Lignes quotidiennes

Lignes quotidiennes
Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

jeudi 5 janvier 2023

Godo, Houellebecq et le « débat fructueux »

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Tout va bien, jeudi 5 janvier 2023

Akram Belkaïd, Paris.


Dans une chronique publiée par La Croix (4 janvier 2023), l’écrivain Emmanuel Godo prend la défense de Michel Houellebecq et dénonce la décision de la Mosquée de Paris de poursuivre en justice l’auteur d’Anéantir pour « provocation à la haine contre les musulmans ». « Même dans ses excès ou dans les désaccords de fond que nous avons avec lui, il est toujours fructueux de regarder du côté de ses questions », écrit ainsi Godo. Fructueux ? J’imagine alors que l’on va bientôt nous expliquer qu’il aurait été (qu’il serait encore) fructueux de regarder du côté des questions abordées par des auteurs tels Charles Maurras ou Robert Brasillach…. « Le souhait de la population française de souche, comme on dit, ce n’est pas que les musulmans s’assimilent, c’est qu’ils cessent de les voler et de les agresser. Ou bien autre solution, qu’ils s’en aillent », voilà ce qu’affirme Houellebecq. On imagine quel serait le débat « fructueux » à propos de cette déclaration nauséabonde. 

Entendons-nous bien, on peut – et c’est ce que je pense – déplorer l’initiative de la Mosquée de Paris d’attaquer en justice un écrivain, quelles que soient ses idées. Cela ne devrait pas être de son ressort et nombre de musulmans de France n’ont certainement pas envie que cette institution prétende parler en leur nom. Michel Houellebecq peut écrire ce qu’il a envie d’écrire et l’on n’est pas obligé de le lire et encore moins de lui offrir l’occasion de se parer des habits de l’auteur opprimé. Mais il y a une différence entre défendre la liberté d’expression et donner du crédit à de tels propos.

« Porter plainte contre un écrivain de la trempe (sic) de Houellebecq est une forme d’aveu » affirme Godo qui ajoute plus loin : « Dans un pays qui a vu tomber sous les balles de fanatiques islamistes des dessinateurs joyeusement impertinents, décapiter un professeur de la République, museler dans l’autocensure une part considérable de son intelligentsia, un écrivain a le droit de dire haut et fort son pessimisme, ses rages, ses inquiétudes face à la montée de l’intolérance et de la tartufferie. Ceux qui l’accusent de jouer au pyromane ont à se demander quelle conception des libertés publiques ils défendent au juste. »

Le message d’Emmanuel Godo est sans équivoque. Les violences terroristes subies par la France et sa population imposent aux musulmans de la fermer et de faire profil bas quelles que soient les insultes et les mises en causes subies. On peut les agonir d’injures et, pire encore, les essentialiser en les mettant tous dans le même sac d’infamie, leur seul droit est le silence et la contrition.  Cela en dit long sur l’installation définitive de l’islamophobie dans la vie intellectuelle française.

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lundi 5 septembre 2022

Parution : Du football, dans le monde arabe

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parution : "le jeu rebelle : le pouvoir du football au moyen-orient et la coupe du monde au qatar".
avec un article de mich-selbst (mézigue) : "la passion du jeu : football, politique et contestation au maghreb" - traduit du français à l'allemand.




jeudi 14 avril 2022

Loi de Murphy et élections

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Contrairement à une idée répandue en France, la loi de Murphy ne signifie pas vraiment "loi de l'emmerdement maximum", définition qui laisse entendre que les problèmes se répéteront en série. Sa véritable définition est :  si quelque chose doit mal tourner, c'est ce qui se passera.

En aéronautique, c'est l'une des premières choses que l'on apprend, qu'il s'agisse de la conception ou de la maintenance. Si vous concevez un ensemble où des pièces pourraient être montées de manière incorrecte, elles le seront. 

Si vous organisez (mal) votre atelier de manière à ce que des techniciens se trompent d'outils, ils se tromperont.

Et en matière électorale ?

S'il y a une chance pour que les choses se passent mal, se passeront-elles mal ?


lundi 28 mars 2022

"L'Algérie, espace et société" (archive)

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Note de lecture à propos de l'ouvrage "L'Algérie, espace et société"
de Marc Cote dont on vient d'apprendre le décès.

L’Algérie, espace et société
Marc Cote

par Akram Belkaïd
Le Monde diplomatique, août 1996

Marc Cote, géographe, a enseigné durant vingt-cinq ans à l’université de Constantine, et son ouvrage, riche en cartes géographiques et données chiffrées, se propose de « décrypter la réalité algérienne » à travers l’interface société-espace. On y lira avec attention la partie consacrée à « l’Algérie des campagnes » avec, à la clé, une intéressante analyse sur la situation de l’agriculture où l’auteur met en relief la nécessité d’« une révolution agricole », le pays n’atteignant plus que 30 % d’autosuffisance alimentaire. Autre impératif de sécurité, celui qui concerne « l’Algérie des villes » et leurs ressources hydrauliques. A la différence du domaine alimentaire où le pays ne peut que réduire sa dépendance extérieure, il lui est possible de couvrir tous ses besoins hydrauliques à la condition d’achever son programme de barrages à l’horizon 2025. Mais l’un des intérêts majeurs de ce livre est de fournir un outil sérieux et scientifique pour comprendre une partie des mécanismes qui ont conduit à la crise actuelle tout en replaçant cette dernière dans un contexte socio-historique et géographique qui la relativise. Si les Algériens « se sentent mal dans leur espace », leur pays, « qui a 2000 ans d’histoire derrière lui », n’en a pas moins les moyens de surmonter ses difficultés.

Éditions Masson-Armand Collin, Paris, 1996, 253 pages, 130 F.

mercredi 2 mars 2022

Le pas de côté : Non au campisme

Par Akram Belkaïd

Paris, mercredi 2 mars 2022

 

L’invasion de l’Ukraine par les forces armées russes déclenche un peu partout passions et divisions. Dans ce genre de situation, les adeptes du campisme – autrement dit ceux qui multiplient les injonctions à choisir son camp – entretiennent la confusion et poussent à la surenchère et à la radicalisation des positions. Les uns condamnent Poutine et vont jusqu’à exiger un conflit armé avec la Russie. Les autres rappellent, à juste-titre, que d’autres pays ont envahi ou annexé des territoires qui ne leur appartiennent pas et que cela ne déclenche pas les mêmes réactions indignées.

 

Que faire ? 

 

Comme pour toute crise majeure, l’unique boussole devrait être le respect du droit international et de la Charte des Nations Unies. Qu’importe la nature des régimes concernés et qu’importe le passif des uns ou des autres. Je m’explique. En 1990, l’invasion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein a provoqué une situation comparable à celle que nous vivons aujourd’hui. Il s’agissait alors d’une agression contraire au droit international puisque Bagdad entendait annexer un pays souverain reconnu par la communauté internationale. Arguant de la nature détestable de la monarchie koweitienne, nombreux furent ceux qui y trouvèrent argument pour ne pas condamner l’attaque irakienne. Or, cette condamnation était nécessaire et légitime. En attendant que l’humanité trouve mieux, la règle est simple : on n’attaque pas son voisin, on ne l’envahit pas et, surtout, on ne l’annexe pas. Le respect des frontières est la clef de voûte de la paix dans le monde.

 

Cela vaut pour ce qui se passe en Ukraine. La condamnation de l’attaque russe doit être sans équivoque et même, s’il le faut, sans passion aucune. Le droit international est trop précieux pour être séquencé ou relativisé. Et c’est cette condamnation qui donne du crédit à la position non-campiste que l’on est en droit de défendre. Condamnation ne veut pas dire naïveté ou complicité avec l’Occident. Oui, la Russie a des griefs légitimes à l’encontre de l’Occident et plus particulièrement des États-Unis. Oui, la promesse faite à Mikhaïl Gorbatchev de ne pas étendre à l’est les forces de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) n’a pas été respectée. Oui, la mise en garde vindicative de Vladimir Poutine contre l’unilatéralisme américain lancée en février 2007 lors de la Conférence sur la politique de sécurité n’a pas été prise au sérieux ou, pire, elle a été méprisée. Tous ces arguments sont recevables pour réclamer des négociations pour la paix mais ils n’excusent pas l’attaque de l’Ukraine et la mort de civils.

