Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

dimanche 1 juillet 2018

La chronique du blédard : Maroc : une hogra contre le Hirak !

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 28 juin 2018
Akram Belkaïd, Paris

Il est toujours difficile, quand on est Algérien, de s’exprimer à propos de la situation politique ou sociale au Maroc ou bien encore au Sahara occidental. Si on le fait, il faut anticiper au moins deux réactions. Dans la première, on est immanquablement accusé d’être aux ordres du pouvoir algérien, de « travailler avec les services » et d’agir sur ordre pour porter atteinte à la réputation d’un voisin qui « réussit mieux » que l’Algérie. On a beau avoir dit et écrit pis que pendre de son propre régime, cela ne sert à rien. On est forcément « un agent ».

La seconde réaction va de pair avec la première. Formule-t-on une critique à l’égard du royaume, et nous voici renvoyé à l’emprise « des généraux », au « cinquième mandat » qui s’annonce, à la situation économique et sociale guère reluisante, à l’agitation et aux manœuvres troubles de certains leaders inconscients à propos de la Kabylie, et, bien sûr aux affaires de corruption (et maintenant de drogue) sans oublier le souvenir des années 1990 avec leur cortège de tueries et d’attentats. Ici, le message est celui du « chez vous, ce n’est guère mieux ». Et, de façon générale, ce qui est recherché, c’est le « chacun chez soi et les moutons seront bien gardés ».

On risque aussi d’être confondu avec celles et ceux qui, effectivement, vouent une haine chauvine au voisin marocain. Qu’importent les circonstances et les événements, ceux-là seront toujours enclins à l’invective et au dénigrement. Leurs homologues de l’autre côté de la frontière (fermée) ne valent guère mieux. Alors, disons-le en guise de liminaire, l’auteur de ces lignes ne se sent pas étranger quand il est au Maroc. Il y est « chez lui », avec « les siens » dans un pays qu’il aime autant que celui qui l’a vu naître.

Voilà pourquoi il est impossible de se taire après ce qu’il vient de se passer. Quatre jeunes marocains originaires du Rif viennent d’être condamnés à une peine de vingt ans de prison. Leur crime ? Être considérés comme les meneurs du Hirak (« mouvance »), cet important mouvement de contestation sociale ayant agité le nord du Maroc entre 2016 et 2017 et dont les soubresauts continuent malgré la chape de l’ordre et le silence de la majorité des médias. Officiellement, les mis en cause ont été jugés coupables de « complot visant à porter atteinte à la sécurité de l’État. » Rien que ça… Et que dire de la condamnation à trois ans de prison infligée à un confrère marocain ayant couvert ces événements ?

Voilà qui renvoie à une période que l’on croyait à jamais révolue. Celle des années de plomb durant laquelle la contestation politique sous le règne de feu le roi Hassan II subissait une implacable répression. A la fin des années 1990, après la mort du souverain et l’accession au trône de son fils Mohammed VI, on pensait que la page serait définitivement tournée. Il semble que l’on se soit trompé. Voici le message diffusé sur le réseau twitter par le journaliste politique Abdellah Tourabi : « Quel ascenseur émotionnel en un jour : hier la fierté et la joie collective d’être marocains [en référence à la Coupe du monde], et ce soir le dégoût, l’inquiétude pour le pays et la résignation, après les jugements sévères des détenus du Rif. Cette nuit sera tristement mémorable ». D’autres personnalités de la société civile, dont Ahmed El-Haij ,le président de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), n’ont pas hésité à reprendre à leur compte l’expression « années de plomb ». Bien entendu, silence radio du côté des « intellectuels » et autres écrivains franco-marocains dont l’allégeance au makhzen ne fait plus de doute et cela malgré leur discours soit disant transgressif à propos de questions sociétales.

Mais de quoi s’agit-il ? Les manifestants du Rif n’ont pas cherché à séparer leur région du royaume. Ils n’ont pas projeté de coup d’Etat. Ils n’ont pas fait fuir des capitaux de leur pays pour les investir dans l’immobilier parisien ou londonien, au Panama ou dans des paradis fiscaux. Leur démarche n’a jamais été identitaire même si certains slogans très isolés ont pu être mis en avant par la propagande du makhzen. Comme le relevaient de nombreux internautes marocains, c’est pour dénoncer le sous-développement, le chômage endémique et le manque d’infrastructures hospitalières ou universitaires que ces manifestants se sont mobilisés. En prenant connaissance de leurs revendications, nombreux sont ceux qui ont pensé que, finalement, peu de choses ont changé dans cette région du Rif depuis les années 1970 et 1980. Et ce sont des méthodes de ces années-là qui ont été appliquées pour casser le mouvement de protestation. Ce jugement n’est rien d’autre qu’une immense hogra.

Il y a quelques jours, le Maroc échouait à obtenir l’organisation de la Coupe du monde de football de 2026 au profit de la candidature du trio Canada, Etats Unis d’Amérique et Mexique. Pour promouvoir son dossier, le royaume avait vanté ses performances économiques et ses « avancées » notamment en ce qui concerne le respect des droits de la personne humaine. On prête à Rabat la volonté de tenter de nouveau le coup pour le tournoi de 2030. De quoi sera-t-il question dans le dossier ? De quels progrès sera-t-il fait mention ?


Comme nombre de pays arabes, le Maroc a besoin de justice et d’une répartition des richesses plus équitable.  En ces temps où le courant réactionnaire venu du Golfe s’attaque à tous les acquis progressistes nés des indépendances, une nouvelle ère de combat s’ouvre. Le pouvoir marocain pense que punir de la sorte une jeunesse contestatrice lui garantira le calme. L’erreur est profonde. Ce qui s’est passé en 2011 est encore dans les mémoires. Les condamnés du Rif doivent être libérés et leurs revendications doivent être entendues. Et dire cela, ce n’est pas oublier que les combats sociaux menés en Algérie, ou ailleurs, méritent eux-aussi d’être soutenus.
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