Le Quotidien d’Oran, jeudi 31 août 2017
Akram Belkaïd, Paris
La définition donnée en titre n’est peut-être
pas la plus appropriée. Elle peut induire en erreur. Mais elle dit, d’une
certaine manière, ce que les films concernés peuvent provoquer comme
conséquences regrettables (et durables), à l’image de mots que l’on prononce en
les regrettant immédiatement. Le premier de ces films est en fait une trilogie
devenue « culte », pour reprendre l’expression obligée. Il s’agit du Parrain de Francis Ford Coppola (d’après
un roman éponyme de Mario Puzo). Plusieurs articles attestent qu’il fut l’un
des films préférés de feu Saddam Hussein, l’ancien dictateur irakien. On dit
aussi que Xi Jinping, l’actuel président de la République populaire de Chine en
est un fan absolu. De manière régulière, on apprend que tel ou tel grand de ce
monde, y compris des dirigeants de démocraties – ou supposées telles – se
repassent régulièrement la saga des Corleone.
Des milliers d’articles ont été publiés pour
expliquer le succès du Parrain. Les
ingrédients suivant sont souvent cités : la trame, le procédé narratif, la
violence entre clans, la récurrence de la vengeance comme motivation, la
psychologie tortueuse des mafieux, le jeu de Marlon Brando, sa voix
impressionnante dans la version française (risible et ridicule dans la version
originale), son maquillage, la froideur austère d’Al Pacino et, bien sûr,
l’éclairage du film avec notamment le clair-obscur qui accompagne les
principaux personnages. Mais ce qui donne à cette histoire de voyous et de
mâles dominants son attrait chez les puissants c’est qu’elle traite avant tout
du pouvoir absolu. La règle est simple : Le Parrain ordonne et son entourage obéit sans discuter. Le traître
est abattu sans aucune autre forme de procès. Le récalcitrant se voit proposer « une offre qu’il ne peut
refuser » ou trouve une tête de cheval dans ses draps satinés pour
comprendre qu’il a intérêt à filer droit. (pour la petite histoire, la tête était
réelle et l’acteur l’ignorait ce qui lui arracha un superbe cri)
Autour du Parrain,
ce n’est que respect et bustes penchés. Du consigliori
(irlandais ! Ce qui va à l’encontre de la tradition mafieuse) au simple
« soldat », l’obéissance et la soumission sont totales. Le pouvoir
s’exprime dans sa forme la plus directe et la plus brutale : il est
vertical. Comment s’étonner ensuite que des tyrans s’identifient à ce
personnage ? Le Parrain demeure ainsi
une référence pour tout ce que le monde compte comme despotes ou, tout
simplement chef de bande criminelle. Et cette image d’une mafia efficace et
redoutable que véhicule la trilogie de Coppola perdure. Cela fait maintenant
plus de quatre décennies que le cinéma et, plus récemment, les séries
télévisées, la renforcent. Qu’il s’agisse des Soprano (aussi tragi-comiques soient-ils) ou du clan Barksdale –
(Stringer) Bell (The Wire), la figure
tutélaire de Don Corleone n’est jamais loin.
Pour dire les choses autrement, à ce jour, il
n’existe pas de film ou de série à forte audience ayant réussi à dévaloriser,
voire à désacraliser, l’aura prestigieuse qui entoure Le Parrain et, donc, la mafia. Même la série Gomorra qui se déroule
dans les bas-fonds de Naples avec pour fil conducteur les affrontements
sanglants entre plusieurs clans de la Camorra (adaptation du livre éponyme de
Roberto Saviano qui vit désormais sous protection policière aux Etats-Unis)
n’échappe pas à cette règle. Certes, dans cette fiction qui est une véritable
réussite italienne (ne serait-ce que parce qu’elle ne singe pas les séries
américaines), on est loin de l’ordre et de la hiérarchie figée imposés par les
Corleone. Ici, on s’entretue pour un mot de trop, les jeunes ne respectent plus
les anciens et les flinguent pour quelques pans de territoire de revente de
drogue. Mais chaque chef de clan ou de bande joue à être un parrain.
Le résultat est que l’on ne sait plus à
Naples, comme ailleurs, qui des vrais mafieux ou des personnages de la série
cherchent à ressembler à l’autre. Et si l’une des motivations du programme est
de montrer, voire de dénoncer, la réalité, on se rend compte qu’il fait
finalement l’inverse en renforçant la triste réalité. En l’exacerbant même.
Comme avec Le Parrain, des vocations
naissent avec Gomorra. Ce n’est d’ailleurs pas une surprise de voir que le rap
italien mais aussi français ou espagnol s’inspirent de cette série, célébrant ses
personnages, y compris les plus ambigus, insistant sur la violence des rapports
humains, la brièveté des existences dans les quartiers populaires minés par la
drogue et, surtout, portant au pinacle la figure du grand chef tutélaire,
violent et sans pitié aucune. « La
démocratie, ça ne marche pas » dit le chef de clan Pietro Savastano
pour signifier la fin d’une expérience de « coopérative » presque
égalitaire entre bandes spécialisées dans la vente de drogue.
Gomorra, ses personnages, sa musique sont même
en train de s’imposer comme un référentiel majeur pour une grande partie de la
jeunesse des quartiers marginalisés en Europe. Il est encore trop tôt pour en
juger, mais il est possible qu’elle détrône un jour l’incontournable Scarface de Brian de Palma (1984,
scénario d’Olivier Stone). Cette histoire d’un délinquant cubain expulsé par
Castro vers la Floride au début des années 1980 et devenu un grand trafiquant
de drogue, ne cesse de fasciner « les quartiers ». Attitudes,
gestuelle, répliques (« j’ai des mains
faites pour l’or et elles sont dans la merde »), habillement :
Tony Montana (Al Pacino) est le « vrai » parrain même si l’histoire
se termine mal pour lui. Que des millions de jeunes à travers le monde
continuent de s’identifier à ce personnage ne cesse d’intriguer sociologues et
journalistes. Loin de déprécier cette carrière criminelle, le film en a fait un
sujet d’admiration pour ne pas dire de vénération. C’est en cela que Scarface, comme Le Parrain, est un film malheureux.
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