 

Personne ne niera que le droit international n’est pas toujours respecté par les pays qui le brandissent aujourd’hui afin de sanctionner la Russie. En 1991, il fut mis en avant pour « libérer » le Koweït alors que, dans le même temps, il continuait d’être violé par Israël qui, aujourd’hui encore, continue d’occuper – et de coloniser - des Territoires palestiniens qui ne lui appartiennent pas sans oublier l’annexion illégale du plateau du Golan syrien. Dans les deux cas, Israël foule aux pieds plusieurs résolutions des Nations Unies et cela décrédibilise les discours occidentaux à l’encontre de la Russie. Nous en avons l’habitude : droit international en faveur des uns mais pas des autres… C’est bien pour cela que la condamnation de l’invasion russe est nécessaire. Elle relève d’une cohérence de position. Si nous revendiquons le droit des Palestiniens à être libres et à bénéficier des résolutions de l’ONU, nous ne pouvons pas décider de regarder ailleurs en ce qui concerne l’Ukraine. Le message à l’égard de l’Amérique et de l’Union européenne est simple : Nous condamnons comme vous cette invasion mais nous ne sommes pas dupes quant à vos principes à géométrie variable. Et en cela, nous ne sommes pas dans le même camp.

 

Cela amène, pour finir, à la remarque suivante. Oui, il est toujours désagréable d’avoir la sensation d’être dans le même bateau que les BHL et autres néo-conservateurs qui s’étaient déjà illustrés en 2003 en soutenant l’agression anglo-américaine contre l’Irak. Ces gens sont des clowns dangereux dont la posture belliciste a déjà fait beaucoup de dégâts. Rappelons donc la formule d’usage qui sied à ce genre de situation : une montre cassée donne tout de même l’heure exacte deux fois par jour. Condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ce n’est pas être dans le même camp que BHL et compagnie. C’est juste une coïncidence, surtout si on rappelle à cette camarilla ses silences et compromissions à propos de la Palestine. 

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mercredi 26 janvier 2022

Manière de voir : Le Maghreb en danger...

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Manière de voir n°181, février-mars 2022
Une soixantaine d'années après leur indépendance, les pays du Maghreb demeurent désunis et peinent à bâtir entre eux une union quelconque. La région qui fait face à des défis gigantesques - sociaux, climatiques, sécuritaires et migratoires - est de surcroît pénalisée par l'hostilité entre l'Algérie et le Maroc.
Disponible en kiosques et sur notre boutique en ligne

Désunion et autoritarisme ///// Akram Belkaïd 

Regard

Une certaine idée du Maghreb  ///// Amin Khan 

Le Maghreb central ///// Cécile Marin 

I. Différends et déceptions

Au coeur du combat anticolonial, la promesse d'un Maghreb uni cimentait les discours des nationalistes algériens, marocains et tunisiens. Un seul peuple, une culture et des langues communes sans oublier une même religion permettaient d'espérer une intégration régionale aisée. Las, au lendemain des indépendances, les contentieux frontaliers et les rivalités politiques se chargent de briser le rêve unitaire.

Un long chemin vers la liberté ///// Kateb Yacine

La « guerre des sables »///// Lyes Si Zoubir 

1963, point de bascule ///// Philippe Herreman 

Les frontières, facteur de conflits ///// P. H. 

Parfum d'intégration économique ///// Bruno Étienne 

« Une paix permanente pour les siècles à venir » ///// A. B. 

De timides retrouvailles  ///// Habib El-Malki  

Naissance d'une union

II. Ébullitions

Plus de six décennies après les indépendances, les pouvoirs maghrébins semblent ignorer les revendications politiques et identitaires de leurs peuples. La révolution tunisienne de 2011 puis le Hirak de 2017 au Maroc et celui de 2019 en Algérie ont pourtant démontré  que l'espérance démocratique reste forte. Les rares acquis demeurant fragiles, la contestation n'est pas près de disparaître.

Les obstacles à l'émancipation démocratique ///// Hicham Alaoui 

Des journalistes sous pression ///// Pierre Puchot 

Les gérontocrates et le dilettante ///// A. B. 

Soudain, le Hirak ///// Arezki Metref 

Quand le Rif défie l'État profond ///// Aboubakr Jamaï 

En Tunisie, la colère gronde toujours ///// Olfa Lamloum 

Inépuisable affirmation berbère ///// A. M. 

III. Lignes de fracture

Chacun pour soi et qu'importent les projets d'intégration régionale : telle semble  être la devise des pouvoirs maghrébins. Principal obstacle   une union, fût-elle modeste, le contentieux algéro-marocain ne cesse de s'aggraver, au point d'empêcher Alger, Rabat et Tunis d'agir de manière concertée face à la crise libyenne. Le rapprochement entre le royaume et Israël complique une situation déjà tendue.

Le fardeau du « non-Maghreb » ///// Francis Ghilès 

Impuissance maghrébine en Libye ///// Adlene Mohammedi 

Israël, source de déstabilisation régionale ///// Olivier Pironet 

La tension s'aggrave entre Alger et Rabat ///// Lakhdar Benchiba et Omar-Lotfi Lahlou 

Consensus marocain sur le Sahara ///// Réda Zaïreg 

La désertification s'étend ///// Pierre Rognon 

Mise à mal de la neutralité tunisienne///// Thierry Brésillon 

Couscous, les graines de la discorde  ///// A. B. 

IV. Une région face au monde

Entité  homogène sur les plans démographique, culturel et religieux, le Maghreb doit sans cesse redéfinir ses rapports avec ses voisins. Les liens avec le monde arabe et des projets d'union plus ou moins solides ont souvent constitué des obstacles à sa propre intégration. L'Europe s'avère incapable de lui proposer un partenariat ambitieux quand, dans le même temps, la Chine avance ses pions.

Une frénésie d'unions ///// Paul Balta 

Offensive stratégique de la Chine ///// Adel Abdel Ghafar et Anna Jacobs 

Exercice d'équilibriste pour Madrid ///// Thierry Maliniak 


 

Allez les Lions !

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Pour mémoire, et avant le match Maroc-Égypte, voici le message écrit par une personnalité française à ses amis algériens après le match Algérie-Egypte du 18 novembre 2009 à Khartoum (Oum Dourman) :
« Je suis à Casablanca. Je suis tranquille en train de travailler. Une immense clameur surgit de la ville. Inquiet je téléphone à un ami. Il me dit l'Algérie vient de marquer un but. Je continue, tranquille. Une heure après les voitures hurlent dans toutes les avenues. Je téléphone à un ami. Il me dit « Nous avons gagné ». Je lui dis «qui ?». Il me dit « ben, l'Algérie ! » »
Et cette personnalité de conclure : « Le Maghreb existe enfin, je l'ai vu et entendu ».
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jeudi 30 décembre 2021

La chronique du blédard : La huit-cent-cinquantième : Merci et au-revoir !

