Le Quotidien d’Oran, jeudi 16 avril 2020
Akram Belkaïd, Paris
« Gouverner,
c’est prévoir ». Cette célèbre formule, dont l’auteur est le
journaliste et homme politique français Émile de Girardin (1802-1881), prend
une dimension particulière en ces temps de pandémie de Covid-19. Dans le cas
français, on ne peut reprocher au gouvernement l’irruption de la maladie tout
comme on ne pourrait pas lui reprocher le fait qu’une catastrophe naturelle
survienne soudainement. C’est ainsi, il est des événements dont on ne peut
connaître la date puisqu’ils sont imprédictibles par nature. Par contre, on
sait qu’ils sont plus ou moins inéluctables, ce qui exige de s’y préparer. Ainsi,
depuis 2003, on ne pouvait ignorer que le monde était menacé par une pandémie
dévastatrice. Cette année-là, le Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS),
maladie partie de Chine (déjà…), causa 800 morts et constitua, selon l’Institut
Pasteur, « la première maladie grave
et transmissible à émerger en ce vingt-et-unième siècle. » En
clair, avec cette alerte, nous étions prévenus que cela pouvait recommencer, de
manière bien plus grave, et qu’il convenait de s’y préparer sérieusement.
Or, ce qui frappe aujourd’hui en France c’est l’état
d’impréparation absolue du pays face à l’épidémie de Covid-19. Dès les premiers
cas, le personnel soignant a été obligé de faire face sans beaucoup de moyens
de protection. Les masques manquaient et manquent toujours. Les blouses et les
surblouses manquaient et manquent toujours. Les tests pour détecter le virus –
pourtant très vite identifié et séquencé par les chercheurs chinois, manquaient
et manquent toujours. A cela s’ajoute un fait dont on a très peu parlé mais qui
a ses conséquences. Dans de nombreux hôpitaux mais aussi dans la médecine de
ville – véritable premier front face au Covid-19, il manquait un protocole, une
procédure clairement détaillée pour agir. Exemple concret. Des médecins généralistes
de la région parisienne n’ont reçu leur premier courriel – plutôt vague dans
ses mises en garde et instructions – qu’à la fin du mois de février alors que
la situation sanitaire dégénérait depuis longtemps en Italie.
Dans cette affaire, Emmanuel Macron et son gouvernement ont
une double responsabilité. La première est d’ordre structurelle. En menant une
politique de réduction des coûts et de marchandisation de la santé, avec
notamment une baisse du nombre de lits et la fermeture programmée de plusieurs
établissements de santé, l’équipe d’Emmanuel Macron a affaibli l’hôpital et sa
capacité à encaisser le choc épidémiologique. On rappellera néanmoins que cette
responsabilité est partagée avec les prédécesseurs de l’actuel président.
Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont leur part de responsabilité
dans ce qui se passe aujourd’hui. Tous ont mené des politiques de santé
restrictives. Autrement dit, sur ce plan, Emmanuel Macron n’est pas le seul
coupable, étant le continuateur, le complice, d’une entreprise de démolition
entamée il y a près de trois décennies et dont on voit bien le résultat
aujourd’hui. Face au Covid-19, dans la sixième puissance économique mondiale,
des hôpitaux ne fonctionnent aujourd’hui que grâce aux dons et au bricolage.
A l’inverse, on doit considérer qu’Emmanuel Macron est
l’unique responsable de certains faits précis. Elu en 2017, le président
français, tout à ses réformes détricotant le pacte social et à ses discours
fumeux sur la « start-up nation », n’a pas fait preuve de prévoyance.
Pourtant, pendant la campagne de 2017, l’actuel directeur général de la santé Jérôme
Salomon (à l’époque chef de pôle adjoint à l’hôpital Raymond-Poincaré de
Garches) alertait le candidat Macron sur l’absence totale de préparation de la
France face aux risques majeurs d’une épidémie mais aussi d’une catastrophe ou
d’actes terroristes avec tuerie de masse. Révélée par les « Macron Leaks »,
ensemble de courriels et d’autres documents électoraux rendus publics par un piratage
de la boîte courriel de plusieurs membres de l’entourage du candidat, cette
mise en garde prônait une « révision
en profondeur de la réponse nationale » face à de tels événements.
Gouverner, c’est prévoir… Or, rien n’a été prévu et donc,
rien n’a été fait. Une réflexion telle que souhaitée par Salomon aurait permis
de prendre conscience que la France n’avait pas de stocks de masques et qu’elle
était incapable d’en fabriquer. Idem pour les respirateurs. De même, l’évidence
de l’absence de capacités industrielles pour fabriquer en urgence des
médicaments et des composants nécessaires aux produits anesthésiants aurait
sauté aux yeux. Au passage, et puisqu’il en est encore temps, on peut se poser
la question concernant d’autres catastrophes possibles. Quid de la capacité de
réaction face à un incident nucléaire grave ? Après le manque de masques
et de respirateurs, faut-il craindre l’absence de pastilles d’iode ? Au vu
de l’impréparation du gouvernement à une épidémie virale, ce type
d’interrogation est totalement fondé.
Au défaut de prévoyance, donc à l’acte de mauvaise
gouvernance, on reprochera aussi à Emmanuel Macron des faits plus précis. La
désinvolture de son équipe alors que l’épidémie montait en puissance : une
ministre de la santé qui quitte le pont pour briguer la mairie de Paris, une
conseillère du président en matière de santé qui démissionne alors que la
tempête est là, des masques qui sont commandés trop tardivement sans oublier,
au-delà des scandaleux mensonges gouvernementaux sur la non-efficacité des
masques, deux fautes graves : l’appel présidentiel à continuer à sortir et à
fréquenter les spectacles (c’était une semaine avant la décision du confinement
général…) et, surtout, le maintien du premier tour des élections municipales,
décision irresponsable, pour ne pas dire criminelle, qui fera certainement l’objet
de nombreuses poursuites judiciaires.
A ces deux fautes on ajoutera une troisième qui se profile
et dont on ne pourra pas dire qu’elle n’a pas été identifiée. Le déconfinement,
même progressif, est désormais annoncé pour le 11 mai prochain mais le
gouvernement français sait pourtant que tout le monde ne pourra pas être testé
et que les masques, les vrais, pas les morceaux de tissu découpés à la hâte, ne
seront pas disponibles en quantité suffisantes. Le coronavirus est hautement
contagieux. Décider de mettre fin au confinement sans être capable d’appliquer
une vraie stratégie sanitaire de dépistage et de mise en quarantaine sera pire
encore que d’avoir exposé les électeurs au virus ou d’avoir abandonné à leur
sort durant plusieurs semaines les pensionnaires des établissements pour
personnes âgées. La liste des imprévoyances et des fautes d’Emmanuel Macron risque
fort de s’allonger.
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