Le Quotidien d’Oran, mercredi 24 juin 2020
Akram Belkaïd, Paris
Cela devait être la grande réforme de l’année, celle qui aurait démontré le retour en force des États face aux multinationales. Selon le calendrier initial, les membres de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) devaient adopter en octobre prochain un texte en deux axes permettant de taxer les entreprises transnationales dans tous les pays où elles vendent leurs produits et services (et pas simplement dans les pays où elles ont une présence administrative). Le second axe prévoyait quant à lui un « taux minimum de 12,5% » destiné à compenser le manque à gagner provoqué par le fait que telle ou telle multinationale est installée dans un paradis fiscal.
Refus américain
Cette réforme aurait donc dû apporter une première réponse au fait que les grandes entreprises du numérique ont développé un savoir-faire sans égal pour payer le minimum d’impôts. Mais c’était compter sans le revirement de l’administration américaine qui a demandé à ses partenaires britannique, espagnol, français et italien « la suspension » de la réforme. Demander n’est d’ailleurs pas le bon terme puisque Washington a clairement indiqué que toute taxation qui serait tout de même mise en place par les autres membres de l’OCDE entraînerait des « sanctions » sous la forme de nouvelles taxes douanières. Bonjour l’humiliation…
Cette bataille autour de la taxation – sans oublier les questions juridiques liées aux positions monopolistiques des géants de l’Internet – n’est pas anecdotique. Cela préfigure de ce que seront les relations entre États et ces acteurs qui ont le vent en poupe. Prenons un exemple : la valeur boursière des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) atteint 5 800 milliards de dollars soit 25% du poids de l’ensemble des cinq cent valeurs constituant l’indice S&P 500, le plus représentatif de l’économie américaine. Depuis le début de l’année, et plus encore, depuis la pandémie de Covid-19, ces multinationales tirent leur épingle du jeu comme le montre la progression constante de leurs titres en Bourse.
Autrement dit, taxer de manière équitable ces machines à cash et à dividendes n’est pas anormal. En Afrique, ces entreprises paient peu d’impôts alors que leurs chiffres d’affaires sont en constante hausse. La question est donc simple : pourquoi les États-Unis refusent-ils une telle réforme ? La réponse est tout aussi claire : le lobbying des GAFAM est une machine implacable. Certes, il arrive que ces entreprises connaissent des déboires, à l’image de Google et du procès qui lui pend au nez pour abus de position dominante. Mais, encore une fois, nombre d’États attendaient beaucoup du nouveau texte afin de contenter des opinions publiques lasses de voir les transnationales échapper aux impôts. Les GAFAM ont su mobiliser leurs soutiens politiques et faire dérailler le processus.
Des entreprises patriotiques ?
Reste une autre question. Pourquoi les États continuent-ils à aider les multinationales ? Les GAFAM sont-elles des entreprises américaines ou se sont elles émancipées depuis longtemps de toute logique nationale ? Une vision ancienne pousse à considérer qu’une multinationale est un champion national qui mérite toutes les aides y compris diplomatique. Un jugement plus contemporain oblige à y regarder de près, notamment en termes de créations d’emplois, de rapatriements de bénéfices et de niveaux de délocalisation. Autrement dit, pour reprendre une expression de la vieille économie (elle concernait General Motors), ce qui est bon pour les GAFAM n’est pas forcément bon pour l’Amérique. En matière d’économie, la notion de patriotisme est toujours à relativiser
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