Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mercredi 22 mars 2017

La chronique du blédard : La peur sur le terrain

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 16 mars 2017
Akram Belkaïd, Paris

Bien qu’une actualité en remplace une autre, j’aimerais revenir sur la désormais légendaire qualification du Futbol Club Barcelona face au Paris Saint-Germain Football Club. Passons rapidement sur le fait que rares étaient celles et ceux qui croyaient vraiment à une « remontada » du Barça et indiquons au lecteur que cela intéresse que nous nous sommes déjà penché sur les éventuelles conséquences de l’élimination du PSG sur la politique de « soft-power », autrement dit d’influence, du Qatar (*).

Pour nombre d’observateurs, la déroute parisienne est incompréhensible. Comment peut-on se faire ainsi sortir d’une compétition après avoir compté quatre buts d’avance ? Telle est la question qui a été posée et qui se pose encore. Il est évident que cette soirée du 8 mars va figurer dans l’anthologie des grands moments du football hexagonal. Comme pour la défaite à la dernière face à la Bulgarie en 1993 (synonyme d’élimination pour la Coupe du monde aux Etats Unis de 1994), il y aura sûrement des documentaires, des récits et mêmes quelques œuvres littéraires pour explorer le mystère de cette défaite. Cette dernière, comme pour les grandes victoires et d’autres événements, rentrera dans la catégorie des « que faisiez-vous à ce moment-là ? ».

Il y a eu dans cette rencontre une période, celle des dix dernières minutes, que n’importe quelle personne ayant joué, ne serait-ce qu’une seule fois dans sa vie, une rencontre sportive à enjeu peut reconnaître. Il ne s’agit pas simplement de sport à haut niveau. Cela peut aussi concerner des matchs à enjeu modeste tel un affrontement entre quartiers, comme par exemple La Tour du Paradou contre la Cité DNC à Hydra (un match pour deux-cent dix dinars et dont l’intensité pouvait être aussi forte qu’une finale du mondial).

Dans ces moments-là, il arrive soudain qu’une peur panique s’empare d’une équipe. Certes, les joueurs du PSG sont rentrés sur le terrain avec une boule au ventre et l’on a vite compris qu’ils allaient passer une mauvaise soirée. Mais ils ont tenu le coup pendant quatre-vingt minutes. Puis, la peur, la vraie, s’est installée dans leur camp. Exception faite de l’attaquant uruguayen Cavani, véritable guerrier, elle a coupé les jambes de tous les parisiens qui n’ont réussi qu’une seule passe en sept minutes ce qui en dit long sur leur état.

Cette peur est un étrange phénomène. Quand on est sur le terrain et qu’on en est victime, il est très difficile de s’en défaire. On regarde autour de soi et l’on réalise que les camarades ne valent guère mieux. Le cerveau émet des signaux contradictoires et, surtout, la lucidité disparaît. C’est la fameuse « brume de sensations » décrite par l’écrivain Jules Renard. Il y a quelques mois, j’ai entendu Laurent Blanc, l’ancien joueur devenu entraineur (notamment du PSG), évoquer cette panique qui prive une équipe de tous ses moyens. Un phénomène irrationnel, selon lui, où le terme contagion n’est pas trop fort pour décrire le fait qu’il est alors difficile pour quiconque d’y résister ou d’empêcher ses coéquipiers de sombrer.

Dans le premier épisode de la série (culte) Lost, l’un des personnages principaux demande à une femme de recoudre sa blessure à vif. Quand il devine qu’elle a peur de le faire, il lui demande de compter jusqu’à cinq, autrement dit d’accorder cinq secondes à cet état de panique puis de se reprendre. La technique vaut ce qu’elle vaut mais de nombreux éducateurs l’utilisent sur les terrains de sports. Ainsi cet entraineur de jeunes en région parisienne qui conseille à son avant-centre de toujours compter jusqu’à cinq avant de tirer un pénalty, c’est-à-dire de se donner le temps avant de tordre le cou à l’appréhension.

Une équipe entière est-elle capable de n’accorder que quelques secondes de triomphe à la panique avant de reprendre ses esprits ? C’est peu probable. Il faudrait pour cela une synchronisation parfaite or un groupe qui perd ses moyens n’est rien d’autre qu’un ensemble de réactions éparses et antagonistes. Pour y pallier, ou tenter de limiter les dégâts, il faut disposer d’une forte personnalité dans le collectif. Quelqu’un capable de réveiller ses camarades, de leur passer – comme adorent le dire les commentateurs sportifs – une vraie soufflante. Un rôle que personne sur le terrain du Nou Camp était capable de faire et certainement pas le capitaine Thiago Silva. Un Zlatan Ibrahimovic l’aurait fait. Peut-être…

Il arrive parfois qu’un joueur expérimenté comprenne vite la situation et décide de provoquer un incident pour « réveiller » ses camarades. Une bagarre avec un adversaire ou une gifle assénée à un coéquipier, de longues chicanes avec l’arbitre, les stadiers ou même le public sont des moyens classiques pour créer une rupture de charge, une diversion qui canalise les émotions et qui peut dissiper la panique. Problème, l’arme est à double-tranchant et, outre le carton rouge garanti, cela peut surtout aggraver le mal et accélérer le naufrage de l’équipe.

Cette peur collective et soudaine sur un terrain demeure donc un mystère. Des spécialistes assurent qu’on peut la prévenir avec une bonne préparation mentale mais rien ne garantit que cette dernière sera efficace en permanence. Quand la peur s’installe sur le terrain, quand les jambes deviennent lourdes, quand les oreilles n’entendent plus rien, quand le regard se brouille et que courir devient un supplice, il faut juste tenir et attendre le retournement de situation qui vient parfois. Car, c’est cela aussi le foot : des montagnes russes émotionnelles qui font passer de la panique à l’euphorie. Un basculement que peut provoquer un but inespéré et que les joueurs du PSG n’ont pas eu la capacité de provoquer.


(*) « (In)dispensable PSG pour le Qatar », Horizons arabes, Les blogs du Diplo, 13 mars 2017.

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