Le Quotidien d’Oran, jeudi 19 juillet 2018
Akram Belkaïd, Paris
Champs-Élysées, dimanche 15 juillet 2018 (photo Akram Belkaïd)
La victoire des Bleus en finale de la coupe du monde de
football ne plaît pas à tout le monde y compris en France. Avant même le sacre
de dimanche dernier, les réseaux sociaux ont charrié des messages ouvertement
racistes et favorables à l’équipe croate au prétexte que cette formation
serait, elle, « blanche et
véritablement européenne ». Ce n’est pas une surprise. Dans le
contexte européen actuel, la parole raciste s’est libérée depuis longtemps et
celles et ceux qui estiment que l’équipe de France n’est pas représentative de
la « vraie » population française, autrement dit blanche et
chrétienne, ne font que reprendre les propos du « philosophe » Alain
Finkielkraut.
Dans un entretien accordé au quotidien israélien Haaretz (25
novembre 2005), ce dernier avait ainsi déclaré : « On nous dit que l'équipe de France est admirée parce qu'elle est
black-blanc-beur. (...) En fait, aujourd'hui, elle est black-black-black, ce
qui fait ricaner toute l'Europe. » Rien de nouveau sous les voutes
putrides… Déjà, à l’époque, cette déclaration sonnait comme une vengeance
contre l’euphorie née de la victoire des Bleus en finale de la Coupe du monde
en juillet 1998.
Au fil du parcours de l’équipe entraînée par Didier
Deschamps, on a pu lire ici et là des suppliques incitant à ce que l’on ne
tombe pas dans le piège de l’exaltation du « black – blanc – beur ».
Cette idée, plutôt répandue, me fait penser qu’il y a bel et bien une
régression par rapport à 1998. A l’époque, même une personnalité aussi
controversée que Charles Pasqua, ancien ministre de l’intérieur et instigateur
des tristement célèbres « charters » pour Bamako (renvoi de
sans-papiers), avait plaidé pour une « France
plus généreuse » en matière d’accueil et d’intégration. Bien sûr,
l’esprit de juillet 1998 s’est vite étiolé, aidé en cela par le choc des
attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis et par la présence de Jean-Marie
Le Pen au second tour de l’élection présidentielle française de 2002.
Mais à qui la faute ? Pourquoi d’une communion
nationale est-on passé à des émeutes à l’automne 2005 ? La réponse est
simple : après 1998, la classe politique française comme le monde des
affaires et de l’entreprise n’ont pas été à la hauteur des enjeux et le statu
quo n’a pas été remis en cause. Aujourd’hui, le message délivré est clair. Il
met en garde contre tout emballement. La victoire de l’équipe de France ne
saurait constituer un catalyseur pour que ce pays fasse mieux (on n’écrira pas
qu’il ne fait rien) en matière de lutte contre les inégalités sociales et les
discriminations.
Revenons aux contempteurs des Bleus. En Italie, pays dirigé
aujourd’hui par des néo-fascistes, une véritable vague de haine a déferlé sur
les réseaux sociaux. Même un journal comme le Corriere della Sera, l’un des plus diffusés, n’a pas pu s’empêcher
d’ironiser sur la nature « africaine » de l’équipe française et de
lui opposer une équipe croate composée « seulement
de Blancs ». Par contre, aucune ligne sur le fait que le chanteur
ultranationaliste croate, Thompson (de son vrai nom Marko Perkovic), accusé de
sympathie pour le régime oustachi pronazi, était présent dans le car des
joueurs de la Croatie qui a paradé à Zagreb…
En Italie, comme ailleurs, un tweet, partagé des milliers de
fois, représentait les visages des principaux joueurs français avec le drapeau
et le nom de leur pays africain « d’origine ». A l’inverse, on
retiendra les propos de l’ancien président des États-Unis Barack Obama : « Regardez l’équipe de France qui vient
de remporter la Coupe du monde. Tous ces gars ne ressemblent pas, selon moi, à
des Gaulois. Ils sont français, ils sont français ! » (Paroles
prononcées lors d’un discours à Johannesburg à l’occasion du centenaire de la
naissance de feu Nelson Mandela).
