Les accords d'Evian ont été signés le 18 mars 1962. La France se repenche enfin sur son passé.
Les présidents français Sarkozy et algérien Bouteflika, Nice, 31 mai 2010. REUTERS/Eric Gaillard REUTERS/Eric Gaillard
L'AUTEUR
Production éditoriale impressionnante, documentaires et reportages dans la presse écrite et les télévisions, colloques, salons du livre, débats aux quatre coins de l’Hexagone en attendant les commémorations et autres cérémonies officielles.
Le moins que l’on puisse dire c’est que la France n’ignore pas le cinquantième anniversaire de la fin de la Guerre d’Algérie ou, si l’on se place du côté algérien, le cinquantième anniversaire de l’indépendance. Chaque jour ou presque, le passé algérien de la France est présent à travers l’actualité culturelle, littéraire, universitaire ou même artistique. Pour l’heure, la classe politique française reste un peu en retrait de ce mouvement mais gageons que l’Algérie va bientôt faire son entrée dans la campagne électorale.
La classe politique française rattrapée par l'Algérie
Il suffira d’une phrase, d’une déclaration outrancière de l’une des candidates à l’élection présidentielle (suivez mon regard…), d’une référence appuyée à un camp ou à l’autre et l’on se retrouvera avec l’une de ces polémiques mémorielles dont la France a le secret. Souvenons-nous de 2005 et de cette tristement célèbre loi sur les aspects positifs de la colonisation (abrogée depuis). A l’époque ce ne fut que diatribes et prises de positions tranchées comme si les blessures du passé n’attendaient qu’une occasion pour se rouvrir.On peut donc s’attendre à ce que des dérapages interviennent le 19 mars prochain, date anniversaire de l’entrée en vigueur des Accords d’Evian et du cessez-le-feu entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA). Ce sera peut-être le moment pour les uns de vanter feu l’Algérie française, de dénoncer les «crimes du FLN», de verser des larmes de crocodiles sur les harkis, de pleurer les populations européennes «massacrées après l’indépendance» notamment à Oran et d’en rajouter une couche sur l’immigration algérienne en France. Ce sera aussi l’occasion, pour d’autres, de rappeler la monstruosité de l’ordre colonial, la torture, les corvées de bois, les zones interdites et, bien sûr, les violences suicidaires de l’OAS.
Un transfert mémoriel
Mais, pour l’heure, nous en sommes peut-être au meilleur moment des commémorations du cinquantième anniversaire. Les politiques se tenant encore à distance de ce sujet, c’est toute la richesse d’une production intellectuelle diverse qui nous est offerte.
Que de livres, que de sujets d’interrogations, que d’écrits destinés à revisiter une période charnière, celle de la fin du processus de décolonisation et de la naissance d’une nation. Cette profusion de manifestations démontre l’importance de la mémoire algérienne en France.
Une importance souvent minimisée par la classe politique française qui tend à vouloir banaliser ses rapports avec l’Algérie. Une banalisation qui, finalement, ne tient guère compte de la réalité. Même si elle n’est guère citée, l’Algérie est un fantôme qui hante les couloirs du Palais de l’Elysée ou du Palais-Bourbon où siègent les députés français. Ainsi, quand ces derniers décident que la loi punira désormais les insultes à l’encontre des harkis et autres supplétifs de l’armée française durant la Guerre d’Algérie, ils ne font que faire resurgir un passé qui refuse de disparaître.
Et il ne faut pas croire que les jeunes générations sont moins concernées par cette période. Comme l’explique souvent l’historien Benjamin Stora, il y a bel et bien eu un transfert mémoriel.
Des jeunes originaires de familles pieds-noirs veulent comprendre, décoder, saisir une réalité coloniale que leurs parents leur ont parfois décrite de manière sommaire ou fantasmée.
Cela ne signifie pas que les jeunes générations reprennent à leur compte les engagements passés de leurs aînés. Ce n’est pas parce que le père était «Algérie française» que le fils ou la fille adoptent aujourd’hui une position hostile à l’Algérie indépendante ou à l’égard des Algériens qui résident en France.
Ils veulent tout simplement comprendre, analyser et, souvent, être au plus près de leurs racines. Cela vaut aussi pour d’autres acteurs de ce que fut la Guerre d’Algérie. Enfants et petits-enfants respectifs de harkis, de militants du Mouvement national algérien (MNA), de porteurs de valises, de déserteurs de l’armée française, d’objecteurs de conscience: Nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui veulent comprendre et en savoir plus.
Désintérêt des Algériens
L’omniprésence du cinquantième anniversaire de la fin de la Guerre d’Algérie tranche de manière paradoxale avec le relatif désintérêt des Algériens pour la commémoration du cinquantième anniversaire de l’indépendance de leur pays. Certes, quelques manifestations sont bien prévues ça et là. Bien sûr, le sujet est abordé par la presse, notamment par le biais d’articles mémoriels ou de biographies de militants disparus. Mais l’on ne sent pas la même frénésie, le même appétit à la fois culturel et artistique pour ce moment clé de l’histoire des Algériens.A cela, on peut trouver plusieurs explications. Il y a d’abord le fait que les Algériens ont d’autres chats à fouetter dans une conjoncture marquée par d’importantes tensions sociales et des difficultés économiques qui assaillent la majorité de la population. Il y a aussi le fait que cette Guerre d’indépendance ne parle guère aux jeunes générations même si le pouvoir en place, émanation comme il le dit lui-même de la «famille révolutionnaire», dira toujours le contraire. Il serait d’ailleurs intéressant de pouvoir procéder à un sondage-test en interrogeant les moins de trente ans en Algérie. Les questions posées pourraient être les suivantes: combien de temps a duré la guerre d’indépendance? Quelle est la date exacte de l’indépendance? Dans quelles circonstances est né le FLN? Qui a signé les accords d’Evian? Les résultats risqueraient d’être très surprenants…
Le spectre de la décennie noire et la perspective des élections
La tiédeur des Algériens vis-à-vis de la célébration du cinquantième anniversaire de l’indépendance vient aussi du poids de la décennie noire (1992-2002). C’est cette dernière qui est encore dans tous les esprits puisque l’Algérie n’en finit pas de panser les plaies de ce qui fut une guerre civile qui n’a jamais voulu dire son nom. Et le fait que le pays soit encore confronté aux mêmes problèmes politiques qu’au début des années 1990 n’arrange pas les choses.
La perspective d’élections législatives controversées (une partie de l’opposition a décidé d’opter pour le boycottage) le 10 mai prochain, les interrogations à propos de la succession du président Abdelaziz Bouteflika, tout cela fait passer le souvenir de l’indépendance au second plan. Reste enfin une autre explication majeure qui relève du non-dit. En effet, fêter l’indépendance, c’est être obligé de faire le bilan de ces cinquante dernières années. «Qu’avons-nous fait de notre indépendance?» est une question que les dirigeants algériens n’ont guère envie de voir posée par leur peuple et, surtout, à laquelle ils n’ont guère envie de répondre…