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Le Quotidien d’Oran, jeudi 5 novembre 2020
Akram Belkaïd, Paris
A l’heure du bouclage de cette chronique, il n’était pas encore possible de savoir qui de Joe Biden ou Donald Trump a remporté l’élection présidentielle américaine. Mais au bout d’une soirée (et d’une nuit) de décompte serrés, il est d’ores et déjà possible de tirer plusieurs enseignements de ce scrutin à part. Le premier, le plus évident, est que contrairement à ce qu’annonçaient nombre de sondages mais aussi nombre de « spécialistes » des États-Unis, Donald Trump ne s’est absolument pas effondré. Bien au contraire. Il a sécurisé le vote en Floride et dans l’Ohio, deux États que les démocrates auraient aimé remporter pour gagner l’élection (cela vaut aussi, mais à un degré moindre pour les « chances » de Biden, pour le Texas et la Caroline du nord). Surtout, Trump n’a pas été stoppé par le fameux « mur bleu », ces États du nord, traditionnellement dévolus aux démocrates mais que le président américain avait déjà pu arracher, à la surprise générale, lors de l’élection de 2016 contre Hillary Clinton. Ce sont d’ailleurs les résultats du Wisconsin, du Michigan et de la Pennsylvanie qui devaient trancher.
Le second enseignement, qui est aussi tout autant évident, c’est que la vision du monde de Trump, ses outrances, son racisme, sa misogynie, son « anti-science » trouvent un vrai soutien au sein d’une partie de la population américaine. Mais, contrairement aux analyses simplistes, cela n’explique pas tout. Ses électeurs ne sont pas que des « red-necks », ces ruraux si souvent pointés du doigt pour leur conservatisme et leur vision binaire du monde. Il ne s’agit pas ici que de ces fous furieux défenseurs du droit de porter une arme et prompts à célébrer les figures ségrégationnistes du Sud. Bien au contraire. Trump est présent partout, y compris dans les zones urbaines (même s’il n’y arrive pas toujours en tête). En clair, des électeurs l’ont choisi pour d’autres motivations. Certains, ont même caché leurs intentions lors des sondages, attitude que seuls de rares médias ont signalée. Qui sont ces électeurs ? Ils sont présents dans toutes les catégories de la société et ils n’ont voté pour Trump que pour une seule chose : leur intérêt financier et économique. Avec lui, de 2016 à ce jour, ils ont eu droit à des réductions d’impôts à de nombreux niveaux et ils comptent sur lui pour limiter les dépenses sociales dont ils pensent – souvent à tort – qu’elles se font à leur détriment.
En clair, et pour reprendre l’explication d’une universitaire algérienne installée dans l’État du Maine, on peut très bien avoir affaire à un dentiste ou un architecte qui déplorera en public le discours raciste de Trump, qui se dira effrayé par son discours clivant et son comportement et ses « tweets » erratiques, mais qui, au final, vote pour lui en pensant à sa déclaration annuelle de revenus. Money, is the key my friend ! Il faudra aussi s’interroger sérieusement sur le fait que les électeurs originaires d’Amérique latine ou centrale, les « Latinos », ont voté pour Trump malgré ses discours racistes à leur encontre (il semble qu’en Floride, le matraquage présentant Biden comme socialiste a touché les électeurs d’origine cubaine et venezuelienne). Idem pour les « seniors » dont on disait qu’ils étaient ulcérés par la mauvaise gestion de la pandémie de Covid-19. Tout cela, à l’exception des retraités de l’Arizona, ne s’est pas vérifié dans les urnes. Quel que soit le résultat, Trump a créé la surprise.
Le troisième enseignement, est d’ailleurs lié aux sondages qui donnaient Joe Biden largement gagnant du scrutin. Aux États-Unis, le sondage est une véritable industrie. Cette dernière alimente en chiffres et pourcentages le monde politique mais aussi les médias, les acteurs culturels (maisons d’édition, cinéma, etc.). Elle est devenue tellement envahissante qu’elle tend à remplacer les vraies enquêtes, le porte-à-porte, le recours à de vraies études sociologiques menées au long cours. Ces dernières auraient peut-être alerté le parti démocrate que les « latinos » de Floride voteraient en masse pour Trump. Bref, le sondage n’est ni une vérité et certainement pas une prédiction en béton. Pour les journalistes, où qu’ils soient, cela permet de rappeler ces règles de prudence trop souvent oubliées : un sondage n’est pas un argument politique ou électoral, ce n’est pas une certitude et, surtout, ce n’est pas un matériau journalistique à favoriser surtout quand on n’a aucune idée de la manière avec laquelle il a été réalisé, aussi connu soit l’institut qui en est l’auteur.
Enfin, parmi d’autres enseignements à venir, on relèvera que les électeurs de Donald Trump n’ont pas hésité à aller voter malgré les risques sanitaires contrairement à la majorité des démocrates qui ont voté par correspondance. Cette conviction que le virus n’est pas dangereux ou qu’il faut vivre avec quels qu’en soient les dangers est sidérante. Elle prouve que Trump et ses discours niant la gravité de l’épidémie rencontrent une vraie adhésion populaire. Il est des absences de raison qui défient l’entendement.
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