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Le Quotidien d’Oran, Jeudi 30 décembre 2021

Akram Belkaïd, Paris

 

 

Amies lectrices, amis lecteurs, copains d’Alger et de Montréal, cousins et parents de Ténès et de partout ailleurs, bienveillantes lectrices, bienveillants lecteurs de La Marsa, Portland, Vienne, Genève, Mascate et Barize, cher lectorat toujours indulgent mais aussi chers contempteurs et chères contemptrices d’ici et de là-bas : même les meilleures plaisanteries ont une fin. Cette chronique est donc la dernière du genre. Si, si, il faut bien clore l’aventure pour en préparer d’autres. Ici se ferme donc le crochet ouvert en avril 2005. Depuis cette date, huit-cent-cinquante (850) textes se sont succédés de manière quasi-ininterrompue, exception faite des non-parutions du présent journal pour cause de jours fériés. Pas de quoi entrer dans le Guiness mais tout de même ! Faites claquer paumes et phalanges, champagne pour tout le monde et lben fermenté pour les autres. Huit-cent-cinquante textes… Soit l’équivalent, au doigt mouillé, de cinq millions de signes (espaces compris pour celles et ceux qui n’ont pas encore compris la règle) ou encore de deux mille-cinq-cents (2 500) pages d’un ouvrage standard. Voilà pour les considérations arithmétiques (ajoutons à cela les six-cent-neuf chroniques économiques qui se sont succédées de janvier 2008 à la semaine dernière et qui, elles aussi, s’achèvent).

 

J’aimerais ici remercier la direction du Quotidien d’Oran qui a offert l’hospitalité de ses colonnes à une chronique totalement libre, sans aucun thème ni sujet imposé. Une chronique qui lui a parfois attiré quelques appels, courriers et soucis en créant ici et là des turbulences et des frémissements de moustaches wanetoutristes. Cela a d’ailleurs commencé dès le début avec une réflexion, maladroite, je le reconnais aujourd’hui, à propos des « beurs » et des « blédards » qui me vaut, aujourd’hui encore, quelques inimitiés dont celle d’un brobro ami d’une ex-copine à Sarko. Mais c’est la règle du jeu et celle de notre métier : si des gens ne sont pas contents de ce que l’on a écrit, c’est que l’on a fait son travail. Faire enrager les officiels, les communiquants et leurs obligés, les porte-parole des institutions et leurs relais : voici une bonne feuille de route. De toutes les chroniques qui se sont succédées, il en est ainsi dont on me parle encore notamment celles qui provoquèrent les ires respectives d’un consul d’Algérie en France, d’un écrivain algérien en mal de prix littéraire, d’un ministre français des affaires étrangères, etc. Les textes sarcastiques, ou les « monologues » ont aussi leurs afficionados sans oublier les quelques incursions dans le monde de la poésie et de la fiction.

 

Cette chronique a pu cheminer durant des années sans jamais souffrir de la moindre censure et encore moins d’autocensure. C’est peut-être ce qui explique sa longévité et le plaisir que j’ai eu à me remettre chaque semaine à la tâche. Quel que soit le contexte, quels que soient le lieu ou les circonstances, il me fallait penser à « la » chronique, l’écrire (souvent le dimanche ou le mardi) et, parfois, me démener pour trouver le moyen de l’envoyer en temps et en heure (souvenir d’un texte envoyé à la dernière minute d’un improbable cybercafé dans un petit village du Sinaï écrasé par la chaleur). Anticiper un sujet, en noter un autre, avoir toujours en tête qu’il y a une chronique qui attend d’être rédigée, se dire chaque semaine que l’on serait avisé d’en avoir quelques-unes au marbre (ou au frigo) mais travailler presque toujours en flux tendu (le dos au mur : la pire et la meilleure des méthodes…). Mes semaines ont souvent commencé le mercredi à midi, une fois la chronique bouclée et envoyée, avec cette sensation de soulagement temporaire car, dès le dimanche, l’ampoule rouge se remettait  à clignoter.

 

J’en relis souvent certaines – celles liées à la contemplation de scènes qui pourraient paraître banales – et j’avoue en redécouvrir d’autres dont j’ai complètement oublié le thème et le contenu. Un journaliste ne peut pas traiter tous les sujets qu’il a en tête. Il lui faut faire des choix mais, règle essentielle, il doit garder l’illusion qu’il peut tout écrire et tout aborder. Si tel n’est pas le cas, le plaisir s’étiole et la mauvaise conscience s’installe. Des textes et des chroniques, j’espère qu’il y en aura encore d’autres. Dans mon blog, sur ma page Facebook, ou ailleurs. Merci donc à toutes et à tous. Roulement de tambour, zoom et plan fixe mais au lieu de lancer le fameux « au-revoir » avant de me lever et de tourner le dos, je lance un « qiw ! » bien sonore et vous dit à bientôt.

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jeudi 23 décembre 2021

[Plus de trois cent prisonniers d’opinion] La chronique du blédard : Nos joies amères

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Jeudi 23 décembre 2021

Akram Belkaïd, Paris

 

One, two, three, on a gagné et la vie est belle… 

La formule consacrée affirme que le football est l’opium des peuples. On peut aussi reprendre l’expression romaine « panem et circences » (du pain et des jeux du cirque) en l’adaptant : « panem et pila ludum pedites »(du pain et du football) [NDC, que le distingué latiniste me pardonne cette traduction approximative]. Du football donc, il en a été beaucoup question ces derniers jours avec la victoire de l’équipe A’ de l’Algérie à la Coupe arabe des nations disputée au Qatar.

 

Les lecteurs réguliers de cette chronique savent que son auteur est un passionné de ballon rond, aussi aurais-je du mal à feindre l’indifférence. Une victoire et une ligne supplémentaire dans un palmarès, somme toute bien maigrichon si on le compare à celui de l’Égypte ou du Nigeria (*), sont toujours bonnes à prendre. Mais de là à se comporter comme si nous avions remporté la Coupe du monde, il y a un immense pas que beaucoup ont franchi. On me dira que les manifestations de joie qui ont suivi le but de Brahimi contre la Tunisie et la remise de la coupe aux Verts (de grâce, cessez de les appeler « Fennecs ») sont le signe d’une triste époque. De celles où les occasions d’être heureux ne sont pas très nombreuses pour ne pas dire inexistantes. Conclusion, tout est bon pour se défouler un peu. D’accord, mais dans ce genre de joie, il y a une forme d’indécence qui pose problème.

 

Le football est une passion algérienne. Je crois même que les jeunes générations sont encore plus mordues que leurs aînées, du moins en ce qui concerne les manifestations d’enthousiasme comme celles auxquelles nous avons assisté dans le centre-ville d’Alger au moment de la parade des joueurs dans leur bus à impériale. Les chants, les cris, l’éclat des fumigènes, les lumières des milliers de téléphones portables filmant la scène donnaient à cette froide nuit de décembre un goût de juillet. Certes, ce n’était pas l’impressionnant feu d’artifice tiré la veille à Doha mais cela en imposait.

 

Mais il était impossible de ne pas se faire la remarque suivante : il y a deux ans, nos journaux titraient « marée humaine pour exiger le changement en Algérie ». Aujourd'hui, cette marée humaine célèbre une équipe vaillante mais la régression est là. Il est d’ailleurs symbolique que les images télévisées de cette liesse aient été aussi lugubres, comme si un filtre rappelant à la réalité s’imposait coûte que coûte. Le wanetoutrismefootballistique aura donc remplacé le Hirak interdit. Pour rester optimiste, on dira que ceci n’empêchera pas cela. Que la passion autour du sport précède et cristallise les contestations politiques, que cela fut vrai en février 2019, le Hirak s’étant annoncé dans les stades et dans les virages des ultras. Mais tout de même… 

 

L’évidente récupération de la victoire par les autorités du pays est manifeste. On pourra faire le parallèle avec le passé et se demander si Houari Boumediene aurait accepté de poser (de poser, pas de recevoir) avec les joueurs ayant remporté la médaille d’or aux Jeux méditerranéens de 1975. Les temps sont ce qu’ils sont et les statures d’antan sont peut-être démodées… Oui, je sais, il ne faut pas être naïfs. Tous les pouvoirs politiques, où que l’on soit, en France comme en Chine ou aux États-Unis, n’hésitent pas à récupérer une victoire sportive. Mais il me paraît évident que certains en ont manifestement un besoin plus pressant que d’autres…

 

Il ne s’agit pas ici de dire qu’il faudrait se priver d’être heureux parce que son équipe nationale a remporté une compétition au grand dam de ressortissants du Golfe. C’est d’autant plus vrai que ces « cousins arabes » sont d’autant plus enclins à nous détester que nous ne nous gênons pas pour afficher notre soutien aux Palestiniens quand leurs dirigeants préfèrent désormais les boîtes de nuit de Tel Aviv. Mais gardons les pieds sur terre. Le football n’arrange en rien la situation du pays. Une fois les clameurs tues, il reste la réalité. Et, sans parler de la situation économique et sociale, cette réalité est sordide : plusieurs centaines de nos compatriotes sont injustement détenus ou poursuivis parce qu’ils n’ont fait qu’exprimer une opinion ou parce qu’ils militent pour une vraie Algérie nouvelle, plus démocratique et plus libre. 

