en 1954. Signalons aussi la qualité des index qui ne se limitent pas aux noms cités mais qui donnent un large panorama des notions et mouvements culturels, des prix et distinction littéraires, des maisons d’édition ainsi que des journaux et revues.

L’extrait
Il faut dissocier le couple nation française / langue française et suivre l’analyse revigorante par son humour d’Abdourahman A. Waberi, écrivain djiboutien, qui, dans Libération du 16 mars 2006, déclinait les raisons de son usage littéraire du français :
« J’écris en français parce que je n’ai pas d’autre langue d’écriture.
J’écris en français parce qu’il faut rendre à Césaire ce qui lui revient.
J’écris en français parce que tout écrivain habite la langue qui s’est imposée à lui (…)
J’écris en français parce que je suis un pur produit postcolonial.
J’écris en français parce que je suis djiboutien (…)
J’écris en français parce que j’ai un complexe de Dib (…)
J’écris en français pour réitérer la célèbre formule de Beckett : ‘Bon qu’à ça !’ »

Les écrivains francophones et certains écrivains français savent bien que l’usage littéraire de la langue française n’est plus depuis longtemps le privilège des seuls Français, de même que l’espagnol a échappé depuis longtemps à la seule Espagne : « Il y a un certain temps déjà que la France ne détient plus de droits de propriétés exclusifs sur sa langue. Nombre de Français ne s’en sont pas encore aperçus »*. Nous espérons que le présent dictionnaire participera à parachever cette prise de conscience !

(*) Jean-Marie Borzeix, Les Carnets d’un francophone, Saint Pourçain-sur-Sioule, éd. Bleu autour, 2006, p. 34.

La citation
« Même si les autres auteurs de sa génération l’ont évincé par les chefs-d’œuvre qu’ils ont laissés à la postérité, Malek Haddad demeure parmi les pionniers de la littérature algérienne celui qui, acteur et témoin de son époque, cristallise nombre de questionnements de l’écrivain maghrébin francophone ».

Le livre
« Dictionnaire des écrivains francophones classiques. Afrique subsaharienne, Caraïbe, Maghreb, Machrek, Océan indien ». Christiane Chaulet Achour avec la collaboration de Corinne Blanchaud. Préface de Bernard Cerquiglini. Avant-propos de Jean Marc Moura. Editions Honoré Champion, 472 pages, 19 euros.


Akram Belkaïd, Paris
Le Quotidien d'Oran, samedi 22 janvier 2011

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