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Le Quotidien d’Oran, jeudi 12 novembre 2020
Akram Belkaïd, Paris
Joseph Robinette Biden Jr., dit Joe Biden, est donc le quarante-sixième président des États-Unis d’Amérique. C’est du moins ce que la majorité des grands médias et agences de presse ont établi quatre jours après l’élection. Pourtant, ce résultat n’est pas encore officiel. Le président sortant Donald John Trump ne veut pas admettre (merci de ne pas utiliser le terme impropre de « concéder ») sa défaite. Il clame en multipliant les tweets en lettres capitales qu’il a gagné haut la main et que les démocrates ont triché en manipulant le vote par correspondance. On attend toujours qu’il produise les preuves de ces fraudes qu’il ne cesse de dénoncer… Mais avec lui, comme c’est le cas depuis des années, la vérité n’est pas le plus important. Il suffit d’affirmer l’existence d’un fait pour qu’il soit. L’affaire est certes risible mais la situation prend une tournure inquiétante, bien plus que « l’embarras » que Joe Biden évoque.
Ce scénario potentiel du pire, l’Afrique le connaît bien. Une élection présidentielle, deux candidats qui revendiquent la victoire. Le ton monte, les partisans de l’un et de l’autre se chauffent l’esprit et la violence qui a émaillé la campagne électorale repart de plus belle, menant parfois à la guerre civile. Bien entendu, les États-Unis n’en sont pas (encore) là. Pour le moment, les démocrates adoptent une attitude prudente, qu’ils aimeraient perçue comme « responsable », alors que le camp républicain multiplie les vociférations et les mises en cause. On relèvera au passage que les comportements serviles sont universels. En Algérie, des députés payés à ne rien faire obéissent aux ordres en votant à main levée n’importe quel texte et, aux États-Unis, les élus, sénateurs et représentants, du parti républicain n’osent pas féliciter Joe Biden par peur des représailles du clan Trump.
Plus d’une semaine après l’élection, plusieurs scénarios sont possibles d’ici le vote des grands électeurs le 14 décembre prochain puis la prestation de serment, la troisième semaine de janvier. On peut assister à une transition chaotique avec des tentatives multiples de la part du locataire de la Maison-Blanche d’entraver l’installation de Joe Biden dans ces mêmes locaux. Cela passera peut-être par des procédures judiciaires voire par un recours auprès de la Cour suprême. Pour le moment, la majorité des experts sollicités par les médias estiment que ces démarches n’ont quasiment aucune chance d’aboutir même si la « SCOTUS » (Supreme Court of the United States) est composée en majorité de juges conservateurs. Mais, sait-on jamais…
On peut aussi assister à une dégradation rapide du climat civil. A force de crier qu’on lui a volé sa victoire et d’appeler ses partisans à la rescousse, Trump est capable de provoquer une situation de grand désordre. Une marche à Washington, des manifestations localisées, des sit-in, c’est-à-dire tout ce que le président sortant envisage, représentent un jamais-vu dangereux qui peut facilement dégénérer en affrontements. Certes, certains médias américains affirment que des contacts discrets ont lieu avec l’équipe de transition démocrate mais cela reste à confirmer et, surtout, ce n’est pas encore officiel.
Depuis son élection en 2016, Trump a constamment brisé les conventions et remis en cause les normes en vigueur. Son comportement actuel s’inscrit en droite ligne de ses outrances et de sa capacité à toujours imposer son point de vue à son entourage. Pourquoi refuse-t-il la défaite ? Il est peu probable qu’il croit lui-même à ces histoires de fraude. Ce qu’il sait, par contre, c’est que se retrouver dans la peau d’un ex-président lui vaudra nombre de problèmes à commencer par la perte de son immunité face aux diverses enquêtes qui le concernent : fraude fiscale, favoritisme, etc. Il n’est donc pas exclu que sa surenchère actuelle accompagne des négociations dans l’ombre pour lui garantir sa tranquillité après janvier 2021.
On entend ici et là, y compris en Algérie, que Biden ou Trump, c’est du kif-kif, du « ki sidi, ki lalla ». Il y a un peu de vrai dans cela. Quel que soit le locataire de la Maison-Blanche, l’Amérique ne changera pas de politique extérieure, elle demeurera impérialiste, privilégiant toujours ses intérêts en premier. Les deux mandats de Barack Obama l’ont bien montré, lui dont la planète entière espérait une transformation radicale de l’Empire au prétexte qu’il appartient à la minorité noire. Pour autant, et c’est une situation récurrente pour ne pas dire désormais habituelle, entre deux maux, il faut choisir le moindre.
Donald Trump est un raciste décomplexé et un misogyne. Son élection à la Maison-Blanche a constitué un signal d’encouragement pour tout ce que la planète compte comme organisations réactionnaires et fascisantes. Il est l’homme du décret interdisant à certains musulmans d’entrer aux États-Unis (« muslim ban ») et du transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem en violation du droit international. Il suffit d’écouter quelques minutes, pas trop longtemps, le vacarme des marigots que constituent les chaînes françaises d’information en continu pour comprendre qu’il est l’idole de l’extrême-droite où qu’elle se trouve.
Tout le monde au Maghreb connaît l’histoire du clou (messmar) de Djha (Djoha). Ce dernier vend sa maison à condition de pouvoir rendre régulièrement visite à un clou porte-bonheur fiché dans l’un des murs. Au final, le nouveau propriétaire, lassé par les visites, finit par craquer et revendre la maison à Djha pour une bouchée de pain. Même expulsé de la Maison-Blanche, Trump, qui a récolté plus de soixante-dix millions de voix (plus que lors de sa victoire en 2016), laisse un clou planté dans le mur fêlé de la démocratie américaine. Cela signifie que rien n’est réglé mais le fait qu’il ne rempile pas pour un second mandat est déjà une bonne nouvelle à prendre.
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1 commentaire:
A moins que lui-même ou un membre de sa famille ne revienne dans la course en 2024 ?
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