Les négociations en cours avec le FMI suscitent des inquiétudes à Tunis où certains regrettent un manque d’initiative de l’Algérie alors que le Qatar lorgne sur les joyaux de l’économie tunisienne.
Les exigences du Fonds monétaire international (FMI) vont-elles mener la Tunisie à des turbulences politiques et sociales bien plus graves que ce qu’elle a connu depuis la chute de l’ex-président Ben Ali en janvier 2011 ? On le sait, le gouvernement tunisien largement contrôlé par le parti Ennahdha est en phase de négociations avancées avec le grand argentier international pour obtenir un prêt de 1,78 milliards de dollars. Un montant qui, selon plusieurs sources à Tunis, serait débloqué en deux ou trois tranches annuelles et dont la date de remboursement serait fixée à cinq ans. Selon d’autres informations en provenance de la capitale tunisienne, ce prêt serait destiné à équilibrer en partie un budget 2013 largement affecté par la baisse des recettes touristiques et l’atonie du secteur des phosphates.
Comme de coutume, le FMI exige en contreparties des réformes d’envergure. Officiellement, il n’est pas question « d’ajustement structurel », une expression qui a quasiment disparu du discours officiel du Fonds même si sa doctrine inspirée par le Consensus de Washington demeure d’actualité. Mais, dans le même temps, plusieurs fuites dans la presse tunisienne, font état d’exigences très fermes en matière de réduction des dépenses publiques et du rôle de l’Etat tunisien dans l’économie. A ce stade, nul ne sait encore si des privatisations sont prévues et dans quels secteurs. A l’inverse, fidèle à son approche habituelle, l’organisation internationale demande la réduction de nombreuses subventions, dont celle du carburant. Plus important encore, et malgré les timides démentis du gouvernement tunisien, il apparaît que la refonte en profondeur de la Caisse de compensation tunisienne est bel et bien examinée.
« Mémoire courte »
Problème, c’est bien la tentative de réformer cette instance chargée de subventionner les produits de base, qui a débouché sur des émeutes au début de l’année 1984 avec un bilan officiel de 70 morts. Comme le relève un syndicaliste tunisois, « le FMI a toujours la mémoire courte. A l’époque, la situation était moins explosive qu’aujourd’hui et pourtant le pays s’est embrasé. Veut-on rendre service aux salafistes en touchant aux subventions ? C’est à en rien y comprendre ». De passage à Tunis, un consultant algérien ayant un bon souvenir de ce qui s’était passé en 1984 est encore plus alarmiste. « On demande à la Tunisie d’aujourd’hui bien plus que ce que l’on demandait à celle de Ben Ali. C’est vrai qu’il y a urgence à réduire les dépenses publiques mais ce n’est pas le moment d’imposer une cure d’austérité à un pays qui cherche encore sa voie et où le chômage explose ».
Il faut dire aussi que l’opacité qui entoure les négociations n’arrange pas les choses. Chaque jour ou presque, et alors que le pays vit au rythme des crises successives, des rumeurs alertent l’opinion publique y compris au sein des sympathisants d’Ennahdha. Un jour, on affirme que le FMI exigerait une privatisation totale de la compagnie d’électricité Steg, un autre, on assure qu’au moins dix entreprises publiques seraient vendues avant la fin de l’année. Une rumeur d’autant plus tenace que les grandes banques d’affaires internationales dépêchent régulièrement des émissaires pour prendre la température et ne pas rater l’occasion de décrocher des mandats. De leur côté, plusieurs élus d’Ennahdha ont affirmé que le FMI cherche à imposer des « conditions politiques et culturelles » parmi lesquelles la rupture avec les courants salafistes et le maintien des ventes d’alcool dans les sites touristiques…
Nombre de démocrates tunisiens s’interrogent quant à eux sur l’utilisation future des fonds si, d’aventure, le crédit est octroyé. Là aussi, les critiques fusent, le gouvernement étant accusé de vouloir en consacrer une partie à l’indemnisation des militants islamistes internés ou persécutés sous Ben Ali. « Ce gouvernement est transitoire, il n’a pas à engager la Tunisie dans des réformes de fonds. Ce n’est pas à lui de négocier avec le FMI d’autant qu’il n’a aucune politique économique digne de ce nom » s’indigne de son côté un responsable du parti d’opposition Nidaa Tounes. Ce dernier, quelque peu persifleur, se demande pourquoi le Qatar, censé soutenir Ennahdha, n’ouvre pas sa bourse pour aider la Tunisie. « Est-ce que le Qatar et le FMI marchent la main dans la main avec pour objectif la privatisation de nos services publics comme l’électricité ou les transports ? » interroge-t-il.
Le geste qui ne vient pas !
Enfin, la majorité des interlocuteurs interrogés déplorent le fait que le riche voisin algérien ne fasse pas de geste envers la Tunisie pour lui épargner le passage humiliant sous les fourches caudines du FMI. « On ne cesse de lire que l’Algérie possède 200 milliards de dollars de réserves de change, relève un ancien ministre « technocrate » de Ben Ali. Récemment, elle a effacé une partie de la dette des pays africains et elle a même prêté trois milliards de dollars au FMI. Peut-être est-ce pour lui permettre d’accorder un crédit à la Tunisie… »
Selon nos informations, l’Algérie, qui a débloqué plus de 100 millions de dollars pour aider la Tunisie au lendemain du 14 janvier 2011 ferait actuellement la sourde oreille pour renouveler son aide financière de manière conséquente. Ce que déplore un ancien haut responsable algérien qui a toutefois une explication à cette situation. « Dans les années 1980, c’est l’Algérie qui a aidé la Tunisie à échapper à la cessation de paiement, se rappelle-t-il. Pourtant, en retour, les Tunisiens ne nous ont guère aidés lorsque l’Algérie a essayé d’éviter le rééchelonnement de sa dette. Il y a encore des gens pour s’en souvenir au sein du pouvoir algérien… ».
Pour autant, une aide financière de l’Algérie, avec ses propres conditionnalités, notamment en termes d’ouverture du marché tunisien aux entreprises publiques et privées algériennes, ferait sens d’autant plus que cela contrebalancerait l’influence économique du Qatar qui lorgne sur les joyaux économiques tunisiens. Mais l’incertitude politique dans laquelle baigne aujourd’hui l’Algérie avec l’absence du président Bouteflika ne lui permet peut-être pas de prendre une telle décision stratégique…
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