Le Quotidien d’Oran, jeudi 28 juin 2018
Akram Belkaïd, Paris
Il est toujours difficile, quand on est Algérien, de
s’exprimer à propos de la situation politique ou sociale au Maroc ou bien
encore au Sahara occidental. Si on le fait, il faut anticiper au moins deux
réactions. Dans la première, on est immanquablement accusé d’être aux ordres du
pouvoir algérien, de « travailler
avec les services » et d’agir sur ordre pour porter atteinte à la
réputation d’un voisin qui « réussit
mieux » que l’Algérie. On a beau avoir dit et écrit pis que pendre de
son propre régime, cela ne sert à rien. On est forcément « un agent ».
La seconde réaction va de pair avec la première.
Formule-t-on une critique à l’égard du royaume, et nous voici renvoyé à l’emprise
« des généraux », au « cinquième mandat » qui
s’annonce, à la situation économique et sociale guère reluisante, à l’agitation
et aux manœuvres troubles de certains leaders inconscients à propos de la
Kabylie, et, bien sûr aux affaires de corruption (et maintenant de drogue) sans
oublier le souvenir des années 1990 avec leur cortège de tueries et
d’attentats. Ici, le message est celui du « chez
vous, ce n’est guère mieux ». Et, de façon générale, ce qui est
recherché, c’est le « chacun chez
soi et les moutons seront bien gardés ».
On risque aussi d’être confondu avec celles et ceux qui,
effectivement, vouent une haine chauvine au voisin marocain. Qu’importent les
circonstances et les événements, ceux-là seront toujours enclins à l’invective
et au dénigrement. Leurs homologues de l’autre côté de la frontière (fermée) ne
valent guère mieux. Alors, disons-le en guise de liminaire, l’auteur de ces
lignes ne se sent pas étranger quand il est au Maroc. Il y est « chez
lui », avec « les siens » dans un pays qu’il aime autant que
celui qui l’a vu naître.
Voilà pourquoi il est impossible de se taire après ce qu’il
vient de se passer. Quatre jeunes marocains originaires du Rif viennent d’être
condamnés à une peine de vingt ans de prison. Leur crime ? Être considérés
comme les meneurs du Hirak (« mouvance »), cet important mouvement de
contestation sociale ayant agité le nord du Maroc entre 2016 et 2017 et dont
les soubresauts continuent malgré la chape de l’ordre et le silence de la
majorité des médias. Officiellement, les mis en cause ont été jugés coupables
de « complot visant à porter
atteinte à la sécurité de l’État. » Rien que ça… Et que dire de la condamnation
à trois ans de prison infligée à un confrère marocain ayant couvert ces
événements ?
Voilà qui renvoie à une période que l’on croyait à jamais
révolue. Celle des années de plomb durant laquelle la contestation politique
sous le règne de feu le roi Hassan II subissait une implacable répression. A la
fin des années 1990, après la mort du souverain et l’accession au trône de son
fils Mohammed VI, on pensait que la page serait définitivement tournée. Il
semble que l’on se soit trompé. Voici le message diffusé sur le réseau twitter
par le journaliste politique Abdellah Tourabi : « Quel ascenseur émotionnel en un jour : hier la fierté et la joie
collective d’être marocains [en référence à la Coupe du monde], et ce soir le dégoût, l’inquiétude pour le
pays et la résignation, après les jugements sévères des détenus du Rif. Cette
nuit sera tristement mémorable ». D’autres personnalités de la société
civile, dont Ahmed El-Haij ,le président de l’Association marocaine des droits
de l’homme (AMDH), n’ont pas hésité à reprendre à leur compte l’expression « années de plomb ». Bien
entendu, silence radio du côté des « intellectuels » et autres
écrivains franco-marocains dont l’allégeance au makhzen ne fait plus de doute
et cela malgré leur discours soit disant transgressif à propos de questions
sociétales.
Mais de quoi s’agit-il ? Les manifestants du Rif n’ont
pas cherché à séparer leur région du royaume. Ils n’ont pas projeté de coup
d’Etat. Ils n’ont pas fait fuir des capitaux de leur pays pour les investir
dans l’immobilier parisien ou londonien, au Panama ou dans des paradis fiscaux.
Leur démarche n’a jamais été identitaire même si certains slogans très isolés
ont pu être mis en avant par la propagande du makhzen. Comme le relevaient de
nombreux internautes marocains, c’est pour dénoncer le sous-développement, le
chômage endémique et le manque d’infrastructures hospitalières ou
universitaires que ces manifestants se sont mobilisés. En prenant connaissance
de leurs revendications, nombreux sont ceux qui ont pensé que, finalement, peu
de choses ont changé dans cette région du Rif depuis les années 1970 et 1980.
Et ce sont des méthodes de ces années-là qui ont été appliquées pour casser le
mouvement de protestation. Ce jugement n’est rien d’autre qu’une immense hogra.
Il y a quelques jours, le Maroc échouait à obtenir
l’organisation de la Coupe du monde de football de 2026 au profit de la
candidature du trio Canada, Etats Unis d’Amérique et Mexique. Pour promouvoir
son dossier, le royaume avait vanté ses performances économiques et ses
« avancées » notamment en ce qui concerne le respect des droits de la
personne humaine. On prête à Rabat la volonté de tenter de nouveau le coup pour
le tournoi de 2030. De quoi sera-t-il question dans le dossier ? De quels
progrès sera-t-il fait mention ?
Comme nombre de pays arabes, le Maroc a besoin de justice et
d’une répartition des richesses plus équitable.
En ces temps où le courant réactionnaire venu du Golfe s’attaque à tous
les acquis progressistes nés des indépendances, une nouvelle ère de combat
s’ouvre. Le pouvoir marocain pense que punir de la sorte une jeunesse
contestatrice lui garantira le calme. L’erreur est profonde. Ce qui s’est passé
en 2011 est encore dans les mémoires. Les condamnés du Rif doivent être libérés
et leurs revendications doivent être entendues. Et dire cela, ce n’est pas
oublier que les combats sociaux menés en Algérie, ou ailleurs, méritent
eux-aussi d’être soutenus.
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