Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

lundi 9 juillet 2018

Au fil du mondial (25) Quand marquer contre son camp, c’est gagner…

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Le football, c’est aussi une quantité astronomique d’anecdotes, de faits insolites et d’actions de jeu, ou hors du jeu, aussi improbables les unes que les autres. Tout cela contribue à entretenir la légende de ce sport et à alimenter d’interminables discussions où chacun a son récit privilégié à conter. Ici, on parle du fameux « match de la neige » joué en Suède sous des températures polaires. Là, on citera les innombrables irruptions de spectateurs (strickers) sur la pelouse, invasions dont l’un des exemples majeurs reste le fameux France – Algérie (4-1) d’octobre 2001 au stade de France à Saint-Denis.

Sur internet, il existe un nombre impressionnant de vidéos immortalisant ces moments à part : des arbitres qui se mettent à cogner des joueurs, des entraîneurs qui se collètent avec un joueur qui vient de sortir, des animaux qui envahissent le terrain, des policiers qui coursent un gardien coupable d’une bévue, un président de club qui descend sur la pelouse et sort son arme, etc. Non filmé, mais enregistré dans la mémoire familiale du présent chroniqueur, il y a aussi des souvenirs personnels, comme cette rencontre professeurs – élèves à l’école des cadets de Koléa (Algérie) où l’arbitre s’est soudain rendu compte que l’équipe des augustes enseignants comptait un joueur de trop. Penalty et carton rouge pour le remplaçant entré de lui-même sur le terrain car lassé d’attendre sur le banc.

En ce soir de detox, et en attendant la demi-finale de demain (et les derniers soubresauts de la nouvelle polémique autour de Thierry Henry accusé de « trahison » par quelques abrutis ayant droit au micro), j’aimerais donc vous parler d’un match insolite dont toute l’Amérique centrale parle encore. L’idée m’est venue après la chronique sur les tirs aux buts, cette dernière ayant poussé un lecteur à m’interroger à propos de l’abandon de la règle du but en or (le premier qui marque en prolongations est immédiatement qualifié car la rencontre s’arrête).

L’histoire concerne le match du 27 janvier 1994 entre La Barbade et Grenade comptant pour les qualifications de la Gold Cup, l’équivalent de la Coupe des Nations d'Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes (10 victoires pour le Mexique, 6 pour les Etats-Unis et 3 pour le Costa-Rica, quelques miettes pour le Canada, le Guatemala et le Honduras).

A quelques minutes de la fin du match, le score est de 2-1 pour La Barbade. La victoire semble assurée mais pas la qualification en raison d’un goal-average encore favorable à Grenade. Pour se qualifier, la Barbade doit absolument l’emporter avec deux buts d’écart. Or, il ne reste pas beaucoup de temps pour marquer un troisième but. C’est donc à ce moment-là que les Barbadiens ont une idée diabolique.

Ils savent alors que, selon le règlement (étrange) de la compétition, un but en or marqué en prolongation compte double. Pour la Barbade, le scénario idéal serait que Grenade égalise et que la période réglementaire du match se termine par un score de 2 à 2. Ensuite, durant les prolongations, il faudrait que les Barbadiens marquent le but en or et le score final ne serait donc pas de 3 à 2 mais de 4 à 2 ce qui ouvrirait la voie à la qualification pour le prochain tour.

Oui, mais voilà, il ne reste que trois minutes à jouer, le score est toujours de 2-1 pour La Barbade et les prolongations ne sont pas en vue car l’équipe de la Grenade sait qu’elle n’a aucun intérêt à égaliser puisque le goal-average est à son avantage. Qu’à cela ne tienne, les joueurs de La Barbade décident donc de… marquer contre leur propre camp à la 87ième minute (aucun règlement n’interdit de marquer de manière délibérée contre son camp…). Le score passe ainsi à 2 à 2 et cela ouvre la voie aux trente minutes de prolongations.

L’affaire, vous vous en doutez, ne s’arrête pas là. Les joueurs de Grenade saisissent la manœuvre et ils comprennent vite qu’ils doivent absolument empêcher les prolongations et éliminer ainsi le risque de subir un but en or « compte double ». Comment faire ? Marquer un but aux adversaires ? Ils n’ont pas assez de temps. La solution est évidente : il leur faut imiter les Barbadiens et scorer contre leur propre camp. Certes, cela les ferait perdre mais avec un seul but d'écart, autrement dit pas de prolongations ni de but en or...

Voilà donc un joueur de Grenade qui s’en va pour marquer contre son gardien. Et qui l’en empêche ? Un attaquant de La Barbade… Pour résumer, on est dans un match complètement fou, où, pour espérer pouvoir se qualifier, une équipe (La Barbade) doit conserver le match nul quitte à empêcher un « auto-goal » adverse. Quant aux joueurs de La Grenade, il leur faut marquer un but à tout prix et dans n’importe quelle cage… Pour la petite histoire, la Barbade réussira à obtenir les prolongations et à se qualifier en marquant le fameux but en or.

Ce match, qui déclencha en son temps la polémique, a inspiré par la suite quelques coachs en mal d’innovation pour concocter des séances d’entraînement originales. L’idée est simple. Il s’agit d’organiser une opposition où une défense composée de cinq à six joueurs doit défendre deux cages à la fois (ce qui lui impose de traverser le terrain à toute vitesse selon la progression du ballon). Quant à l’attaque, elle peut marquer dans chacun des deux buts. Cet exercice crée de la confusion et de la désorientation (ce qui peut arriver en cours de match) mais aussi de l’amusement.

Autre variante, une opposition classique entre deux équipes mais, au sifflet de l’entraîneur, il y a permutation de quelques joueurs qui se retrouvent à évoluer aux côtés de ceux qui étaient leurs adversaires quelques secondes plus tôt. Là aussi, l’idée est de faire travailler la capacité d’adaptation et donner un peu de piment à des séances qui, parfois, lassent les joueurs.

On terminera cette chronique en relevant que le fait de marquer contre son camp pour obtenir les prolongations afin de l’emporter sur écart de points plus large a touché d’autres sports dont le basket-ball. Cela a poussé la fédération internationale de ce sport à interdire les paniers contre son camp.

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