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Le Quotidien d'Oran, jeudi 29 avril 2021
Akram Belkaïd, Paris
Tout ça pour ça… A l’automne 2001, quelques semaines à peine après les attentats du 11 septembre à New York et Washington, les États-Unis déclenchaient une guerre contre l’Afghanistan avec pour objectif de faire tomber le régime des Talibans accusé de complicité avec Oussama Ben Laden et Al-Qaïda. Le but fut rapidement atteint et, à en croire la propagande américaine, l’Afghanistan est alors entré dans « l’ère du changement »... Vingt ans plus tard, le président Joseph Biden vient de confirmer le retrait définitif des troupes étasuniennes en septembre prochain. Tout un symbole… Rappelons que ce retrait fait suite à l’accord de paix signé entre l’administration Trump et les Talibans en février 2020. A l’origine, le désengagement complet devait avoir lieu ce premier mai or le nouveau locataire de la Maison-Blanche a voulu se donner le temps de la réflexion. Soumis à la pression des va-t-en-guerre et autres néoconservateurs qui exigent un maintien du corps expéditionnaire, il a fini par entériner le départ des quelques milliers de soldats américains qui restent encore sur le sol afghan.
Sans verser dans le fatalisme, la suite est connue. Les Talibans qui contrôlent déjà les deux tiers du pays prendront le pouvoir à Kaboul et l’actuel gouvernement n’est plus qu’en sursis. Certes, Washington tient absolument à ce que des négociations de paix se tiennent entre factions afghanes mais cela n’est qu’une manière d’habiller la débâcle. Car, l’Afghanistan est un échec absolu pour les États-Unis. En vingt ans, ils ont perdu près de 2 500 hommes et dépensé sans compter (1000 milliards de dollars) pour tenir à bout de bras un pouvoir à la fois chancelant et corrompu. L’Afghanistan est aujourd’hui un pays ruiné où 70% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Les armes y circulent en masse, la corruption règne sans partage tandis que la violence et les affrontements armés tuent 10 000 civils par an. Le bilan est effroyable : 300 000 à 400 000 morts depuis 2001 sans compter les pertes militaires subies par l’armée afghane (15 000 soldats tués en moyenne chaque année) et les Talibans. Comme celle de l’ex-Union soviétique en 1979, l’intervention militaire américaine de 2001 n’a débouché sur aucun changement structurel.
Certes, une petite classe moyenne est apparue dans les centres urbains, là où les programmes de modernisation de l’éducation, sous la pression américaine et d’autres pays occidentaux, ont donné quelques résultats. Mais que restera-t-il de tout ça quand les Talibans reviendront dans des villes où ils se meuvent déjà comme des poissons dans l’eau ? En se retirant d’Afghanistan, la France a abandonné derrière elle nombre d’Afghans l’ayant servie (interprètes, employés, etc…) (1). Aujourd’hui, une bonne partie des quelques vingt mille Afghans salariés par l’administration américaine sont dans l’attente d’un visa d’entrée aux Etats-Unis. Ils savent le sort qui les attend quand les Talibans prendront Kaboul. Car ces derniers n’ont pas changé. Leur doctrine, une interprétation rigide de l’islam, demeure la même que lorsqu’ils dynamitèrent les trois statues géantes de Bouddha à Bâmiyân en mars 2001.
Vingt ans de malheurs pour rien. Vingt ans qui ont empêché l’inévitable évolution qui touche toutes les théocraties musulmanes. Bien sûr, ces évolutions sont lentes, trop lentes mais elles existent, y compris en Iran. La présence américaine a offert aux Talibans une légitimité dans le temps long. Ils ont résisté et obtenu le départ de l’ennemi. Le compteur est remis à zéro et il faudra peut-être attendre une génération ou deux avant que ce régime n’esquisse quelques réformes. Pendant ce temps, l’Occident se redonnera le beau rôle après avoir semé la pagaille. Il pourra ainsi faire semblant de s’intéresser au sort des femmes afghanes… Ses médias, eux, trouveront matière inépuisée dans les inévitables outrances que les Talibans ne manqueront pas de se rendre responsables.
Souvenons-nous de 2001 après l’invasion de l’Afghanistan et avant celle de 2003 en Irak. La mode était alors au « regime change ». Le changement de régime par la force. Ce thème devint même un objet d’études académiques avec ses théoriciens et ses experts plus ou moins qualifiés. Deux décennies plus tard, l’Irak est un pays sous influence tandis que l’Afghanistan risque de connaître sa énième guerre civile à forte intensité. Mais les thuriféraires du « regime change » n’en ont cure et regardent avec insistance du côté de l’Iran.
En Afghanistan, comme le souligne le politiste Jean-Pierre Filiu dans sa dernière chronique, les États-Unis n’ont finalement réussi à rien d’autre qu’à « consolider un narco-Etat » devenu l’un des principaux producteurs d’opium nécessaire à la fabrication d’héroïne (2). On en est aujourd’hui à près de 10 000 tonnes produites avec des réseaux liés à toutes les mafias du monde. Ah qu’il paraît loin le temps où des attachées de presse mandatées par des agences anglo-saxonnes au service de l’administration militaire américaine nous vendaient, présent chroniqueur compris, la belle histoire que voici : la grenade, le fruit pas l’explosif, était appelée à remplacer le pavot grâce aux efforts de la coallition pour convaincre les paysans d’en substituer la culture. Vendue à prix d’or sur les marchés du Golfe, la grenade sonnerait la fin du trafic d’opium et d’héroïne. On en rirait si tout cela n’était pas tragique. Le constant est une nouvelle fois le même : L’Amérique menace, envahit, détruit, disloque et, s’en allant une main devant et l’autre derrière, abandonne le chaos derrière elle.
(1) « Traducteurs afghans. Une trahison française », Brice Andlauer, Quentin Müller et Pierre Thyss. La Boîte à bulles, Saint-Avertin, 2020, 118 pages, 17 euros.
(2) Comment les Etats-Unis ont consolidé un narco-État en Afghanistan, Un si proche Orient, 25 avril 2021. (lemonde.fr)
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