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Le Quotidien d’Oran, Jeudi 30 juillet 2020
Akram Belkaïd, Paris
Un nouvel accessoire vestimentaire s’impose. De Paris à Alger en passant par New York, Madrid ou New Delhi, blanc, bleu ou multicolore, en coton, en toile ou en fibres synthétiques, il se porte au cou, de manière un peu négligée, un peu à la manière d’un foulard ou d’une barbe postiche. Si les circonstances l’exigent – comme en cas d’apparition d’une quelconque autorité susceptible d’exiger son port correct – contrôleur du métro, vigile de supermarché ou hôtesse de l’air, on peut le relever rapidement pour cacher sa bouche et son nez. Une variante, très répandue, consiste à se couvrir juste les lèvres mais à laisser libre l’appendice nasal pour pouvoir respirer normalement. En théorie, le masque chirurgical, puisque c’est de lui qu’il s’agit, doit être porté au plus près du visage car il sert à protéger autrui des risques d’une contamination au Covid-19. On peut éventuellement ajouter qu’il permet aussi dans de nombreux cas de se prémunir contre le virus mais l’affaire est loin d’être entendue. On ne cesse ici ou là de bretter à propos de l’efficacité de cet accessoire que, ceci expliquant peut-être cela, d’aucuns préfèrent appeler bavette, le même nom que la toile qui protège le cou des escrimeurs.
Après plusieurs semaines de tergiversations et de propos contradictoires, la décision du gouvernement français de rendre obligatoire par décret le port du masque dans tous les établissements recevant du public dans des endroits clos (centres commerciaux, bibliothèques, services publics et administrations, musées, cinémas, salles de spectacle ou de sport, les lieux de culte) a ravivé les polémiques. Acte d’autoritarisme intolérable ou mesure prophylactique de bon sens ? Et le masque, talisman sanitaire indispensable ou simple produit de consommation bénéficiant d’un coup de pouce réglementaire pour doper ses ventes ? En disant tout et son contraire à son propos depuis le mois de février, les autorités françaises ont largement contribué à cette cacophonie (1).
Fin février, alors que l’épidémie venue de Chine se propageait en Europe et ailleurs, le masque représentait pourtant un objet de convoitise et de trafics. Indisponible en France, il provoquait des vols dans des hôpitaux et des pharmacies, la police se retrouvant obligée de traquer les grossistes qui alimentaient un florissant marché noir (2). Dans certains établissements hospitaliers, on interdit aux personnel d’en porter afin de ne pas effrayer les patients. Puis on distribua des masques à la date de péremption depuis longtemps dépassée. A celles et ceux qu’indignaient une telle désinvolture, on expliqua que ce n’était pas la qualité de filtrage qui risquait d’être dégradée mais qu’il fallait juste veiller à vérifier la solidité des élastiques susceptibles de rompre après des années de stockage.
Dans d’autres hôpitaux, on inventa quelques règles empiriques, comme par exemple repasser au fer chaud un masque usagé pour le désinfecter et le remettre en service. Même bricolage pour les surblouses chirurgicales jetables, indispensables en unités Covid, dont on décréta qu’elles pouvaient être recyclées à condition que le personnel de santé les lave en machine. Des solutions alternatives virent aussi le jour avec le façonnage de sacs poubelles à grande contenance transformés en vêtement protecteur grâce aux tutoriels disponibles sur Internet. Pénurie oblige, l’art de la débrouille, propre à certaines régions sous-développées du monde, refaisait son apparition en France, sixième puissance économique mondiale incapable de fabriquer des masques quand le Maroc ou le Vietnam se targuaient de pouvoir en exporter.
A l’étranger, désireuses de faire oublier leur responsabilité dans l’aggravation de la pandémie, les autorités chinoises inaugurèrent la diplomatie du masque en approvisionnant certains pays parmi les plus touchés. Parfois en vain comme lorsque la République tchèque « récupéra » 680 000 bavettes envoyées par la province chinoise du Zhejiang à l’Italie où les morts au quotidien se comptaient par centaines (3). Officiellement, le gouvernement tchèque se justifia en affirmant que sa police luttait contre la contrebande et qu’une petite partie des saisies était effectivement un don chinois confisqué « par erreur ». Quoi qu’il en soit, les masques n’ont jamais été récupérés par l’Italie, Prague les ayant distribué à ses propres hôpitaux quelques heures à peine après la saisie.