 

Samedi et dimanche soirs, alors que me parvenaient les images d’euphorie, j’ai pensé à ces femmes et à ces hommes. Qu’ont-ils pensé en entendant les clameurs de la rue ? Ont-ils reçu des messages de solidarité leur affirmant qu’ils n’étaient pas seuls ? One-two-three ou pas, tant qu’ils ne seront pas libres, nos joies auront un goût d’inachevé. Un sale goût d’amertume et d’échec. Et la coupe la plus dorée ne doit pas nous faire oublier ces prisonniers qui n’ont pour seule faiblesse que le fait d’aimer leur pays.

 

(*) 7 Coupes d’Afrique des nations et une Coupe arabe pour l’Égypte, 1 médaille d’or aux Jeux olympiques et 3 Coupes d’Afrique des nations pour le Nigeria.

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mardi 21 décembre 2021

La chronique du blédard : « Foie gras et Tour de France » - Quatre questions pour la naturalisation de Deqqa El-Tkatki

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 16 décembre 2021
Akram Belkaïd, Paris

Quelques mois après l’élection de Valérie Pécresse à l’élection présidentielle (on ne précisera pas l’année), M. Deqqa El-Tkatki toucha enfin au bout de son parcours administratif pour obtenir la nationalité française. Une démarche qu’il tenait secrète vis-à-vis de son entourage amical habitué à le voir conspuer l’ancienne puissance coloniale à coups de posts rageurs et de gazouillis outranciers. Mais ce n’est pas là l’essentiel de notre histoire. Pour devenir le concitoyen du premier ministre Eric Zemmour, M. El-Tkatki n’avait plus qu’à passer l’entretien final et répondre aux fameuses quatre questions prévues par la loi « intégration, laïcité et lutte contre le séparatisme vicieux ».
Dans un bureau morne et poussiéreux de la préfecture de Lyon, il avait en face de lui un fonctionnaire à la moue désabusée, un signe que Deqqa ne put interpréter. Sans perdre de temps, son vis-à-vis lui posa la première question. « Avez-vous un sapin de Noël chez vous ? ». Deqqa se détendit. Aucun ordre n’était prévu pour les questions. Celle-ci, ne devait pas trop lui poser de problèmes. De plus, la rencontre se déroulait en juin. La vérification immédiate qui avait parfois lieu était donc hautement improbable. « En ce moment, non », répondit-il avec un large sourire. « Je veux dire, achetez-vous un sapin pour Noël ? » s’agaça le fonctionnaire sans lever la tête de ses papiers.
Deqqa laissa passer quelques secondes avant de porter ce qu’il jugeait être sa première estocade. « Écoutez, allons directement au fond des choses. Je sais que le conseil d’État vous interdit de me poser la vraie question mais je vais tout de même y répondre. Oui, dans ma famille, nous fêtons Noël ! ». Le bureaucrate lui lança un regard surpris. « Vraiment ? ». Deqqa se dandina sur sa chaise. « Vingt-cinq points sur cent » se dit-il (il en fallait un minimum de soixante, la future loi « laïcité, sécurité et loi contre le communautarisme sournois » qui portait l’exigence à quatre-vingt-points sur cent n’ayant pas encore été votée). Mais rien n’était encore joué. Le fonctionnaire ne lâchait pas prise facilement. « Avez-vous gardé les factures d’achat du sapin ? Avez-vous des photos du réveillon ? Que vous-a-t-on offert au dernier Noël ? », demanda-t-il en rafale. Ces questions étaient prévisibles mais elles mirent Deqqa en alerte. L’affaire serait peut-être plus difficile à régler.
Comme cadeau, il cita d’emblée « Ma capacité d’adaptation », le best-seller de Manuel Valls puis tira de sa chemise cartonnée quelques factures – obligeamment fournies par Hssissen, fleuriste à Saint-Etienne – et fit défiler quelques clichés sur son téléphone. On y voyait une famille réunie autour d’une table à la nappe blanche avec en arrière-plan un sapin et quelques guirlandes. L’aspect souffreteux de l’arbrisseau, les mines rigolardes des enfants et celle, figée, de son épouse, pouvaient donner lieu à diverses interprétations et à des vérifications supplémentaires mais l’autre opina du chef. « 25 points », dit-il. « Passons à la deuxième question. Qui sont les vainqueurs du Tour de France en 1950 et 1951 ? ».
Deqqa se mordit les lèvres. Il avait appris par cœur le palmarès du Tour de 1947 à 1998 – après, cela ne servait à rien en raison, dopage et tricheries obligent, de la dévaluation manifeste de l’épreuve. Mais dans ce classement, il retenait surtout les victoires françaises. Robic, Bobet, Walkowiak – oui, oui, il connaissait le nom de ce vainqueur inconnu et oublié -, Anquetil, Aimar, Pingeon, Thévenet, Hinault et Fignon. Il avait même en tête un laïus à propos de La Marseillaise qui n’avait plus retentit à l’arrivée finale depuis 1985. Une « hchouma, pardon, une honte, mon cher monsieur ! ».
Mais là, la question précise portait sur « les deux Suisses ». Il connaissait leur nom, un peu trop semblables ce qui ajoutait à son trouble car il ne savait jamais dans quel ordre les placer. Kübler puis Koblet ou Koblet avant Kübler ? Et ce maudit moyen mnémotechnique qu’il croyait infaillible et qu’il finissait toujours par oublier... Après le « k », fallait-il suivre l’ordre alphabétique : le « o » avant le « u » et donc Koblet en 1950 et Kübler en 1951. Ou était-ce l’inverse, le « u » avant le « o » ? A tout hasard, il lança « Kübler en 1950, Kobler en 1951, Coppi en 1952 et le très très grand Louison Bobet en 1953 ». Le fonctionnaire siffla d’admiration. « Cinquante points. J’en ajoute cinq grâce à mon pouvoir discrétionnaire car je suis breton et Bobet est un héros familial. Bon, je ne vais pas vous embêter avec le foie gras. Moi-même je déteste cette mélasse. Parlons des Miss. Regardez-vous le concours ? »
Deqqa fut partagé. La question sur le foie gras – il en mangeait volontiers – lui aurait permis de placer l’estocade finale. « Oui, j’adore ça mais moins que la choucroute garnie » aurait été sa réponse. Simple, précis, emportez, c’est pesé, par-ici le passeport et la carte d’identité, terminée l’attente à la préfecture pour la résidence, bienvenue aux voyages sans visas, bref, plus de galère. Mais là, il fallait parler des Miss. Rien de vraiment difficile. « Oui, j’aime beaucoup », dit-il. « Bien sûr, ma femme me surveille quand on regarde » ajouta-t-il avec un clin d’œil complice. « Mais ce que j’aime, c’est quand les candidates parlent de leur région. Ça donne envie de faire du tourisme en France, de mieux connaître le pays… ».
Le fonctionnaire eut un large geste de satisfaction. « Quatre-vingt points ! Bravo. Vous êtes même dans les cordes de la prochaine loi. Néanmoins, j’ai juste une petite vérification à faire. C’est nouveau. Il y a une semaine nous avons reçu une circulaire de la part de madame Schiappa, la garde des sceaux. Votre naturalisation est acquise mais c’est juste pour ne pas vous imposer une durée probatoire. Alors voilà : dites-moi sincèrement quelle serait votre réaction si une Miss se présentait voilée ? ».
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jeudi 7 octobre 2021

