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Le Quotidien d’Oran, jeudi 27 juillet 2017
Akram Belkaïd, Paris
C’est une règle qui remonte aux origines du capitalisme
moderne, peut-être même l’a-t-elle précédé. Dans le monde des affaires, et dans
un premier temps, les hommes (et femmes) d’argent tendront toujours à conspirer
de manière à détourner, sans l’enfreindre, la loi ou à profiter de ses
faiblesses. Une autre manière de dire les choses est de rappeler que pour cette
catégorie particulière de la population active, tout ce qui n’est pas interdit
par la loi est forcément légal. Par exemple, c’est sur cette base que s’est
développée ce que l’on appelle pudiquement l’ingénierie financière, autrement
dit l’outillage dédié à permettre une spéculation de plus en plus sophistiquée.
Une ingénierie à la fois complexe et aventureuse qui a débouché sur la grande
crise de 2007-008 dont on attend et craint la successeuse mais ceci est une
autre histoire.
Le marché, les hommes d’affaires tout comme les fiscalistes ou
les avocats ont toujours une ou plusieurs longueurs d’avance sur la
législation. L’Etat, censé concevoir, appliquer et défendre cette dernière est
donc condamné à une course-poursuite permanente. C’est en partant de cette
réalité que l’on comprendra la nécessité de renforcer les pouvoirs de
régulation et de contrôle publics. Les affaiblir, par des coupes budgétaires ou
des diminutions d’effectifs, c’est laisser libre-cours aux diverses forces de
l’argent. L’Etat doit aussi veiller à ce que les opérateurs d’un même secteur
ne s’entendent pas entre eux pour fausser la concurrence. Les lois anti-trusts
nées aux Etats-Unis à la fin du dix-neuvième siècle en sont l’illustration.
Mais ce qui vient d’être décrit ne vaut que pour un Etat ou
un pays fonctionnant normalement. Dans le cas de l’Algérie et de nombreux
autres pays du Sud, les choses sont encore plus compliquées. Certes, le poids
de l’administration y est important et les « entrepreneurs » ne
cessent de critiquer les obstacles qu’ils rencontrent pour développer leurs
affaires. Nombre d’entre eux dénoncent aussi, et à juste titre, l’inégalité
d’accès aux marchés publics. Mais, comme le montrent les informations récentes
à propos du comportement de quelques « oligarques » (un terme bien
pompeux pour des affairistes dépendant du bon vouloir politique), la vraie
question qui se pose est la conception que se font ces derniers de l’intérêt
national.
Aux Etats-Unis, on disait autrefois que ce qui est bon pour
General Motors est bon pour l’Amérique (emplois, croissances, etc.). Dans le cas
de l’Algérie, on est bien en peine de trouver un exemple phare d’une grande
compagnie privée ayant réussi à illustrer la convergence entre intérêt
capitaliste et nécessité d’accompagner le développement du pays. L’information
relayée par la presse nationale mérite d’être confirmée et explicitée, mais que
penser d’un opérateur, influent, qui exporte un produit et le réimporte en le
payant dix fois son prix ? Que penser de ces opérateurs qui créent des
entreprises à l’étranger pour en être les (uniques) clients ? Que penser
de ces nombreuses informations à propos d’importations surfacturées par les
fournisseurs étrangers ?
La réponse tient en deux mots : devises et confiance.
Les devises d’abord. A bien y regarder de près, le comportement de nombre d’opérateurs
algériens est, avant toute chose, l’accumulation de devises étrangères et cela
par tous les moyens. Ce n’est pas un fait nouveau. La traque de la devise, sa
thésaurisation à l’étranger remontent à longtemps et l’existence d’un marché
parallèle de la monnaie – avec parfois de sérieux écarts entre cours officiels
et cours au noir – prouve bien l’étendue du problème. Car, après tout, il
existe des pays du Sud – on pense à la Tunisie ou même à l’Egypte - dont la
monnaie n’est pas totalement convertible, mais qui ne sont pas atteints à ce
point par ce type de fuite de capitaux.
La devise, donc. A tout prix. Quitte à affaiblir davantage
une économie qui peine à se diversifier et à échapper au poids étouffant de la
rente pétrolière. Pourquoi donc ce comportement qui rappelle celui de la
bourgeoisie comprador, expression marxiste qui désigne « la classe bourgeoise qui, dans les pays dominés, tire sa
richesse de sa position d'intermédiaire dans le commerce avec les impérialismes
étrangers, par opposition aux bourgeois ayants des intérêts dans le
développement de l'économie nationale. » (source,
wikirouge.net) ?
La réponse est liée à la confiance. Ces
« entrepreneurs » n’ont aucune confiance à moyen et long terme en
l’Algérie. Leur discours peut être saupoudré de considérations nationalistes ou
patriotiques, leur rapport au gain et à la devise étrangère indique tout le
contraire. L’économie de l’Algérie est pour eux un moyen et certainement pas
une fin. Et cette question de confiance n’est donc pas qu’un simple problème
économique mais bien politique. Quand c’est la règle du « après moi, le
déluge » qui fonde le comportement de patrons très bien introduits, ayant
même parfois rang implicite de ministre voire de Premier ministre, c’est la
preuve que l’on est en présence d’un problème fondamentalement politique ;
que ce n’est pas qu’une simple affaire de respect des lois. C’est l’aveu que
ces « gens-là », privilégiés parmi les privilégiés, ne croient même
pas à l’avenir d’un pays qui les a faits passer de boutiquiers à
« oligarques. »
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