Quel est le poste le plus maltraité par les journalistes qui suivent le football (mais aussi par le public et les légions de commentateurs) ? La réponse coule de source. C’est celui de gardien de but. Quoi qu’il fasse, on sera toujours plus sévère à son égard que s’il s’agit d’un joueur de champ. Même en cas de victoire, on lui reprochera le but encaissé ou, pire encore, un mauvais renvoi, un coup de « moins bien » dans sa relance, une sortie hasardeuse ou, tout simplement, le fait d’avoir passé un match tranquille et de ne pas avoir « eu l’occasion de s’illustrer ». Dans la pratique des notations, les portiers savent qu’ils n’auront droit à aucune indulgence et c’est injuste. Or, l’un des enseignements des quarts de finale qui viennent de se termine est lié aux performances des quatre gardiens des équipes qualifiées. Et pourtant pas ou peu d’articles à ce sujet…
Etre gardien de but, c’est être à part. C’est déjà jouer
autrement que les autres. C’est s’entraîner seul. C’est regarder le jeu au loin
tout en sachant que le danger peut vite venir. C’est savoir qu’il suffit d’une
erreur, une seule, pour rejoindre la longue liste honteuse des gardiens ayant
commis une boulette. Exemple. En 1984, Luis Arconada, gardien de but de l’Espagne,
accomplit une excellente Coupe d’Europe des nations. De lui, on parle alors de « lord »,
de « prince ». Mais en finale, il laisse passer un ballon tiré sur coup-franc
par Michel Platini. But et naissance d’une expression que l’on utilise encore
aujourd’hui : « faire une Arconada ». Depuis, d’autres gardiens,
certains très talentueux, ont fait des bêtises comparables. Le dernier en date
est Muslera, le portier de l’Uruguay qui s’est « troué » sur un tir
de Griezmann lors du quart de finale France – Uruguay (2-0). Un ballon (de
plage) qui flotte, qui dévie soudain de sa trajectoire, et c’est le but gag. Il
y a plus d’un mois, c’était Loris Karius, le gardien de Liverpool, qui s’illustrait
par deux cagades lors de la finale de la Ligue des champions face au Real de
Madrid. Et l’on dit désormais « faire une Karius ». Quoi qu’il fasse,
cela le suivra toute sa carrière (et au-delà).
Il est de bon ton de moquer les portiers anglais. David
James, qui fut pourtant détenteur, en son temps, du record du plus grand nombre
de matchs sans encaisser de buts dans le championnat anglais (Premier League),
restera à jamais affublé de son surnom « Calimity James » en raison
de quelques bourdes pourtant bien moins nombreuses que ses arrêts
exceptionnels. Jordan Pickford, l’actuel « keeper » des Three Lions
est encensé par tout le monde, notamment après son match parfait contre la Suède
(2-0) et son arrêt à la Gordon Banks (un grand gardien anglais) durant cette
rencontre. Mais gageons qu’à la première erreur majeure, on ressortira le
cliché éculé du « les gardiens anglais sont capables du pire ».
Dans le football moderne tel qu’il a évolué, un gardien de
but ne remportera jamais le Ballon d’or même s’il gagne la Coupe du monde (cf
Buffon en 2006 ou Neuer en 2014). Il lui faudrait être invaincu sur toute une
saison ou presque… Il lui faudrait répondre à des critères irréels qui lui imposent
une exigence de perfection absolue. Il suffit d’entendre certains commentaires journalistiques
à propos du magnifique arrêt de Lloris face à l’Uruguay pour le comprendre :
« oui, c’était un bel arrêt mais il a tout de même renvoyé le ballon en
direction de Godin [joueur uruguayen] ». Accablement…
Le poste de gardien de but a beaucoup évolué au cours de ces
vingt dernières années. Désormais, on leur demande d’avoir un bon jeu au pied,
d’être capables de faire des relances rapides et même d’endosser le rôle de
libéro à l’image de l’Allemand Neuer. On leur demande aussi d’être le patron de
leur surface. Le quart de finale entre la Croatie et la Russie a d’ailleurs
donné lieu à une séquence échappée du passé footballistique. Gêné à la cuisse,
le portier croate Danijel Subašić a laissé le soin à l’un de ses défenseurs de
faire une remise en jeu aux six mètres. La chose était fréquente jusqu’au début
des années 1990 mais aujourd’hui c’est au gardien que revient cette charge, ce
qui exige de lui de la puissance (et de la précision) au dégagement. Sur le
plan du gabarit, avoir une taille inférieure à 1m90 est considéré comme un
handicap. On semble avoir oublié qu’un Fabien Barthez ne mesurait « que »
1m79 et ne parlons pas du 1m73 de Jean-Luc Ettori… Le Belge Thibaut Courtois,
héros du match contre le Brésil (2-1) est l’archétype de cette nouvelle
génération de portiers : 1m94 (d’autres statistiques donnent le chiffre de
1m96). Petit plus, la pratique du volley-ball lui a donné un atout certain,
celui d’être capable d’aller très vite au sol.
L’une des évolutions du poste dont on parle le moins est la
conséquence de la généralisation de l’usage des gants. Le temps des portiers
qui jouaient mains nues est terminé. Les gardiens ont désormais des battoirs
qui atténuent les chocs des tirs puissants mais qui empêchent aussi des prises fermes
de ballons. Le dégagement aux poings, le ballon boxé ou relâché constituent des
gestes bien plus fréquents aujourd’hui que par le passé.
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