_
Le Quotidien d’Oran, jeudi 15 octobre 2020
Akram Belkaïd, Paris
« Ce qui est bon pour la General Motors est bon pour l’Amérique ». Cette phrase fut prononcée en 1953 par Charles Wilson lors de son audition par des élus américains qui devaient valider sa nomination au poste de secrétaire à la défense des États-Unis. Le problème, c’est que le candidat était aussi un actionnaire important du fabricant automobile General Motors (GM), ce qui faisait craindre des conflits d’intérêt. La réponse de Wilson est entrée dans l’histoire car elle entérinait l’idée que les stratégies d’une multinationale comme GM ne pouvait que servir l’Amérique. Depuis, les choses ont beaucoup évolué et il est établi aujourd’hui que les entreprises transnationales et les pays où se trouvent leur berceau peuvent avoir des intérêts totalement divergents.
En clair, et sans entrer dans une longue démonstration, la mondialisation et l’évolution du commerce international ont créé une situation où les États sont le plus souvent sur la défensive et où la notion de « patriotisme économique » est très souvent incompatible avec le libre-échange, l’ouverture des frontières, la libre circulation des capitaux, les opérations boursières (comme les offres publiques d’achat – OPA- hostiles ou amicales) et, bien entendu, les délocalisations. Certes, il arrive parfois que les gouvernements s’emparent d’un dossier brûlant, comme par exemple le rachat d’une entreprise par un concurrent étranger – comme c’est le cas aux États-Unis avec les sociétés chinoises qui y font leur marché – mais, de façon générale, l’idée qu’il pourrait exister en permanence un nationalisme économique n’est guère plus pertinente.
Dans cet ordre d’idée, l’Algérie semble constituer un cas à part. Il y a quelques jours, Kamel Rezig, ministre du commerce, s’en est pris aux exportateurs algériens de dattes en vrac. Au-delà de l’aspect comique de sa déclaration – emploi du terme « frac » au lieu de celui de vrac et référence au jeu de dominos pour insister sur la fermeté de sa stratégie (on appréciera ce genre de propos à sa juste mesure) – cette sortie en dit long sur les impasses du pays en matière de politique économique. De mémoire, je ne crois pas encore avoir entendu un dirigeant s’adresser aux Algériens pour leur expliquer quelle était clairement l’orientation de l’Algérie en la matière. Avons-nous entendu une phrase du type « le socialisme, c’est fini » ? Je ne le crois pas. Avons-nous entendu une phrase du type « notre choix, c’est l’économie sociale de marché et voilà ce que ça veut dire » ? Je ne le crois pas non plus.
Nos dirigeants, y compris ce gouvernement béni qui promet une « Algérie nouvelle » n’ont de cesse de dire que le pays est apte à entrer dans la mondialisation, à y jouer un rôle majeur, etc. En réalité, la navigation se fait à vue depuis la mise en parenthèse des réformes lancées à la fin des années 1980. Un jour, c’est vive la mondialisation, on signe avec une légèreté coupable un accord de libre-échange avec l’Union européenne (UE, 2005), on annonce urbi et orbi que l’on est candidat à l’admission à l’Organisation mondial du commerce (OMC), qu’on veut être un « hub » financier et qu’on veut être une « start-up nation ». Un autre, c’est le coup de volant dans l’autre sens. On vote des lois pour limiter à 49% la part des compagnies étrangères dans le capital des entreprises algériennes, on laisse la Bourse d’Alger s’étioler au fil des ans, on ne fait rien pour réformer l’administration tout en continuant à revendiquer une place – toujours pas accordée – au sein du G20. Nous sommes en 2020, l’Algérie ne fait pas partie non plus des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ou d’autres clubs de pays émergents mais, trouvaille du présent chroniqueur, elle est membre à part entière des VILAIN (Venezuela, Irak, Libye, Algérie, Indonésie, Nigeria), autrement dit ces pays qui peinent à diversifier leurs économies et à sortir du tout pétrole.
Ce qui est intéressant avec la sortie de Kamel Rezig, c’est qu’il s’en prend aux exportateurs de vrac sans même comprendre que s’ils optent pour cette option, c’est uniquement parce qu’ils y trouvent leur compte. La question qui importe, c’est bien de savoir pourquoi une exportation après conditionnement, c’est-à-dire avec une plus forte valeur ajoutée, leur semble impossible alors qu’ils auraient plus à y gagner, du moins en théorie. Et là, on en revient à la politique économique et aux réformes. Le constat est évident : pour l’heure, l’environnement légal, fiscal et douanier fait obstacle à des exportations à valeur ajoutée.
Les producteurs algériens de dattes trouvent tout simplement leur meilleur intérêt en exportant du frac, pardon, du vrac. Peu leur importe que ce vrac soit conditionné ailleurs, notamment en Tunisie, pour être réexpédié sous label tunisien. Ce type de circuit à plusieurs étapes existe dans le monde entier. Du miel est produit en Bulgarie, mis en pot en Slovénie et vendu sous label européen. Les autorités bulgares ne sonnent pas le tocsin parce que l’honneur de leur pays est bafoué. La réexportation fait, par exemple, la fortune de ports comme celui de Dubaï. En somme, c’est la règle du jeu imposée par la mondialisation. Les agents économiques sont rarement chauvins dans la conduite de leur activité, ce qui prime pour eux, c’est le compte de résultat. Point de wanetoutrisme en matière de commerce.
Le cours du baril ne repartira pas de sitôt à la hausse. Cela signifie que la diversification de l’économie est une urgence. L’Algérie n’est pas obligée de se plier totalement aux règles de l’ultralibéralisme. Elle peut, et doit, résister aux sirènes du libre-échange. Mais elle a surtout besoin d’une doctrine économique claire et d’un vrai débat sur les options stratégiques qui s’offrent à elles. La facilitation des exportations hors-hydrocarbures en fait partie et, si on y est favorable, il n’y a pas lieu de saupoudrer cela de considérations nationalistes qui ne font que compliquer la donne.
_
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire