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Le Quotidien d'orange, jeudi 15 avril 2021
Akram Belkaïd, Paris
Cela commence par un tweet comme il peut en exister des millions par jour. Une marque, en l’occurrence Évian, demande à ce que l’on retweete son message si l’on a bu un litre d’eau ce jour-là. Jusque-là rien d’inhabituel. L’argument marketing est incitatif en alliant complicité et proximité avec le consommateur sans oublier les inévitables considérations sanitaires (boire, c’est la santé…). Le problème, c’est quelques tarés – il n’y a pas d’autre mot pour les qualifier – y ont vu une provocation car, jeûnant, ils ne pouvaient boire. Petite tempête et excuses polies – on n’est jamais trop prudent – de la marque.
L’affaire aurait dû s’arrêter là et Évian n’aurait même jamais dû s’excuser. Notre monde est désormais imprégné d’égotisme et de scénarisation de soi et le ramadan n’y échappe pas. Je me souviens d’un match de football au stade de France, il y a quelques années. Un petit groupe de spectateurs s’était arrangé pour que toute la tribune ou presque sache qu’ils jeûnaient. Une piété ostentatoire contredite par le fait que ces mêmes personnes pariaient sur le résultat de la rencontre à l’aide de leurs smartphones…
Le problème, c’est que les quelques tweets du genre, « wech Evian, c’est le ramadan, respect svp » ont fourni une occasion en or pour toute la galaxie islamophobe qui sévit sur les réseaux sociaux. Sorties grandiloquentes, dénonciations répétées de la menace islamiste qui voudrait imposer le ramadan à tous les Français, serments multipliés de défendre la République et la laïcité, etc. Bref, la ligne de conduite est toujours la même : s’emparer d’un rien, en faire une histoire d’État et convaincre l’internaute que quelque chose de grave se passe en attendant que la racaille islamophobe qui sévit quotidiennement sur les chaînes télévisées d’information continue prenne le relais. Et pendant ce temps-là, la France n’a toujours pas de vaccins, les urgences sont au taquet, le seuil de 100 000 personnes décédées du Covid-19 est dépassé depuis longtemps et personne ne sait si le confinement « light » sera prolongé ou durci.
Tout cela serait risible si le contexte politique n’était pas marqué par une surenchère visant à faire de l’islam et des musulmans « le » sujet de la campagne électorale pour l’élection présidentielle de 2022. On connaît les termes de l’équation. Tout le monde ou presque est persuadé que Marine Le Pen sera, une nouvelle fois, présente au second tour. Dès lors, la question est de savoir qui sera en face. Emmanuel Macron, candidat à sa réélection ? Le représentant de la droite dite modérée ? Le représentant de la gauche unifiée (rêvons un peu) ? Le candidat du groupuscule parti socialiste (rions un peu) ?
A tort ou à raison, nombre d’états-majors politiques pensent que pratiquer la surenchère à l’égard des musulmans est la meilleure des stratégies pour attirer l’électeur, le camp Macron n’étant pas le dernier à suivre cette ligne. Cela débouche sur des moments irréalistes comme lors des débats au Sénat à propos de la loi pour le « respect des principes de la République » à la laquelle ce nid d’inutilités et de sénilités a ajouté la mention « lutte contre le séparatisme. »
Ce fut donc un festival. Le voile, obsession nationale, a été de tous les débats. Les sorties scolaires, les lieux de réception du public, les bancs de l’université : autant de sujets liés à l’interdiction du fichu. On ne sait pas ce qui sera retenu en seconde lecture à l’Assemblée des députés mais on voit bien ce qui se profile pour le moyen terme, ce qui n’est pas encore pleinement assumé : l’interdiction pure et simple du voile en dehors du domicile privé (ça viendra ensuite…) et des lieux de culte. Mais passons car on y reviendra forcément.
Durant les joutes sénatoriales, on a aussi entendu dire qu’il fallait interdire la prière dans les couloirs des universités. Il paraît qu’il y a quelques années, un cas, je dis bien un cas, a défrayé la chronique dans un établissement du supérieur. Et voilà que cela devient un problème majeur nécessitant de légiférer d’urgence. On se demande si la France n’est pas saisie par une folie rampante, une perte de lucidité qui l’empêche de voir où sont les vrais problèmes. Comment, ensuite, s’étonner que des mosquées soient vandalisées ?
Le Sénat, dans sa grande clairvoyance, veut aussi que l’on interdise les drapeaux étrangers lors des cérémonies de mariage dans les mairies. On sait quels sont les emblèmes visés. On s’éloigne un peu de la problématique de l’islam en France mais les populations ciblées demeurent identiques puisqu’il s’agit essentiellement de personnes originaires du Maghreb. Pour ce dernier point, j’avoue être partagé. Légiférer sur ce point est franchement ridicule, c’est une évidence. Par contre, il serait bon de faire entendre aux concernés qu’une salle de mairie n’est pas un « courri » (une écurie) et que l’on ne peut pas y faire n’importe quoi et s’y comporter n’importe comment. Des applaudissements, quelques youyous pour la tradition et bezef.
S’en prendre à Évian au prétexte que c’est le ramadan, beugler « one-two-three viva l’Algérie » en brandissant le drapeau alors que le maire n’a même pas fini d’unir les mariés (scène à laquelle j’ai assisté quelques semaines avant le premier confinement), tout cela est à éviter. Certes, cela ne fera pas disparaître le racisme et encore moins l’islamophobie (ne soyons pas naïfs) mais cela nous évitera des polémiques incessantes et cela réduira les occasions pour les incendiaires de jeter de l’essence sur un feu qui couve depuis bien des années.
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