Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

dimanche 8 juillet 2018

Au fil du mondial (24) : La dure condition de gardien de but

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Quel est le poste le plus maltraité par les journalistes qui suivent le football (mais aussi par le public et les légions de commentateurs) ? La réponse coule de source. C’est celui de gardien de but. Quoi qu’il fasse, on sera toujours plus sévère à son égard que s’il s’agit d’un joueur de champ. Même en cas de victoire, on lui reprochera le but encaissé ou, pire encore, un mauvais renvoi, un coup de « moins bien » dans sa relance, une sortie hasardeuse ou, tout simplement, le fait d’avoir passé un match tranquille et de ne pas avoir « eu l’occasion de s’illustrer ». Dans la pratique des notations, les portiers savent qu’ils n’auront droit à aucune indulgence et c’est injuste. Or, l’un des enseignements des quarts de finale qui viennent de se termine est lié aux performances des quatre gardiens des équipes qualifiées. Et pourtant pas ou peu d’articles à ce sujet…

Etre gardien de but, c’est être à part. C’est déjà jouer autrement que les autres. C’est s’entraîner seul. C’est regarder le jeu au loin tout en sachant que le danger peut vite venir. C’est savoir qu’il suffit d’une erreur, une seule, pour rejoindre la longue liste honteuse des gardiens ayant commis une boulette. Exemple. En 1984, Luis Arconada, gardien de but de l’Espagne, accomplit une excellente Coupe d’Europe des nations. De lui, on parle alors de « lord », de « prince ». Mais en finale, il laisse passer un ballon tiré sur coup-franc par Michel Platini. But et naissance d’une expression que l’on utilise encore aujourd’hui : « faire une Arconada ». Depuis, d’autres gardiens, certains très talentueux, ont fait des bêtises comparables. Le dernier en date est Muslera, le portier de l’Uruguay qui s’est « troué » sur un tir de Griezmann lors du quart de finale France – Uruguay (2-0). Un ballon (de plage) qui flotte, qui dévie soudain de sa trajectoire, et c’est le but gag. Il y a plus d’un mois, c’était Loris Karius, le gardien de Liverpool, qui s’illustrait par deux cagades lors de la finale de la Ligue des champions face au Real de Madrid. Et l’on dit désormais « faire une Karius ». Quoi qu’il fasse, cela le suivra toute sa carrière (et au-delà).

Il est de bon ton de moquer les portiers anglais. David James, qui fut pourtant détenteur, en son temps, du record du plus grand nombre de matchs sans encaisser de buts dans le championnat anglais (Premier League), restera à jamais affublé de son surnom « Calimity James » en raison de quelques bourdes pourtant bien moins nombreuses que ses arrêts exceptionnels. Jordan Pickford, l’actuel « keeper » des Three Lions est encensé par tout le monde, notamment après son match parfait contre la Suède (2-0) et son arrêt à la Gordon Banks (un grand gardien anglais) durant cette rencontre. Mais gageons qu’à la première erreur majeure, on ressortira le cliché éculé du « les gardiens anglais sont capables du pire ».

Dans le football moderne tel qu’il a évolué, un gardien de but ne remportera jamais le Ballon d’or même s’il gagne la Coupe du monde (cf Buffon en 2006 ou Neuer en 2014). Il lui faudrait être invaincu sur toute une saison ou presque… Il lui faudrait répondre à des critères irréels qui lui imposent une exigence de perfection absolue. Il suffit d’entendre certains commentaires journalistiques à propos du magnifique arrêt de Lloris face à l’Uruguay pour le comprendre : « oui, c’était un bel arrêt mais il a tout de même renvoyé le ballon en direction de Godin [joueur uruguayen] ». Accablement…

Le poste de gardien de but a beaucoup évolué au cours de ces vingt dernières années. Désormais, on leur demande d’avoir un bon jeu au pied, d’être capables de faire des relances rapides et même d’endosser le rôle de libéro à l’image de l’Allemand Neuer. On leur demande aussi d’être le patron de leur surface. Le quart de finale entre la Croatie et la Russie a d’ailleurs donné lieu à une séquence échappée du passé footballistique. Gêné à la cuisse, le portier croate Danijel Subašić a laissé le soin à l’un de ses défenseurs de faire une remise en jeu aux six mètres. La chose était fréquente jusqu’au début des années 1990 mais aujourd’hui c’est au gardien que revient cette charge, ce qui exige de lui de la puissance (et de la précision) au dégagement. Sur le plan du gabarit, avoir une taille inférieure à 1m90 est considéré comme un handicap. On semble avoir oublié qu’un Fabien Barthez ne mesurait « que » 1m79 et ne parlons pas du 1m73 de Jean-Luc Ettori… Le Belge Thibaut Courtois, héros du match contre le Brésil (2-1) est l’archétype de cette nouvelle génération de portiers : 1m94 (d’autres statistiques donnent le chiffre de 1m96). Petit plus, la pratique du volley-ball lui a donné un atout certain, celui d’être capable d’aller très vite au sol.

L’une des évolutions du poste dont on parle le moins est la conséquence de la généralisation de l’usage des gants. Le temps des portiers qui jouaient mains nues est terminé. Les gardiens ont désormais des battoirs qui atténuent les chocs des tirs puissants mais qui empêchent aussi des prises fermes de ballons. Le dégagement aux poings, le ballon boxé ou relâché constituent des gestes bien plus fréquents aujourd’hui que par le passé.

On terminera cette chronique en relevant un autre fait. Les gardiens fantasques ont disparu depuis longtemps sans oublier ceux qui marquaient des buts, par penalty ou même grâce à d’impressionnants dégagements (une fantaisie que les entraîneurs n’apprécient guère). Sans parler du colombien René Higuita (allez voir son « coup du scorpion » sur youtube), où sont passés les Jean-Marie Pfaff, José Luis Chilavert ou, les plus âgés s’en souviennent peut-être, l’argentin Hugo Gatti ? Aujourd’hui, les gardiens ne prennent plus de risques (ou ils n’ont plus ce droit). Ils sont trop sérieux, trop lisses : trop conformes aux exigences du football moderne où celui qui gagne doit être celui qui encaisse le moins de buts et non pas celui qui en marque le plus…
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