La chronique du blédard : Une affaire franco-française

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 7 octobre 2021

Akram Belkaïd, Paris

 

Commençons par une mise au point. Les Algériennes et les Algériens connaissent la nature du pouvoir qui dirige leur pays. Ils n’ont pas attendu qu’Emmanuel Macron, frappé peut-être par un soudain accès de lucidité, s’exprime de manière non-diplomatique à son sujet. Les banderoles et les slogans du Hirak n’ont jamais cessé de le montrer. Alors, certes, il est parmi nous quelques flagorneurs et plumitifs caudataires qui, ici ou ailleurs, disent le contraire et prétendent que tout va bien dans le meilleur des pays mais soyons sérieux : l’affaire est entendue depuis longtemps. L’Algérie a besoin de renouveau et son régime politique doit absolument changer. « Le slogan ‘‘Yatnahaw Gaâ’’ exprime une volonté de rupture avec les institutions actuelles, dans leur composante, leur performance, leurs pratiques et leurs conséquences » déclarait il y a près d’un an l’initiative de concertation autonome « Nida 22 ». C’est un constat qui demeure valide.

 

Venons-en maintenant au caquetage macronien à propos de la nation algérienne qui, selon lui, n’aurait pas existé avant 1830. Un dérapage (voulu ?) qui a fait l’unanimité contre lui en Algérie et qui fera peut-être comprendre au président français qu’être opposé au régime ne signifie pas que l’on adhère à ce révisionnisme ambiant concernant l’histoire de notre pays. Autant le préciser tout de suite : cette chronique n’entend pas argumenter en réponse à cette provocation. Des historiens algériens, dont Hosni Kitouni, se sont exprimés là-dessus (1) et, de toutes les façons, cela ne changera rien au problème. De plus, comme le dit la désormais fameuse « loi » de Brandolini, « la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter les idioties est largement supérieure à celle nécessaire pour les produire. » Ce « principe d’asymétrie des idioties »implique donc que l’on soit économe de ses efforts et que l’on ne cherche pas à convaincre celui qui refusera de l’être.

 

De fait, osons ici une petite remarque. Comme nombre d’élites françaises, qu’elles soient politiques, universitaires ou intellectuelles, Emmanuel Macron ne peut s’empêcher d’expliquer aux Algériens ce qu’ils sont ou ce qu’ils ont été. Après plusieurs décennies de pratique du métier de journalisme, je n’ai jamais vu ça ailleurs qu’en France, pays où l’on vous explique d’un ton docte votre propre histoire, votre propre sociologie tout en balayant d’un geste, entendu ou agacé, vos remarques ou réserves. C’est ainsi. Chercher à changer cet état de fait risque d’être épuisant.

 

Ce qu’il y a d’intéressant concernant cette sortie présidentielle sur la nation algérienne, c’est qu’elle reprend le discours colonialiste de la Terra nullius, locution latine qui signifie « territoire sans maître. » Comprendre que la France avait le « droit » de coloniser l’Algérie puisqu’elle était sans maître ni… nation. Mais attention, il ne faut surtout pas croire que cette pensée est majoritaire. Nombre de Français n’ont aucune sympathie pour la période coloniale et savent à quoi s’en tenir. Mais l’air du temps est ce qu’il est et les lignes bougent. Il n’échappe à personne que la conjoncture est marquée par la forte résurgence du plaidoyer pro-colonial lequel s’impose dans la campagne électorale pour la prochaine élection présidentielle.

 

Hasard du calendrier, cette dernière coïncidera avec le soixantième anniversaire de la fin de la guerre d’indépendance avec son lot de commémorations : les tueries du 17 octobre 1961, les morts du métro Charonne à Paris, le 8 février 1962, les négociations d’Evian, le cessez-le-feu du 19 mars 1962 sans oublier les attentats, en Algérie comme en France, de l’Organisation armée secrète (OAS). A chaque fois, ce n’est pas d’Algérie que viendra la « surenchère mémorielle » mais bien de France où l’on est tenu - même si l’on professe un discours critique à l’égard de la colonisation et de ce que fut la guerre d’Algérie – de mettre systématiquement les indépendantistes algériens en accusation. Cinq minutes pour les enfumés du Dahra, et cinq minutes pour Pélissier. Cinq minutes pour les victimes d’Aussarès et de Papon, cinq minutes pour les « exactions » du FLN. C’est la règle qui s’impose désormais. Tendez-bien l’oreille ou lisez bien la majorité de ce qui se publiera, le message sera toujours de la même teneur. Dans le meilleur des cas, ce sera : les Algériens avaient raison de vouloir être indépendants mais le FLN a tout de même…

 

A quoi tient cette mise à distance égale ? La réponse est simple. La colonisation est encore un poids à expier. Parce que le rapport fantasmé au passé, la nostalgie pour la puissance de l’empire et, certainement, la mauvaise conscience et la culpabilité, empêchent l’expiation et donc la délivrance définitive. Ce à quoi s’ajoutent les considérations de politique intérieure qui rendent impossibles une reconnaissance définitive des torts et la présentation d’excuses au peuple algérien. Personne ne niera que les déclarations françaises à propos de l’Algérie sont toujours du pain béni pour le régime d’Alger car cela lui offre de belles occasions pour faire diversion et appeler à resserrer les rangs. 

 

Mais il faut revenir au point de départ. J’affirme ici que c’est en France que l’obsession du passé algérien est la plus prenante et c’est d’autant plus complexe que cela n’est pas assumé. Pourtant, n’importe quel politicien français le confirmera. S’exprimer à propos de l’Algérie, c’est d’abord prendre des risques sur le plan de la politique intérieure. C’est fâcher des électeurs. C’est prendre le risque de se mettre à dos les uns ou les autres ou même tout le monde : rapatriés, enfants de rapatriés, harkis et leurs enfants, français issus de l’immigration maghrébine, anciens appelés du contingent, ressortissants originaires des protectorats maghrébins ou des colonies d’Afrique subsaharienne, etc. 

 

Donc, on se tait, on élude, on tergiverse, on n’ose pas réagir quand l’extrême-droite fait dans la surenchère ou bien alors on l’accompagne. Mieux, on la devance. Bref, tout cela est d’abord une affaire franco-française qui pourrait même passer inaperçue en Algérie si nous avions les moyens d’avoir nos propres débats, si nos éditeurs étaient aidés et encouragés par l’Etat à publier et faire œuvre de mémoire, si la liberté de parole était consacrée au lieu d’être entravée et si, enfin, nos historiens avaient un droit d’accès à toutes les archives nationales. Au lieu de cela, nous sommes toujours en position défensive par rapport à ce qui se dit et s’écrit en France et nous nous engageons dans des polémiques mémorielles qui, en réalité et pour l’essentiel, sont d’abord une affaire hexagonale. Ce qui se joue en France n’est rien d’autre qu’un réveil puissant de mémoires algériennes difficilement réconciliables. Certes, cela concerne les Algériens. Mais de loin. Et il sera vain d’espérer un apaisement mémoriel entre Alger et Paris tant que la France n’aura pas trouvé un consensus majoritaire sur son passé algérien.  

 

(1) « Macron sous-estime la mémoire blessée des Algériens », El-Watan, 4 octobre 2021.

  

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lundi 4 octobre 2021

La chronique du blédard : Un jour, peut-être (hommage aux harragas)

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 30 septembre 2021

Akram Belkaïd, Paris

 

Un jour, peut-être, il y aura en divers endroits du littoral algérien des monuments sobres et modestes qui rendront hommage aux âmes englouties par les flots. Le passant s’arrêtera et, contemplant la Méditerranée, il pensera avec émotion à ces femmes, à ces enfants et à ces hommes, Algériens ou autres, qui ont perdu la vie en tentant de quitter leur pays pour gagner l’Espagne ou l’Italie puis un quelconque point d’Europe. Les embruns dénoueront alors sa poitrine et il pleurera en silence sur ces anonymes qui rêvaient, non pas du paradis, mais juste d’un enfer plus supportable que leur quotidien.

