Le football, c’est souvent l’ennui (cf. les rencontres d’hier,
mardi 3 juillet, surtout celle entre les Archaïques et les Cafeteros) mais c’est
aussi la rareté. Rareté plus ou moins relative des buts. Rareté des belles
occasions et du beau jeu (c’est ce que vous diront celles et ceux qui suivent
la Ligue 1 française). Mais il n’y a pas que ça. Lors du prochain match, prenez
quelques minutes, concentrez-vous et essayez de compter les passes vers l’avant,
celles qu’on qualifie de verticales parce qu’elles sont directes et parallèles
aux longueurs du rectangle que constitue le terrain de jeu. Par verticalité, et
j’insiste là-dessus, j’entends une passe qui ne s’écarte pas de plus de vingt
degrés de la ligne longitudinale qui passerait sous les pieds du passeur. Les transversales
qui écartent le jeu sont elles aussi précieuses mais ce n’est pas d’elles dont
il s’agit ici.
Le match a commencé. Allez-y comptez… En voici une et hop,
le ballon est vite perdu, ou alors il revient vers l’arrière ou il peut encore circuler
de manière latérale ou transversale. Le stéréotype le plus fréquent est la
combinaison suivante : une passe vers l’avant, une passe transversale vers
l’arrière puis un long centre vers l’avant…
La verticalité est une prise de risque qui amène le danger
dans le camp de l’adversaire mais c’est un art difficile à manier parce que le
passeur doit d’abord être précis. Pas question que la trajectoire dévie et que
cela provoque une contre-attaque. L’autre raison de son caractère délicat vient
du fait que celui qui reçoit le ballon doit être démarqué ou en mouvement. Si
les attaquants sont statiques, s’ils sont trop collés à l’adversaire, le
porteur de ballon renoncera à les solliciter et il retournera vers l’arrière ou
recherchera un coéquipier proche de lui. Cela met en exergue un aspect
fondamental du football moderne : c’est le mouvement des attaquants et des
milieux offensifs qui favorise la verticalité et peut créer la différence. Il
faut « proposer une solution » au passeur.
La verticalité peut aussi être facilitée par le talent de
celui qui reçoit le ballon. Ce dernier doit avoir la capacité de résister à la
charge de l’inévitable adversaire qui lui tombera sur le dos puis d’enchainer
en se retournant pour faire face au but adverse. Quand c’est réussi, cela donne
lieu à l’un des plus beaux mouvements du football : réception, contrôle,
arc-de-cercle avec la balle au pied, nouvelle passe. Parfois aussi c’est l’avant-centre
qui est recherché, son rôle alors étant de remiser « un deuxième ballon »
en faveur d’un attaquant en mouvement.
Une passe verticale qui atteint son but peut procurer une
émotion esthétique. Il y a comme quelque chose de silencieux qui claque, un peu
comme lorsqu’on apprécie l’emboîtement de plusieurs pièces d’un mécanisme. On
pourrait comparer cela à l’émotion que déclenche la réussite d’un dégagé ou d’une
échappée que l’œil avisé repèrera dans une longue chorégraphie. L’idée, ici,
est celle de la fluidité. De la simplicité. Et ce qui est simple est si souvent
rare…
Certains milieux ou attaquants font tout pour favoriser la
verticalité. Observez ce joueur qui se situe loin de l’action qui se déroule
dans son propre camp. Comment se tient-il ? Il regarde ce qu’il se passe
dans sa zone mais il ne tourne pas complètement le dos au but adverse. Il est
de profil, épaules presque parallèles à la ligne de touche. Cela lui donne la
possibilité de recevoir un ballon et d’enclencher immédiatement vers l’avant.
Ou bien alors cela peut lui permettre de déclencher la course qui lui permettra
de recevoir le ballon « dans la profondeur » (autrement dit pas dans
les pieds mais vers l’avant, à charge pour lui d’être plus rapide que les
défenseurs).
Un joueur a longtemps incarné cette verticalité. Il s’agit
de l’espagnol Cesc Fabregas (période Arsenal où il régalait ses attaquants). Absent
de ce mondial, son style du « toujours vers l’avant » n’a que
rarement cadré avec celui de son équipe nationale. Certes, la Roja adore les
passes, mais il s’agit pour elle de multiplier les longues combinaisons
destinées à trouver la faille et nombre d’entre elles vont vers l’arrière ou
les côtés. Durant cette coupe du monde, la verticalité n’est pas fréquente
(sauf dans le cas de contre-attaques comme celle de la Corée du sud contre l’Allemagne).
Lors du match de la France contre l’Argentine, Blaise Matuidi a réalisé
quelques belles passes verticales dont deux furent à l’origine d’un but. Quant à la Croatie de Modric, elle a été "verticale" durant le premier tour avant d'oublier son football porté vers l'avant lors des huitièmes de finale (espérons qu'elle saura le retrouver contre la Russie). La
verticalité est précieuse mais trop rare.
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