Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

samedi 1 février 2014

La chronique du blédard : Una star llamada Violetta

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 30 janvier 2014
Akram Belkaïd, Paris
 
Un samedi après-midi à Barize, non loin du pont de Grenelle et de la Tour Eiffel. Une centaine, voire plus, de gamines, ados et préados, quelques garçons aussi. Malgré la grisaille et le froid, les yeux sont rieurs et les sourires larges. C’est le grand jour, le « V-day ». Ça crie, ça piaille, ça « iiih » et ça « iiiihîîî », ça presse les parents d’allonger le pas et la cohorte de tons et rubans roses s’engouffre dans le hall de la salle de spectacle. Dans quelques minutes va débuter le concert de Violetta Castillo (de son vrai nom Martina Stoessel) et de sa bande, tous et toutes héros d’une teen-telenovela qui fait un malheur chez les boutonneuses et les boutonneux.
 
Comment, vous ne connaissez pas Violetta et sa voix d’or ? Laissons alors la parole à cette fan pour vous dire ce qu’il en est. « Tu vois, tu vois, Violetta c’est une très gentille fille. Elle vit en Argentine à Buenos Aires » (réflexion silencieuse de l’adulte, ‘’c’est bien cette série qui améliore les connaissances géographiques des enfants’’). Suite de l’explication : « Son père, il ne veut pas qu’elle chante mais elle a une voix superbe. Alors, elle s’inscrit en secret dans une école et elle devient une vedette. Elle est trop classe. Grâce à elle, j’adore l’espagnol. Ça fait trop du bien… ». Et voilà que la jouvencelle et ses amies se mettent à chanter, en cœur (et en un peu trop aigu). « No se si hago bien, no sé si hago mal. No se si decirlo, no sé si callar ! Ahora sé que la tierra es el cielo. Te quiero ! Te quiero ! ». Bon, la Violetta, elle ne sait pas trop quoi faire, parler ou se taire, mais elle l’aime. Qui ça ? Pas le temps d’avoir une réponse et on a juste le temps de se dire ‘’c’est bien cette série qui améliore les connaissances linguistiques des gamins’’. Après l’essor du germanique provoqué jadis par Tokio Hotel (*), voici donc venu le temps de l’expansion castillane due à Violettaaaaaâ…
 
Violetta, c’est à la fois Fame et Isaura (vous savez, cette série brésilienne en cent épisodes qui a fait chavirer l’Algérie au milieu des années 1980). Du chant, de la musique, des secrets de famille et des sentiments binaires (méchante la Ludmilla, rivale venimeuse de Violetta) ; De l’amour (le grand, le vrai), du doute, de la jalousie, de la tristesse, de la mélancolie et, pour sauver le tout, de l’amitié. Du Disney pur et dur mais concocté à la sauce latino. Au départ, en 2011, la série était destinée à l’Amérique latine mais Disney Channel a vite compris que d’autres continents lui tendaient les bras. Succès total et foudroyant dans tout le globe ou presque. Bonnes affaires aussi car qui dit Disney, dit aussi merchandising. Livres, tenues, albums : tout est bon à vendre pour les légions d’ados qui, les spécialistes de marketing le savent aussi bien que n’importe quel parent, sont de coriaces et opiniâtres prescripteurs.
 
Tiens, l’un des pères présents, psychologue à ses heures, répète à qui veut l’entendre ses explications. Violetta, selon lui, « c’est le symbole de l’ado en quête d’indépendance dans un monde où les parents surchargent leurs enfants d’affection, les empêchant de respirer, de s’accomplir et de trouver seuls leur voie ». On lui répond que c’est juste une grande sœur idéale que les plus jeunes admirent et rêvent d’avoir, il ne veut rien savoir. « Violetta, c’est la révolte larvée contre la pesanteur familiale, contre le '‘t’as fait tes devoirs, chéri ?’' Ou encore contre les activités sportives et culturelles imposées par les parents le mercredi » insiste-t-il.
 
On s’éloigne, se disant comme Jean-Patrick Capdevielle que les fous et le cirque sont en ville et que ce ne sera pas facile de se cacher. Mais ça y est, les portes sont ouvertes. Ça  va commencer (prononcez ces trois derniers mots à la castillane). Miracle de la technologie et du capitalisme culturel, le spectacle est retransmis en direct dans plusieurs cinémas du pays. Il faut dire qu’il fallait se lever tôt pour obtenir une place pour l’un des huit récitals de la chanteuse au Grand Rex de Paris. Tous ont affiché complet en quelques heures. Plus fort que Springsteen, Muse ou Dylan… Alors, pour profiter de l’aubaine, d’autres salles ont été réquisitionnées aux six coins de l’Hexagone pour des diffusions en multiplex. De quoi faire le bonheur des bambins. Enfin, presque…
 
En effet, en ce samedi après-midi déjà avancé, un terrible drame se joue. Si le concert a bien lieu, si un ou deux cinémas le retransmettent en simultané, partout ailleurs, c’est rideau noir. Ni images, ni son. Nada de nada… « Un problème technique », finiront par expliquer des responsables quelque peu désinvoltes aux jeunes spectateurs installés depuis un moment sur leurs fauteuils. Imaginez la déception, les cris et les pleurs. Les enfants qui hurlent et se roulent par terre. Gros chagrin, peine et déception à la mesure de l’attente joyeuse des derniers jours. Imaginez les parents hors d’eux, qui insultent et menacent les porteurs de la mauvaise nouvelle. Des parents qui ne veulent pas d’un remboursement et qui exigent Violetta à l’écran. On leur promettra tout et n’importe quoi, pourvu qu’ils s’en aillent. L’évacuation aura lieu sans les rires, sans les sourires de contentement qui suivent habituellement le dernier rappel mais avec des larmes et des sanglots. Méchante, très méchante la technologie.
 
Violetta reviendra peut-être à Paris (peut-être chantera-t-elle aussi à Alger sur l’esplanade de Riad el-Feth). A moins qu’elle ne prenne le même chemin que ses devancières de chez Disney, comme Britney Spears, une ancienne du All New Mickey Mouse Club, devenue depuis un peu foldingue ou Miley Cyrus, l'ex-vedette de la série musicale Hannah Montana qui s’est récemment distinguée par ses danses obscènes en public et en posant nue sur une boule de démolition. Sûrement pour se révolter contre la pesanteur familiale…
 
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