 

Un jour, peut-être, un président prononcera un long discours où il s’excusera au nom de la république de tant de mépris pour celles et ceux qui ont décidé de défier la mort en embarquant dans des rafiots surchargés. Il dira que le silence à leur égard ; le silence à l’égard des corps repêchés et de ceux qui ne furent jamais retrouvés ; le silence vis-à-vis de ceux qui ont disparu en Libye et que leurs familles cherchent encore ; ce silence à l’égard des interpellés sur les plages par les carabiniers ou la Guardia civil qui signifiait « gardez-les, vous nous rendrez service », ce silence, donc, ce président bien élu en dira l’acte d’accusation et prononcera une phrase dédiée à la postérité : « comment avons-nous pu accepter que nos enfants meurent ainsi ? »

 

Un jour, peut-être, cet exode continu sera désigné selon sa juste nature : une tragédie nationale. Un échec national. Avec ou sans visa, partir est un échec. Et quand le départ est encouragé car l’on ne sait pas quoi faire de vous ; parce qu’en réalité, on vous pousse à partir, parce que l’on est incapable de vous offrir une économie qui fonctionne et qui crée des emplois, un système de santé qui soigne et une société qui aide et apaise plutôt que de de sermonner, alors ce départ est bien plus que cela. Il s’agit d’un gaspillage humain. D’un nettoyage. Ou, osons ce mot, d’un sacrifice.

 

Un jour, peut-être, un économiste en mal de calculs singuliers se penchera sur cette interrogation : que vaut la vie d’une Algérienne ou d’un Algérien ? A combien de barils d’or noir peut-on l’évaluer ? A combien de mètres cube de gaz naturel peut-on la comparer ? Combien coûte la vie d’un noyé en Méditerranée ? Certains disent que celles et ceux qui partent sont sans instruction, sans diplômes, qu’ils fuient parce que leur vie au pays est un échec. Nous savons tous que c’est faux. Qui se souvient de cet octogénaire, plus vieux à l’époque que Bouteflika alors président, qui fut intercepté dans un botti au large d’Annaba ? Avoir vécu sous la colonisation, avoir connu l’indépendance et décider tout de même de quitter son pays : cela se passe de commentaire. 

 

Un jour, peut-être, on cessera de dire de ces gamins qui partent qu’ils sont des enfants gâtés, qu’ils ne veulent pas travailler, qu’ils rêvent à la facilité et à de gros salaires en devises fortes. C’est un beau discours pour se donner bonne conscience. C’est toujours la faute de l’autre, et surtout, de la victime. 

 

Un jour, peut-être, on prendra la mesure de l’héroïsme de ces êtres humains que l’on affuble aujourd’hui de tant de mots honteux : harragas, migrants, clandestins, illégaux… Il faut du courage pour partir de chez soi. Il faut du courage pour traverser le désert puis la mer. Il faut du courage pour partir « là-bas » en sachant très bien ce qui vous y attend. Le temps, l’époque, ne sont plus aux mirages et aux fantasmes. Internet et les témoignages de ceux qui ont réussi à fendre les frontières sont là pour tout dire. Les camps de rétention, la traque policière, les logements glauques, les petits travaux, la délinquance qui tente, les réseaux criminels ravis par l’existence de viviers humains où ils peuvent puiser et qui se renouvellent sans cesse. Ceux qui partent savent mais, pour eux, il n’y a plus de choix possible.

 

Un jour, peut-être, les Européens seront moins égoïstes et comprendront que fermer les frontières, user et abuser des visas n’est pas la solution. Que donner la possibilité aux gens d’aller et de venir est la meilleure approche. Le visa crée la traversée illégale, le clandestin et le travailleur au noir. La circulation facilitée crée des norias, des gens qui vont et viennent mais qui, in fine, restent dans leur pays. Mais une condition majeure suspend ce raisonnement : que ce pays ne soit pas à la dérive. Qu’il ne soit pas une punition au quotidien.

 

Un jour, peut-être, la Méditerranée, mer nourricière et berceau de civilisations ne sera plus cet immense mouroir qu’elle est aujourd’hui. La pauvreté, les guerres, les dictatures et les régimes d’exception ne seront plus la marque infamante de l’Afrique. Il est permis de rêver. Il est permis de l’espérer. 

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jeudi 26 août 2021

La chronique du blédard : Algérie – Maroc, l’escalade ?

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Jeudi 26 août 2021

Akram Belkaïd, Paris


La rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc, à l’initiative des autorités algériennes, est un événement d’une rare gravité. Certains en rient, tournant en dérision l’efficacité ou les fondements d’une telle décision. D’autres applaudissent, cédant à un vieux fond de défiance, voire de mépris structurel, à l’égard du royaume voisin. En réalité, il s’agit d’un pas supplémentaire d’une lente escalade entamée depuis le début des années 2000, autrement dit depuis l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika aux affaires. 

Certes, le contentieux du Sahara occidental, le souvenir de la Guerre des sables de 1963 avec le fameux « hagrouna » du président Ahmed Ben Bella ont toujours alimenté une solide inimitié entre les deux pays. Ils ont fait oublier le soutien marocain à l’indépendance de notre pays et plus personne ne se souvient aujourd’hui de la conférence de Tanger (avril 1958) où les grands partis indépendantistes algérien, marocain et tunisien, entérinèrent le projet d’un Maghreb uni. Les brefs affrontements armés de 1975 et 1976, la honteuse expulsion de dizaine de milliers de Marocains (décembre 1975) décidée par Houari Boumediene en personne ainsi que l’imposition unilatérale d’un visa par Rabat en 1994 (en réponse, Alger ordonna la fermeture des frontières terrestres, fermeture encore en vigueur aujourd’hui) font aussi partie du passif bilatéral que rien ne semble pouvoir, ou vouloir, apurer.

Mais, depuis deux décennies on a la sensation, espérons qu’elle soit infirmée par les faits à venir, qu’une mécanique du pire s’est mise en place. Des deux côtés, on achète beaucoup d’armes. Des deux côtés, on se cherche querelle, on franchit des paliers dans le propos irrespectueux ou l’initiative officielle provocatrice. Sur le plan diplomatique, on se livre un bras de fer en coulisse des grandes organisations internationales, notamment l’Union africaine. Tout cela pourquoi faire ? Pour que deux peuples frères que tout devrait réunir finissent par se faire la guerre ? Est-ce cela qui est mis en branle ? Une telle perspective serait terrible pour l’Algérie comme pour le Maroc mais aussi pour toute la Méditerranée de l’Ouest.

Que l’Algérie ait des griefs à l’encontre de son voisin, cela personne ne peut le contester. L’affaire Pegassus, même si elle a disparu de la une des médias, n’est en rien réglée et sa gravité demeure évidente. On aura beau dire que tous les pays s’espionnent entre eux, la règle entendue est qu’il ne faut jamais se faire attraper et quand c’est le cas, le minimum que l’on peut attendre du pris en faute est de s’excuser.

De même, aucun Algérien ne peut accepter la provocation de l’ambassadeur marocain aux Nations Unies qui, en juillet dernier, a soumis aux pays membres une note dans laquelle il estime, que le « peuple kabyle mérite plus que tout autre de jouir pleinement de son droit à l’autodétermination ». L’histoire de l’Algérie, celle de sa lutte anticoloniale, sa géographie, sa sociologie, la nature même de sa société où s’imbriquent et s’interpénètrent les faits arabophones et berbérophones font que le parallèle entre Kabylie et Sahara occidental ne tient absolument pas la route. 

