Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

jeudi 25 janvier 2018

La chronique du blédard : Nom et prénom

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 25 janvier 2018
Akram Belkaïd, Paris

Au milieu des années 1990, Lotfi Belhassine, patron et fondateur de la compagnie aérienne Air Liberté décide de jeter l’éponge.  Non pas qu’il s’agisse, pour ce franco-tunisien au verbe haut, d’abandonner les affaires. Son renoncement est tout autre. Malgré ses efforts et ceux des communicants qu’il emploie, l’affaire est perdue. Les rédactions parisiennes, pourtant dûment briefées (et régulièrement chapitrées), persistent à l’appeler « Lofti » et d’imprimer ainsi son prénom. Aujourd’hui encore, pour la présentation de l’un de ses livres sur le site internet d’un grand distributeur culturel français, il est question d’un certain « Lofti » [Belhassine] qui, dès son départ de Tunisie, « a tout de suite voulu conquérir la France. »

Je me souviens d’un confrère parisien, spécialiste du secteur aérien, à qui j’avais fait remarquer que son article, pourtant passé par son rédacteur chef, un éditeur, un secrétaire de rédaction et un correcteur, recelait la fameuse inversion de consonnes. « Oh, Lotfi, c’est compliqué. Loft, lofti…, c’est plus simple. » fut sa réponse agacée. Le mal orthographié, lui, relevait que ce problème ne se posait pour lui qu’en France. Ni en Belgique, ni en Suisse ni au Canada francophone et encore moins dans le monde anglophone où le politiquement correct impose une vigilance totale sur la manière de prononcer les noms « exotiques » et de les retranscrire.

Qu’il s’agisse de l’entendre ou de le lire, un nom (ou un prénom) écorché suscite presque toujours de l’irritation quand ce n’est pas de la colère. Vous voulez énerver quelqu’un ? Modifiez son nom pendant une discussion. L’effet sera saisissant. Je me souviens d’un séminaire regroupant journalistes et chercheurs du bassin méditerranéen. Cela se passait à Marseille. Soudain, au beau milieu des débats, une jeune femme s’est levée et a quitté la salle avec fracas. Son prénom, Isma, était systématiquement transformé en Oussama par le président de séance. Je ne pense pas qu’il y avait malveillance mais juste l’expression de l’une de ces pensées secrètes qui émergent parfois à la surface... Un proche vivant en France a connu cela quelques semaines après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Sur un chèque de remboursement, un pharmacien avait écrit « Belqaïda » en lieu et place de notre patronyme… Méchanceté ? Trouble du moment ? Allez savoir. Je me souviens aussi d’un colloque au sénat français avec la présence de l’économiste et homme politique marocain Fathallah Oualalou. De la part du président de séance et de certains autres intervenants à la tribune, ce fut un festival. « Oulou », « Oulaloui » ou bien alors « Fadalah ». Au début, rires et sourires. A la fin, de la gêne…

Votre présent chroniqueur n’échappe pas à ces altérations scripturales. Akram ? Non, certains préfèrent (allez savoir pourquoi) ajouter un h. Akhram, doit mieux sonner… Idem pour Belkaïd qui devient au fil des courriels Belkhaïd. Ça vient du sud, c’est arabe ? Dans le doute, on ajoute donc un h… (je vous passe un épisode récent sur France culture où la journaliste, très « pro » avec des tonnes de fiches, m’a appelé pendant plus d’une heure : Belaïd, Belaïm ou je ne sais quoi encore…). Ailleurs, j’ai aussi bénéficié de variantes telles Ackra (de morue ?), Akan (influence serbe ?) et même Akim (effet bande dessinée ?). Mais il n’y a pas qu’en France que cela m’arrive. En Tunisie, malgré la pièce d’identité présentée, ou le nom plusieurs fois épelé, je réalise souvent, effaré, que le fonctionnaire ou l’employé a retranscris mon nom comme il le prononce. J’ai donc eu droit, dans des papiers officiels, à Bilkayed ou même à Belgayed… On imagine sans mal la somme d’efforts (et de patience) qu’il faut déployer par la suite pour corriger tout cela.

L’un de mes amis n’en peut plus de la manière dont on prononce son prénom. « Ils m’appellent tous ‘Moustapha’. Je ne peux pas les obliger à prononcer mon prénom à l’algérienne en disant Mestapha mais au moins qu’ils disent Mustapha, ce serait déjà bien » m’explique-t-il. Pour le consoler, je lui raconte qu’un camarade d’origine ukrainienne sait très bien de quoi l’on parle. Son nom, Ostrogradski, lui revient sous diverses formes et divers sons. Ses copains qu’il fréquente depuis l’école primaire ont trouvé la solution : ils l’appellent « Osto ». Il s’y est habitué et il lui arrive même de se présenter ainsi.

Je relevais dans ce qui précède que ce qui tout touche à nos patronymes est toujours sensible. Le plus souvent, les erreurs ne sont ni méchantes ni intentionnelles. Il y a bien sûr un peu de désinvolture, de l’incapacité à imaginer que le concerné peut vraiment mal le vivre. Un manque d’empathie, donc. Voire de générosité. Mais il y a des cas où l’altération est volontaire et elle relève de mauvaises intentions. Il y a quelques semaines, commentant l’exclusion de la journaliste Rokhaya Diallo du Conseil national numérique, un journaliste français, bien peu inspiré, a ainsi réécrit son prénom en « Rakhaya ». Un changement de voyelle qui renvoie au terme de racaille. Sachant que Diallo est la cible permanente d’attaques racistes en provenance de la fachosphère, j’ai du mal à penser qu’il ne s’agit que d’une simple erreur.

Addenda : Depuis la publication de cette chronique, je reçois en retour nombre d’exemples vécus. « Meryem » qui devient systématiquement « Myriam », « Moulay » qui devient « Mulet ». A suivre…
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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour,

je m'appelle Jasmine (je n'ai pas d'origine maghrébine) et on m'appelle très souvent Yasmine. Je trouve cela très agaçant surtout quand je connais la personne depuis un moment.
Je suis enseignante, je fais attention à ne pas écorcher les prénoms des élèves ou à ne jamais diminuer un prénom trop long sans que l'élève me le demande. Cela me semble le moindre des respects. Je ne vois pas le problème d'appeler les élèves par leur deuxième prénom quand ils ou elles me le demandent (souvent des élèves d'origine maghrébine). Certains de mes collègues refusent de le faire et je ne comprends pas une telle attitude (le prénom n°1 restant bien sûr celui utilisé dans les papiers officiels).