Par une symétrie fréquente, l’argument du « ils sont d’origine africaine »
est aussi repris par des personnes pourtant à l’opposé des courants
identitaires et racistes. L’idée, pour elles, est de démontrer que
l’immigration fait « du bien » à la France puisqu’elle lui offre des
champions. Il y a aussi l’idée implicite que l’ancienne puissance coloniale continue
d’exploiter l’Afrique. C’est là où la prudence et la raison s’imposent. Si l’on
considère, comme le présent chroniqueur, que ces joueurs sont d’abord et avant
tout Français, il faut bien réfléchir à la question du « qui bénéficie de
qui ». Précisions notre pensée. Ces joueurs ont certes des parents
originaires d’Afrique mais ils sont nés en France ou, pour certains, ils y sont
arrivés à leur plus jeune âge. Autrement dit, c’est la France qui a fait d’eux
ce qu’ils sont. Vaille que vaille, c’est la France qui les a formés. Exception
faite de Lucas Hernandez, formé en Espagne, tous les autres joueurs ont eu leur
première licence de football dans un (petit) club français. Nous ne sommes pas
dans le cas où la France est allée « chercher » (acheter ?) des
joueurs déjà formés pour bénéficier de leur talent, à l’image du Qatar qui
s’est offert une équipe nationale d’handball en naturalisant des joueurs aguerris
venus d’un peu partout.
La formation française en matière de football n’est pas un
mythe. Le quotidien Le Monde rappelle
ainsi que « sur les 736 joueurs ayant participé à la Coupe du monde de
football 2018, cinquante-deux (52) sont nés et ont été formés en France. »
(1) Et pour qui suit ce sport de près, il suffit de se pencher sur l’actuel
marché des transferts pour se rendre compte que tous les clubs européens
sillonnent la France à la recherche de jeunes pépites prometteuses.
Bien sûr, ces Bleus champions du monde sont aussi le fruit
d’une éducation familiale, d’une transmission de valeurs, d’un
« bain » culturel mais ce n’est pas cela qui fait le bon athlète. Au
Cameroun, pays d’origine de son père, comme en Algérie, pays d’origine de sa
mère, on parle beaucoup de Kylian Mbappé. Mieux, on se l’approprie. Certes, il
y a de quoi être fier qu’un petit-enfant du pays soit champion du monde. Mais
ce titre, Mbappé, 19 ans, ne le doit ni au Cameroun ni à l’Algérie. Ce n’est
pas dans ces deux pays qu’il aurait trouvé les conditions sociales, les structures
sportives et pédagogiques pour progresser et devenir ce qu’il est aujourd’hui.
Par contre, s’il est un endroit qui peut revendiquer sa part de Coupe du monde,
c’est la ville de Bondy en région parisienne et son club de l’AS Bondy. Idem
avec l’US Fontenay-sous-Bois de Blaise Matuidi ou l’US Roissy-en-Brie de Paul
Pogba ou encore, pour ne prendre qu’eux, l’AC Villeurbanne pour Nabil Fekir ou
l’ES Fréjusienne pour Adil Rami.
De tous les pays africains mis en avant dans le fameux tweet
cité précédemment, aucun n’a fait l’effort d’investir le millième de ce que la
France a consenti pour les sports. Et qu’on ne me dise pas qu’il s’agit d’une
question de moyens. De l’argent, il y en a en Afrique, du moins il devrait y en
avoir pour ce qui concerne le football. Qu’ont fait, ou que vont faire, les
pays africains qui ont joué la Coupe du monde des centaines de milliers de
dollars que la FIFA et leurs sponsors vont leur verser ? Combien de
stades, de gymnases ou de piscines vont être construits ? Combien
d’éducateurs pour jeunes vont être formés ? Combien de ballons vont être
distribués ? Combien de médecins du sport ? De nutritionnistes ?
On connaît la réponse…
D’où viennent les titres mondiaux du football
français ? D’une décision de la fédération de France de football passée
inaperçue à l’époque. Celle, prise en 1976, d’acheter un terrain et de créer
l'institut national du football de Clairefontaine (inauguré en 1988) dont on
connaît le rôle charnière en matière de formation. A ce jour, aucune fédération
africaine ne dispose d’un centre équivalent, même plus modeste. Nous
connaissons tous le bordel, pardon pour ce mot, qui règne dans ces fédérations
aux effectifs pléthoriques où règnent en maître des fripouilles et autres
affairistes qui n’ont rien à voir avec la pratique du sport. Nous savons tous
où cet argent va aller ou, plutôt, nous savons tous où il n’ira pas…
L’équipe de France est une belle équipe. Elle est française,
il n’y a aucun doute là-dessus. Et sans renier les origines des uns et des
autres, disons simplement que ce n’est pas une équipe africaine qui a été
sacrée championne du monde, dimanche 15 juillet. C’est l’équipe de France où
jouent des Français dont, pour certains, les parents sont Africains. Pourquoi
ces derniers sont-ils allés en France est une autre question qui n’a rien à
voir avec le football et le sacre des Bleus le 15 juillet 2018 à Moscou.
(1) « Football : la France est aussi championne de la
formation des joueurs », 18 juillet 2018.
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