On peut critiquer le soutien accordé par notre pays au Front Polisario. On peut même s’interroger sur, à la fois, sa pertinence et son efficacité  tout en analysant sérieusement ses conséquences négatives sur la stabilité et la cohérence politique du Maghreb. Mais il ne faut pas tout confondre ou alors on ouvre la voie à des surenchères sans fin sur l’autodétermination du Rif ou du Haut-Atlas marocains. Si Rabat avait voulu calmer le jeu, l’initiative de son ambassadeur aurait dû être désavouée. Ce ne fut pas le cas, c’est donc un geste murement réfléchi qui ne pouvait que déclencher des conséquences en retour.

A l’inverse, la thèse selon laquelle le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) serait, avec le soutien du Maroc et d’Israël, derrière les incendies qui ont ravagé le centre du pays ne vaut même pas qu’on la commente. Il est vrai que le MAK, dont le dirigeant clame à qui veut l’entendre que la Kabylie subit « un génocide » (ces simples mots suffisent à lui ôter tout crédit), cherche sans vergogne des soutiens à Rabat et à Tel Aviv. Mais de là à l’impliquer dans une catastrophe qui a mis en exergue les manquements de l’Etat algérien et son incapacité à prendre en compte les dangers engendrés par le réchauffement climatique, il y a un fossé que ne craint pas de franchir l’habituel discours à la fois complotiste et dilatoire. Il est fort possible que parmi les incendies qui ont embrasé le pays, certains soient d’origine criminelle mais cette thèse de la triple main criminelle (Mak, Maroc, Israël) laisse plus que dubitatif…

Quoi qu’il en soit, cette malheureuse crise bilatérale nécessite un appel, un retour ( ?), à la raison. Cette raison dont s’est toujours prévalue la diplomatie algérienne. Dans un environnement parfois chaotique, cette institution a le plus souvent gardé le cap de la retenue et du sang-froid. D’un autre côté, illustration de ce fameux « non-Maghreb » dont on ne cesse de déplorer les effets délétères, on réalise que l’Algérie et le Maroc ont été incapables de mettre en place ce que l’on qualifie de « facteurs d’irréversibilité », autrement dit des projets ou des organisations communes capables d’atténuer les conséquences de tensions bilatérales et renforçant la construction maghrébine. Un peu comme deux voisins qui mettraient en commun leur alimentation en eau potable ou dont les maisons s’appuieraient sur le même mur porteur. On pensait que le gazoduc Maghreb – Europe – qui transite par le territoire marocain et dont l’avenir est désormais suspendu en était un. Il en aurait fallu bien plus. 

De même, on se rend compte que les bonnes volontés dédiées à apaiser les tensions ne se bousculent guère au portillon. Il fut un temps où l’une des préoccupations des monarchies du Golfe était de convaincre Alger et Rabat de se parler. Exception faite du Qatar, cela ne semble plus être le cas aujourd’hui. Quant à la France, toujours encline à soutenir Rabat, elle ne semble pas réaliser qu’une détérioration plus marquée des relations algéro-marocaines aura une incidence directe sur la quiétude de l’Hexagone. 

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mercredi 25 août 2021

La chronique du blédard : L’emprise des paris en ligne

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 24 juin 2021

Akram Belkaïd, Paris

C’était en 2018, le 28 mai, un match de préparation de l’équipe de France de football en vue de la Coupe du monde dont on connaît aujourd’hui le résultat. Époque bénie d’avant-pandémie, le stade de Saint-Denis était plein à craquer malgré la pluie battante et malgré la modestie de l’adversaire du jour : l’Irlande (deux buts à zéro pour les Bleus). Un match agréable mais perturbé par le comportement bruyant de mes voisins. Dans la tribune où je me trouvais, juste derrière-moi, occupant quasiment toute la travée, des jeunes d’origine maghrébine semblaient, en effet, plus intéressés par leur smartphone que par les cavalcades de Mbappé. 

Nous étions alors en plein ramadan et nombre d’entre-eux ne cessaient de se lamenter sur ce temps qui file lentement quand on attend avec impatience la tombée du jour. En fait, avec leurs propos haut-perchés, personne ou presque dans la tribune ne pouvait ignorer qu’ils jeûnaient. Mais ce qui m’intéressait, et agaçait, dans leur comportement, c’était leur consultation frénétique de leur écran le tout accompagné de propos plus ou moins ésotériques : cote, bonus, trixie, bankroll, BTTS, freebet, etc. Vous l’avez compris, ces gaillards pariaient sur des sites en lignes. Ils faisaient du « live betting », autrement dit, ils pariaient sur le match qui se déroulait devant leurs yeux s’ils avaient pris la peine de lever la tête.

A la mi-temps, j’ai échangé quelques mots avec l’un d’eux qui semblait furieux d’avoir perdu sa mise alors que l’un de ses comparses avait empoché un gain de quelques dizaines d’euros. Vous pariez en ligne ? ai-je demandé. Puis, ayant reçu une brève réponse positive, j’ai posé une autre question qui a jeté un froid : donc vous jeûnez mais vous pariez quand même ? Silence. Je n’ai pas insisté. Ils ont continué à jouer et à ne suivre le match que d’un quart d’œil, attendant le moment d’avaler la première datte.

Cette histoire pourrait illustrer à merveille la schizophrénie qui caractérise la religiosité ostentatoire d’une partie de la jeune française d’origine maghrébine. Elle peut aussi aider à démontrer que cette pratique de la religion n’est, le plus souvent, que l’expression d’une tradition culturelle et que la foi bruyamment proclamée s’accommode fort bien de certains interdits – pas tous – offerts par la vie moderne. A la fin du match, alors que je m’apprêtais à quitter la tribune, l’un des parieurs, briefé par son camarade qui n’avait su quoi me répondre, m’a interpellé pour se justifier. Selon lui, l’islam interdit certes les jeux de hasard mais le pari sportif étant la résultante d’un vrai travail de réflexion (analyse des équipes, évaluation des cotes, etc.), on ne pouvait blâmer les joueurs. J’imagine que c’est sur Internet que cet apprenti ouléma a puisé la fatwa qui lui convenait pour se trouver une excuse pour parier.

Mais si je vous raconte cette histoire, c’est surtout parce que les paris en ligne sont devenus omniprésents au sein de cette jeunesse populaire. Il y a quelques mois, le Bondy Blog a même tiré la sonnette d’alarme, mettant en garde contre les ravages que ces jeux provoquent dans les quartiers (1). Addiction, drames familiaux, endettement, recours à des actes délictueux pour financer les paris : voilà une situation qui ne cesse de s’aggraver depuis l’autorisation des paris en ligne en 2010. A l’époque, déjà, plusieurs voix s’étaient élevées pour demander qu’elle soit plus encadrée et qu’elle soit interdite de réclame. En vain…

Pour qui regarde l’Euro de football, il est ainsi impossible d’échapper aux clips publicitaires mettant en scène des jeunes empochant la mise et donc, pour reprendre une expression algérienne, « sortant du sous-développement ». L’argument de l’un de ces sites est d’ailleurs clair : pour aider la daronne (la maman), il faut parier. Ces sites sont omniprésents. Pour vanter leurs mérites, ils embauchent des personnalités connues, des journalistes sportifs, des comédiens et des « influenceurs », terme désignant les stars des réseaux sociaux qui attirent à eux des centaines de milliers pour ne pas dire des millions d’internautes, souvent jeunes.

Quelle que soit la latitude, l’emprise des jeux de hasard sur les classes populaires n’est pas une nouveauté. Mais pendant longtemps, jouer demandait un (petit) effort, ne serait-ce que le fait de se déplacer dans les endroits dédiés à cela. J’ai toujours été frappé par l’atmosphère sordide qui régnait dans les salles où des parieurs suivaient avec inquiétude telle ou telle course de chevaux tout en grattant des tickets censés leur faire gagner des fortunes. Aujourd’hui, nul besoin de bouger de chez soi. Internet, un smartphone et un compte en banque suffisent. Si on hésite, le site vous offre un ou plusieurs paris gratuits. Vous êtes lecteur de la presse sportive ou des magazines hebdomadaire ? Vous trouverez facilement un coupon vous encourageant à vous lancer avec deux ou trois « freebet », histoire de bien vous ferrer.