Tétanisés à l’idée de devoir rendre des comptes pour justifier la pénurie de masques, y compris en milieu hospitalier, et l’insignifiance des réserves stratégiques, les dirigeants français n’ont eu de cesse de modifier leur discours au gré des circonstances et de l’évolution des stocks. Le 28 février, M. Olivier Veran, le ministre de la santé, donnait le ton : nul besoin de masque pour les bien-portants. « Les masques sont inutiles si vous n’êtes pas malades ; si vous n’avez pas été en contact proche de personnes malades. »Le 6 mars, M. Jérôme Salomon, Directeur général de la Santé en remettait une couche : « Je pense qu’il y a un consensus très clair aujourd’hui pour dire qu’il ne faut pas avoir de masques pour le grand public. Ça n’a pas d’intérêt. C’est même faussement protecteur. »Pourtant, le même Jérôme Salomon modifiait le ton dès le 3 avril : « nous encourageons effectivement le grand public s’il le souhaite à porter un masque. »Depuis le 16 juillet, et la décision du premier ministre Jean Castex de rendre le masque obligatoire dans les milieux clos, le grand public n’a rien à souhaiter, il doit juste s’exécuter. Au vu de la multiplication de signaux attestant d’une reprise de l’épidémie, il faut peut-être même s’attendre à ce que l’obligation s’étende à tous les lieux, y compris en plein air. On regrettera alors que Mme Sybeth Ndiaye ne soit plus porte-parole du gouvernement, elle qui expliquait doctement ne pas porter de masque car ne sachant pas comment le mettre (4).
Pour la vox populi, l’affaire est entendue. C’est l’évolution des stocks qui a commandé l’évolution du discours officiel. Indisponible, le masque chirurgical n’était pas jugé nécessaire. Désormais vendu dans toutes les pharmacies au prix maximum de 95 centimes l’unité (prix encadré par décret jusqu’au 10 janvier 2021), son port serait devenu obligatoire, nous disent les réseau sociaux, parce qu’il y aurait urgence à écouler les quantités importantes qui ont été importées. Côté gouvernement, on essuie le couteau sur l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Longtemps réservée quant à son efficacité, cette dernière a attendu le mois de juin, 400 000 morts et 7 millions de cas confirmés d’infection à l’échelle de la planète pour changer d’avis et affirmer que la bavette réduit « la probabilité d’être contaminé par le coronavirus de 85 % en cas de rencontre avec une personne infectée. (5)»
En France comme aux États-Unis ou ailleurs ces atermoiements sont pour partie responsables du refus du port du masque. Fin mai, le maire de la ville de Stillwater dans l’Oklahoma a dû revenir sur sa décision d’imposer le port du masque dans les commerces en raison des violences exercées contre les employés des magasins qui tentaient de faire appliquer cette directive. Dans un pays où il aura fallu attendre le 11 juillet pour que le président Donald Trump daigne enfin apparaître en public avec un masque à l’occasion d’une visite à l’hôpital militaire Walter Reed dans la banlieue de Washington, le refus de la bavette prend une dimension politique. « Je défends mes droits. C’est ma liberté que vous attaquez. Je ne veux pas de votre p… de masque. Vous n’avez pas à m’obliger à le porter. C’est contre la Constitution »hurle ainsi une cliente à l’encontre d’un employé d’un magasin Gelson en Californie. Partagée sur les réseaux sociaux le 17 mai dernier, la vidéo de l’algarade a été effacée depuis, mais la Constitution américaine est désormais invoquée par tous les récalcitrants. A tort, estiment la majorité des juristes américains dont certains font le parallèle avec l’interdiction de la cigarette dans les lieux publics pour des raisons de santé. Mais, sait-on jamais, un amendement au texte fondateur des Etats-Unis comportera peut-être un jour l’amendement suivant : « Nous, le peuple, refusons le port du masque. »Au Québec, une pétition en ligne réclamant l’annulation des mesures imposant le port du masque dans les lieux publics clos a réuni 60 000 signatures au bout de quelques heures avant d’être retirée du site web qui l’hébergeait pour infraction « aux règles de la communauté ». Partout, c’est au nom de la liberté que le refus du port du masque est brandi. On aimerait qu’une telle radicalité se manifeste pour des causes plus évidentes comme le droit à la santé pour tous.
(1) « ‘‘Inutile’’ pour le grand public, le masque devient ‘‘obligatoire’’, Le Figaro, 17 juillet 2020.
(2) « Covid-19 : les enquêtes sur les vols en série de masques se poursuivent », France inter, 25 mars 2020.
(3) « Coronavirus : la République tchèque saisit des milliers de masques destinés à l'Italie », Les Echos, 22 mars 2020.
(4) RMC, 20 mars 2020.
(5) « COVID-19 : l’OMS ajuste ses recommandations sur le port du masque », Département de la communication globale des Nations Unis, 10 juin 2020.
(6) « Can the government legally force you to wear a mask? », Poynter, 22 juin 2020.
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