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Le Quotidien d’Oran, jeudi 9 février 2017
Akram Belkaïd, Paris
Comme tous les scandales politico-financiers, celui qui
concerne François Fillon et son épouse Pénélope constitue un cas d’études idéal
en matière de communication. Dans ce genre d’affaire, les mécanismes sont
presque toujours les mêmes. D’abord, la presse fournit des révélations qui font
grand bruit. Dans le cas présent, il s’agit du Canard Enchaîné, hebdomadaire satirique dont la spécialité est
aussi le journalisme d’investigation. Très vite, la riposte s’organise avec,
comme toujours, la nécessité de brouiller les pistes.
Ainsi, la vraie question qui se pose concernant l’épouse de
l’ex-Premier ministre est de savoir si ses emplois, payés avec de l’argent
public, étaient réels ou non. Le reste n’est que considérations plus ou moins
rationnelles sur l’éthique et sur les bonnes mœurs et la déontologie de la
classe politique française. En l’état actuel des choses, le mis en cause n’a
donné aucune preuve tangible quant à la réalité des postes occupés par son
épouse. Qu’il s’agisse de la fonction d’attachée parlementaire ou de pigiste
(de luxe…) à la revue Les Deux Mondes,
on attend toujours les preuves qui écarteraient l’accusation d’emploi fictif.
La défense de François Fillon, et l’on sent la patte des
spécialistes de communication de crise, a consisté dès le début à déplacer le
débat. On ne parle pas d’emplois fictifs, on oriente la discussion sur la
question de savoir s’il est légal ou non d’employer un membre de sa famille. Et
pour faire bonne mesure, parce qu’il faut donner l’impression de lâcher du
lest, on concède quelques contritions à propos de la moralité de la chose.
Fillon dit comprendre que les Français n’acceptent plus que des élus rétribuent
leurs proches. Or, cette fois, cet enfumage ne passe pas parce que les réseaux
sociaux jouent un rôle inattendu. Ils rappellent que le cœur du débat est le
caractère fictif ou non des emplois.
Un autre leurre, à l’image de ces
« contre-mesures » qu’un avion de chasse éjecte quand il est accroché
par un missile, consiste à insister sur les montants en question. Il est
évident qu’une pige à 50 000 euros pour un texte de quelques centaines de
caractères est un scandale. Il est évident que dans le contexte social actuel,
les rémunérations évoquées sont choquantes. Dans ce cas précis, la
communication de crise consiste à admettre la faute sur le plan moral mais à insister
sur le caractère légal de ces salaires. C’est l’argument avancé par les
soutiens de Fillon et il y en a encore beaucoup, c’est dire la déliquescence du
système.
Cette stratégie de diversion ne serait pas possible sans la
complicité active ou inconsciente de certains journalistes. Lors d’une émission
spéciale consacrée à cette affaire (Le
téléphone sonne), le journaliste de France Inter Nicolas Demorand n’a eu de
cesse de rappeler à ses invités et ses auditeurs que le fond du problème était
la réalité des emplois de Pénélope Fillon. Idem pour l’émission Envoyé spécial présenté par Elise Lucet.
Mais tel n’est pas le cas pour tant d’autres programmes ou articles. Certes, il
leur est difficile de ne pas mentionner cet aspect mais on a vu des
journalistes vedettes de certaines chaines d’information continue discourir
sans fin sur la légalité ou non d’employer ses proches quand on est un élu de
la République…
D’autres journalistes, ou plutôt des éditorialistes,
s’avèrent fort utiles pour tenter de faire baisser la pression et de
culpabiliser à la fois leurs confrères et le public qui réclame des comptes et
d’autres informations. Leur petite musique se fait entendre au bout de deux ou
trois jours. Ils dénoncent la « chasse à l’homme », le
« déchainement médiatique », laissent entendre, eux aussi, qu’il
s’agirait « d’un règlement de compte ». Ce fut le cas lors de
l’affaire Cahuzac quand nombre de « journalistes » prirent sur eux
d’attaquer le site Mediapart en réclamant « des preuves » avant de se
résoudre à se taire devant l’énormité du scandale. Ces journalistes
entretiennent depuis très longtemps une collusion avec le monde politique. On
se tutoie, on passe des vacances ensemble, il arrive même que l’on finisse par
se marier. Dans cette proximité douteuse, la matière essentielle est le tuyau,
la petite phrase exclusive qui étaiera un éditorial ou, il faut aussi le dire,
qui sera vendue à la fameuse page deux du Canard
enchaîné.
L’un des autres leviers de la communication de crise est de
créer plus de bruit. Autrement dit, il s’agit d’alimenter la presse avec
d’autres révélations afin de créer la confusion. Certes, la manœuvre est
dangereuse car il y a tout de même le risque d’affaiblir la personne qu’on veut
défendre mais, dans le même temps, cette profusion d’informations peut
provoquer la lassitude des électeurs et des journalistes qui suivent ces
affaires. C’est à l’aune de cette réalité qu’il faut évaluer les informations
concernant François, qui n’ont rien à voir avec Pénélope, et qui sortent
soudainement.
On terminera par l’un des aspects les plus controversés du
journalisme d’investigation mais qui s’avère être une nécessité. Quand une
information est imprimée, l’obsession des mis en cause et de leurs communicants
est de découvrir ce que les journalistes savent d’autre et qu’ils n’ont pas
encore publié, autrement dit les prochaines salves. Ces journalistes sont alors
accusés de « feuilletonner ». En réalité, leur tactique est simple.
Les premières mises au point des mis en cause sont souvent incomplètes pour ne
pas dire mensongères. Cela donne encore plus de poids aux informations qui sont
publiées ensuite. Cela Fillon le sait. Il tente de décrédibiliser la presse
mais à chaque fois qu’il se défend, les informations qui suivent sapent encore
plus sa position et l’enfoncent. Reste maintenant à savoir si ce Thénardier de
la politique lâchera prise ou non.
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