Le Quotidien d’Oran, jeudi 2 février 2017
Akram Belkaïd, Paris
Il est difficile de définir ce qu’est une bonne idée. On
peut avancer que c’est celle qui apporte une solution ou qui ouvre de nouvelles
perspectives. En étant plus terre à terre, voire cynique, on peut avancer
qu’une bonne idée est celle que l’on peut réaliser. Quoi qu’il en soit, s’il y
a bien une chose que l’humanité est capable de produire en masse, pour le bien
comme pour le pire, ce sont les idées. La semaine dernière, avec l’organisation
de La Nuit des idées, il m’est apparu
que ce sujet était peu souvent abordé.
Nous connaissons tous dans notre entourage des gens qui
sont des producteurs incessants d’idées. Certains sont totalement
désintéressés. Ils ne revendiquent aucune exclusivité et se contentent d’œuvrer
à la diffusion de leur pensée. D’autres sont bien moins généreux. Pour eux, les
idées sont une marchandise de l’esprit et elles sont soumises, comme le reste,
à des droits de propriétés. Dans le monde des sciences politiques il y a, par
exemple, de véritables haines entre de doctes et très connus spécialistes en
raison d’une revendication commune sur une idée ou un concept le tout étant
accompagné par des accusations réciproques de plagiat.
Une idée ne nait jamais seule et de son propre fait. Le
mécanisme demeure mystérieux et on ne saurait le décrire de manière
uniformisée. Les uns ont besoin de beaucoup lire pour être capables de faire
des propositions. Les autres préfèrent marcher ou échanger. Et ne parlons pas
de cette idée qui surgit au beau milieu du sommeil, conséquence du travail
permanent du cerveau, et qu’il faut le plus souvent noter dans la foulée si
l’on ne veut pas la perdre pour toujours. Dans tous les cas, et pour reprendre
une expression que j’aime beaucoup, on ne fait que se dresser sur les épaules
des géants qui nous ont précédé. Idées, discours, techniques de réflexion,
l’immense arsenal qui existe aujourd’hui était déjà disponible à l’Antiquité et
il faut donc prendre certaines idées pour ce qu’elles sont, autrement dit des
recyclages intelligents ou des adaptations.
Venons-en maintenant à une idée simple dont il a été
beaucoup question durant la campagne des primaires d’une partie de la gauche
française. Il s’agit du Revenu universel (RU). Avant d’aller plus loin,
relevons que Benoit Hamon, qui s’est fait le champion de ce thème, n’a fait que
reprendre un sujet en discussion depuis des années dans de nombreux pays
européens (les Suisses ont voté contre l’adoption d’un RU lors d’un référendum
au printemps 2016). Signalons aussi que l’Iran a expérimenté ce dispositif lors
des deux présidences de Mahmoud Ahmadinejad. Les économistes sont divisés quant
aux bienfaits de cette disposition et les politiques commencent à peine à le
découvrir.
Le Revenu universel est une idée qui aurait dû faire débat
en Algérie depuis longtemps. Au lieu de s’égarer sur les questions
identitaires, la « classe » politique – faisons semblant de
considérer qu’il en existe une – aurait dû s’emparer de ce thème. De façon
générale, j’avoue être souvent surpris de voir que les idées alternatives sont
si peu discutées ou si peu relayées dans notre pays. Un revenu pour tous,
jeunes ou vieux, femmes ou hommes, voilà pourtant une proposition qui ferait
sens dans un pays où l’un des griefs majeurs adressé au pouvoir est la mauvaise
redistribution, pour ne pas écrire la confiscation, de la rente pétrolière.
Bien entendu, il est nécessaire de mener des études,
notamment économétriques, pour déterminer la faisabilité d’un tel projet ou,
tout du moins, la manière dont il sera appliqué. Faut-il un salaire
mensuel ? Et de combien ? Au vu de l’importance démographique, faut-il
juste une gratification annuelle voire semestrielle ? On en revient là à
la définition même de la bonne idée. C’est celle qui, une fois formulée, est
soumise au feu roulant des critiques et des discours sceptiques. Ce n’est
qu’ainsi qu’elle finit par s’imposer (ou pas) et qu’elle ne se discute plus.
Certains vont estimer qu’un revenu universel en Algérie
sera synonyme de gaspillage. Que les quatre ou cinq milliards de dollars qu’une
telle mesure coûterait seront plus utiles ailleurs. C’est bien là le problème.
Cela fait des années que la rente pétrolière est synonyme de gabegie et de dépenses
totalement improductives. Si l’on parle de gaspillage, alors donner de l’argent
aux Algériens serait un « gaspillage intelligent », moins grave que
d’importer des milliards de tonnes de marchandises inutiles ou de lancer des
projets qui ne serviront à rien. Et un revenu universel aurait pour vertu de
relancer la consommation. Surtout, cela atténuerait les tensions sociales en
amoindrissant la rancœur de la population à l’égard d’un pouvoir qui ne se
préoccupe guère du bien-être général.
D’autres vont avancer que le revenu universel est une
mesure immorale car elle consiste à donner de l’argent aux gens sans qu’ils
travaillent. Certes, mais, de toutes les façons, une bonne partie des Algériens
ne travaille pas. Et plus important encore, cette rente pétrolière leur
appartient et il serait normal qu’ils en bénéficient de manière directe. Dans
ce genre de problématique, les arguments moraux ne comptent pas. Et relevons
qu’il y a des similitudes dans le discours de ceux qui critiquent le revenu
universel et ceux qui expliquaient au début du vingtième siècle que les congés
payés encourageraient le vice et l’oisiveté chez les salariés notamment les
ouvriers.
Qu’elle soit ou non réalisable, l’idée du revenu universel
mérite de devenir une revendication chez les Algériens. Reste donc à trouver
ses relayeurs et ses défenseurs.
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