Lignes quotidiennes

Lignes quotidiennes
Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

dimanche 21 août 2011

Akram Belkaïd, journaliste spécialiste des marchés financiers, à «Algérie-Focus.Com» : «On est en train d’atteindre le point haut des contradictions du système néo-libéral»

_
.



Quelle est la nature de la crise de la dette qui frappe l’Europe actuellement ?

Il s’agit d’une crise à plusieurs facettes. Il y a d’abord le fait que les Etats européens font face à des difficultés financières qui les obligent à emprunter sur les marchés financiers pour boucler leur budget. Le problème, c’est que les marchés de la dette commencent à devenir à la fois gourmands et inquiets. Gourmands parce qu’ils aimeraient bien obliger les Etats emprunteurs à payer des taux d’intérêts plus élevés. Inquiets parce qu’ils se demandent si certains Etats ne vont pas être en faillite et décider de ne pas rembourser une partie de leur dette. L’autre aspect de la crise est structurel. On est en train d’atteindre le point haut des contradictions du système néo-libéral.

Si les Etats s’endettent, c’est parce que leurs économies ne sont pas florissantes (ce qui signifie que les entreprises et les particuliers gagnent moins d’argent et paient donc moins d’impôts). Mais, dans le même temps, ces mêmes Etats, comme les Etats-Unis d’ailleurs, n’ont pas cessé de diminuer les impôts des plus riches depuis ces trente dernières années. En renonçant aux rentrées fiscales, les Etats n’ont pas d’autre choix que de s’endetter. C’est pourquoi des personnalités telles que le milliardaire américain Warren Buffet disent qu’il faut que les riches (particuliers mais aussi entreprises) paient plus d’impôts pour équilibrer les comptes des Etats et ne plus s’adresser au marché.

Quel rôle ont joué les agences de notations dans le déclenchement de cette crise ?

Ces agences ont amplifié la crise mais ne l’ont pas déclenchée. Le problème vient d’abord des gouvernements qui n’ont pas cessé de déréguler les marchés financiers et de leur donner de plus en plus de pouvoir. Au lieu d’avoir recours à des politiques néolibérales de diminution des impôts pour les classes les plus aisées, ces gouvernements auraient mieux fait d’éviter de s’endetter autant. En le faisant, ils sont devenus dépendants de l’avis des agences de notation dont chaque décision a pris une tournure exagérée.

C’’est quoi une agence de notation et comment fonctionne-t-elle ?

Une agence de notation évalue les risques que présente un emprunteur de ne pas rembourser sa dette. Cet emprunteur peut être un Etat, une entreprise ou même une collectivité locale. Le mécanisme de fonctionnement est simple. Quand il veut s’endetter sur le marché, l’emprunteur a intérêt à être noté par une agence sinon les investisseurs ne lui prêteront pas d’argent. Dans les faits, c’est l’emprunteur qui demande à être noté et qui paie pour cela. Il s’engage à fournir les informations nécessaires aux analystes de l’agence de notation qui, de manière régulière, font connaître leur avis par une note.

Ainsi le AAA (triple A) signifie que l’emprunteur ne présente aucun risque de défaut. A l’inverse, des notes comme C voire D ou E, signifient qu’il est très risqué de prêter de l’argent c’est pourquoi le marché exige alors d’importants taux d’intérêts. C’est tout l’enjeu de la dégradation. Quand un pays passe de A à B+, cela signifie que, concrètement, il va devoir payer plus pour emprunter. C’est en cela que les agences de notion peuvent torpiller les efforts d’un pays pour stabiliser sa situation financière. Une dernière chose, les Agences de notation ne notent que si elles sont sollicitées par l’emprunteur et payées par ce dernier. De plus, leurs notes sont considérées comme des opinions, du moins aux Etats-Unis, ce qui les rend pratiquement inattaquables sur le plan légal.

L’Algérie est-elle concernée par les élévations des agences de notation telle que Standard and Poor ?

Non. A ma connaissance, l’Algérie n’a pas demandé à être notée. De plus, notre pays a pratiquement réduit sa dette extérieure et ne s’adresse pas au marché obligataire. A l’inverse, la Tunisie a emprunté sur les marchés et sa note a été dégradée au lendemain de la chute de Ben Ali. Cela montre que les agences de notation n’ont qu’une seule obsession : la capacité de remboursement. Le problème au cours de ces dernières années, c’est qu’elles se sont beaucoup trompées. Elles n’ont pas vu venir la crise de l’Internet ni celle des subprimes.
Cela explique leur zèle actuel. Dans un monde parfait, ces agences devraient être encadrées et régulées de manière à ce que la moindre de leur décision ne mette pas le feu aux marchés financiers.

Entretien réalisé par Nassim Brahimi :

Biographie :
Akram Belkaïd, journaliste et essayiste, a travaillé pendant 15 ans au quotidien économique et financier français «La Tribune» où il a notamment suivi les marchés financiers. Il collabore aujourd’hui avec «Le Monde Diplomatique», «SlateAfrique», «Afrique Magazine» et «Le Quotidien d’Oran». Il publie «Etre Arabe Aujourd’hui» aux éditions Carnetsnord (22 septembre).


3 commentaires:

Else a dit…

Merci pour la publication de cet entretien qui est très clair.

Youcef a dit…

M. Belkaid,

Je vous cite :
"Si les Etats s’endettent, c’est parce que leurs économies ne sont pas florissantes (ce qui signifie que les entreprises et les particuliers gagnent moins d’argent et paient donc moins d’impôts)."

A aucun moment vous ne vous posez la question de savoir :

1/ Pourquoi leurs économies ne sont pas/plus florissante ? ( Taxes, Bureaucratie, Corruption...etc etc! )

2/ le plus importants : A aucun moment vous ne remettez en cause la responsabilité des gouvernements dans le déficit budgétaire des Etats qui sont devenus des léviathans tentaculaires étouffant le secteur privé. Vous le prenez simplement comme une donnée, pire encore vous l'expliquez avec une phrase : leurs économie ne sont florissante - ce qui est léger !

Bref, on peut se rejoindre sur la responsabilité des banques et groupes financiers, mais en reconnaissant qu'on évolue dans un système capitaliste de connivence ou de copinage (avec les hommes politiques qui ne servent plus l'intérêt général mais celui de leurs proches), ce qui est loin du marché libre dont les règles sont : Liberté et RESPONSABILITE et surtout tout le monde égale face aux règles.

Cordialement.

Akram Belkaïd a dit…

@ Youcef :
d'accord avec vous à propos de la responsabilité des hommes politiques et leurs rapports de connivence avec les milieux financiers. Par contre, croire que le marché libre est capable de s'auto-réguler seul est un mythe.