Le
Quotidien d’Oran, jeudi 12 juillet 2018
Akram
Belkaïd, Paris
Paris en fête. Rare. Très rare depuis quelques années… Bon, d’accord, ce n’est pas une finale qui a été gagnée mais « juste » une demi-finale (France 1 Belgique 0). Mais on parle ici d’une qualification des « Bleus » pour la finale de la Coupe du monde de football, pas pour le dernier match d’un banal tournoi de quartier. Les gens ne pouvaient que sortir de chez eux pour fêter l’événement et scander le fameux « On est en finale ! On est en finale, on est, on est, on est en finale ! ». Comme ce fut le cas en 1998 et en 2006, la foule a convergé vers l’avenue des Champs-Élysées. Obligé, à l’insu de son plein gré, de suivre deux jeunes gens à la voix très vite cassée, le présent chroniqueur s’est donc d’abord retrouvé dans une rame de métro bondée où ça criait, ça chantait, ça sautait (malgré les mises en garde du chauffeur), ça se tamponnait comme lors d’un concert de heavy-métal, ça brandissait des grands verres de bière avant d’en asperger tout le monde, touristes asiatiques compris.
Station
de métro Champs-Élysées Clémenceau. L’avenue est totalement interdite à la
circulation. Les paquets humains se dirigent vers l’étoile. La masse en
mouvement est impressionnante. Des pétards éclatent. On se crispe mais on s’y habitue
vite. Ou presque. Les ultras du Paris-Saint-Germain sont là, craquant des
fumigènes rouges et, les deux bras levés en l’air, profitent de l’occasion pour
rappeler qu’ils réservent au fondement des Marseillais des outrages que la
décence interdit d’évoquer ici. Unité nationale peut-être, mais pas au point de
faire ami-ami avec les gens du 13… Tiens, à peine deux minutes et voici le
premier drapeau algérien qui passe. Et puis un autre. Il faudra un jour
réfléchir sérieusement à tout cela, à cette omniprésence que d’autres pays
essaient en vain d’imiter. En attendant, les mêmes qui brandissent l’étendard
vert, blanc et rouge chantent « one,
two, three, viva Umtiti ! ». Belle adaptation qui fera
certainement grincer quelques dents wanetoutristes mais qu’importe. L’unique
buteur du match le mérite.
Des
bouteilles se brisent sur le pavé. La bière, toujours et encore. Dans de grands
gobelets, dans des bouteilles en plastic, dans du verre. Ce qui frappe, c’est
la jeunesse des fêtards. Au cœur de cette foule qui chante « il est nul mais on s’en fout, Giroud !
Giroud ! », il y a beaucoup de mineurs et très peu d’adultes y
compris trentenaires. Ce soir, sur la dite plus belle avenue du monde, la
majorité de celles et ceux qui gravissent le faux-plat en direction de l’Arc de
triomphe n’ont certainement pas connu le sacre de Zinedine Zidane et de sa
bande. Des gamins, donc. Mais qui picolent sec. Ce soir, l’interdiction de la
vente d’alcool aux mineurs est visiblement suspendue… L’observation est
empirique, limitée dans le temps mais l’œil attentif ne peut s’empêcher de
noter que les jeunes filles consomment autant d’alcool que leurs camarades
sinon plus. Et les quantités avalées ne se limitent pas à une simple canette.
Osons aussi livrer cette remarque : il nous a semblé, mais peut-être
n’était-ce qu’une impression trompeuse, que les jeunettes, cris aigus, propos
décousus et pas chancelants, étaient les plus éméchées.
Revenons
aux chants sur les champs. Dans l’une des chroniques rédigées au fil du
mondial, je relevais que la France n’est pas vraiment un pays de football
contrairement à certaines nations d’Amérique du sud ou aux quatre pays
européens qui « vivent » le ballon rond (Allemagne, Italie, Espagne
et, surtout, Angleterre ou de façon plus générale Grande-Bretagne) *. Cela se
confirme à plusieurs niveaux comme, par exemple, la couverture journalistique
du sport-roi ou bien le nombre modeste de titres internationaux pour les clubs
de l’Hexagone. On retrouve cela aussi dans les chants de supporters, qu’il
s’agisse des équipes de Ligue un ou de l’équipe nationale. Pour résumer, ces
chants sont peu nombreux, souvent pauvres en paroles et très répétitifs. Bien
sûr, il y a eu quelques innovations à l’image de celui dédié à la gloire de
l’arrière droit français : « Benjamin
Pavard, Benjamin Pavard, je crois pas que vous connaissez, il sort de nulle
part, une frappe de bâtard, on a Benjamin Pavard ». Oui, je sais,
riche est la rime…
Quand
ils ont besoin d’un chant plus long, plus prenant que le très convenu « qui ne saute pas n’est pas français ! »
(puisque c’est comme ça, manesotich
comme dirait DZ Joker) ou l’ultra-rabâché « la,
la-la, la-la ! » de Gloria Gaynor, les supporters français n’ont
pas d’autre choix que de se rabattre sur La Marseillaise. Les Anglais, eux, ont
le désormais célèbre « football is
coming home » sans oublier les hymnes de leurs clubs, parfois repris
quand jouent The Three Lions à
l’image des incontournables « you’ll
never walk alone » ou « don’t
take me home ». Surtout, aucun chant entonné dans les stades de France
et de Navarre n’a la force émotionnelle de « Fields
of Athenry », que les supporters Irlandais peuvent chanter durant
toute une rencontre sans jamais s’arrêter comme ce fut le cas le 14 juin 2012 à
Gdansk lors du match de championnat d’Europe Espagne – Eire (4-0). Malgré la
lourde défaite de leur équipe, les chœurs irlandais n’avaient cessé de résonner
jusqu’au sifflet final.
Autour
de l’Arc de triomphe, la densité humaine augmente. L’espace devient rare. C’est
le moment où il faut s’éloigner car, petit à petit, l’ambiance bon enfant fait
place à quelque chose de plus indécis, d’un peu plus inquiétant. Quelques
bagarres vite calmées, des chutes, une agressivité qui monte, une, deux ou
trois motos de coursiers qui se faufilent en prenant des risques inconsidérés
pour les piétons, les CRS qui commencent à manœuvrer pour hâter la dispersion. L’heure
de rentrer… C’était le mardi 10 juin au soir : une belle joie collective à
Paris comme seul le football sait en procurer.
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