Dans un pays où des hommes et femmes politiques ne cessent de s’épancher sur les dangers du burkini, la question des paris en ligne et de leurs conséquences désastreuses devrait constituer une priorité. Mais l’argent sait toujours se faire respecter, même s’il est sale et qu’il fait le malheur des pauvres gens.


(1) « Dans les quartiers, les paris sportifs font des ravages », Latifa Oulkhouir, Bondy Blog, 24 février 2021. 


La chronique économique : Hydrogène, le retour

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 23 juin 2021

Akram Belkaïd, Paris

Faut-il y croire ou est-ce encore de la science-fiction que chercherait à utiliser la communication ? En début de semaine, trois entreprises françaises, Air Liquide, Airbus et Aéroports de Paris (ADP), ont annoncé avoir signé un protocole d’accord pour développer la filière hydrogène. L’objectif est que les principaux aéroports français disposent dès 2035 d’infrastructures garantissant l’approvisionnement en hydrogène pour les futurs aéronefs qui utiliseront ce composé pour voler. En clair, ces trois acteurs font officiellement le pari du replacement du kérosène par l’hydrogène.

Aérien et automobile

Pour mémoire, en septembre dernier, le constructeur français avait annoncé vouloir développer trois avions qui utiliseraient l’hydrogène comme principal carburant. Un pari ambitieux qui exige la refonte totale de circuits logistiques entièrement basés sur les hydrocarbures. Pour reprendre le terme à la mode, un tel basculement serait « disruptif » car il mettrait fin à plus d’un siècle d’usage carboné. Certes, l’aviation développe aussi d’autres alternatives moins disruptives comme des carburants moins riches en carbone ou des biocarburants voire des mélanges. Mais l’hydrogène alimente toutes les passions.

Très présent sur notre planète, il est, pour l’économiste américain Jérémy Rifkin, l’avenir de la civilisation moderne car il serait le substitut idéal aux hydrocarbures. Déjà, des expérimentations existent avec la pile à hydrogène pour générer de l’électricité verte. Certes, il faudra toujours de l’énergie pour obtenir de l’hydrogène à partir de l’eau mais la consommation carbonée sera sans commune mesure avec les niveaux d’aujourd’hui. En tous les cas, Airbus a dans ses plans trois projets distincts d’appareils à hydrogène. On n’en sait pas plus mais on parle notamment d’une « aile volante » dont l’avènement permettrait à l’aviation civile de ne plus être pointée du doigt en tant que principal émetteur de gaz à effet de serre (ges).

L’aérien n’est pas le seul secteur à envisager une telle rupture. Dans le monde entier, des projets de voiture à hydrogène avancent. En France, la société Hopium a présenté il y a dix jours un prototype d’une berline, la « Machina » qui devrait être commercialisée dès 2025. Avec 1 000 kilomètres d’autonomie et un « plein » en trois minutes pour une vitesse maximale de 200 kilomètres/heure, le projet est désormais en phase de test. Une fois commercialisée, la voiture visera le marché citadin, à condition que les infrastructures d’approvisionnement suivent.

Défis importants

L’hydrogène, pétrole de demain ? Il ne faut pas aller vite en besogne. Les défis technologiques demeurent important. On ne sait pas encore à quoi ressemblera le réseau de distribution de l’hydrogène. On ne sait pas aussi comment stocker ce dernier à grande échelle. On n’a encore aucun recul quant aux rendements des futurs véhicules à l’hydrogène, notamment ceux dédiés aux transports publics. Il n’empêche. La piste de l’hydrogène mérite d’être suivie de près. En Algérie, pays qui dispose de quantités importantes de gaz naturel, cela pourrait permettre de trouver un bon substitut à une production pétrolière désormais en déclin.

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La chronique du blédard : La démocratie corinthiane et l’Algérie

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 17 juin 2021

Akram Belkaïd, Paris


Le peuple algérien est-il mûr pour la démocratie ? Côté pouvoir, et si l’on fait exception de la brève expérience réformatrice de la fin des années 1980, la réponse a toujours été négative. Dans l’ouvrage collectif « Les années Boum » (1) – auquel le présent chroniqueur a participé – Ahmed Bedjaoui, le grand spécialiste du cinéma algérien, rapporte les propos qu’a tenu le colonel-président Houari Boumediene à son ami, le réalisateur égyptien Lotfi El-Khouli qui lui reprochait alors – c’était en 1974 - le manque d’ouverture de son régime : « La démocratie ne s’octroie pas. Les gens doivent souffrir pour elle et accepter d’aller en prison comme toi, pour la mériter. Le jour où je verrai des élites algériennes accepter de payer le prix de la démocratie, nous en reparlerons. » 

Quelques années plus tard, lors de la célébration d’un mariage où était présent tout le bureau politique du FLN – alors parti unique – j’ai personnellement entendu le même discours, ou presque, tenu par l’un des illustres membres de ce cercle très fermé. Venu « discuter avec la jeunesse », il lança au bout de quelques minutes, agacé par les (très timides et très prudentes) récriminations sur l’état du pays et de sa société : « nous avons arraché l’indépendance par la force. Si vous voulez que les choses changent, il faudra nous chasser, il faudra faire la même chose que nous. »

Qu’elles soient doloriste ou radicale, ces visions perdurent. Et même s’il nous faut mériter cette démocratie, il reste qu’elle n’est pas, du moins officiellement, une fin en soi. Elle n’est pas un horizon souhaité comme le fut, par exemple, le développement au lendemain de l’indépendance. La mascarade électorale à laquelle nous venons d’assister a montré la prééminence du propos relativiste. Il faudrait donner du temps au temps, former les gens, mettre en place des institutions solides, éduquer… Et si l’on persiste à dire que rien ne changera sans véritable ouverture, on peut encore entendre que la démocratie, dans un pays comme l’Algérie, ne peut que mener à un chaos comparable à celui des années 1990.

Il manquera toujours quatre-vingt-dix centimes pour faire un dinar. Poser des préalables à la démocratie, c’est, en réalité, ne pas en vouloir ou soutenir, sans l’assumer, le régime qui n’en veut pas. On peut pérorer comme on veut, en appeler à toute la littérature en sciences politiques, s’il n’y a pas d’ouverture concrète, alors le reste est du festi. Car personne de censé ne peut croire que la démocratie est un achèvement. C’est un processus continu, négocié. Fragile, sans cesse remis en cause par les tendances autoritaristes de l’espèce humaine. La démocratie, est une quête, un cheminement et un combat permanent qui passe par des droits acquis. 

Surtout, la démocratie, ce n’est pas juste le fait d’organiser des élections – surtout quand il s’agit de ne pas accorder d’importance à la participation. C’est une expérience à vivre et à diffuser même quand elle est interdite. Plutôt que de contribuer à sauver la mise à un système qui ne veut rien entendre, il est préférable de contribuer à rendre « normale » l’idée de démocratie. D’en faire une référence en l’opposant à ce qu’est la réalité actuelle. Les droits élémentaires seraient ainsi vécus comme une norme tandis que leur non-respect serait vu pour ce qu’il est : une anormalité inacceptable.

Il y a quarante ans, au Brésil, alors sous dictature militaire, une poignée de footballeurs a initié un mouvement resté dans l’histoire. Joueurs du Sport Club Corinthians Paulista, plus connu sous le nom de Corinthians de São Paulo, des hommes comme Sócrates Brasileiro Sampaio de Souza Vieira de Oliveira (dit Sócrates), Wladimir Rodrigues dos Santos (dit Wladimir), Walter Casagrande Júnior et José Maria Rodrigues Alves (dit Zé Maria) ont bouleversé la gestion de leur club, démontrant par l’exemple comment on peut mettre en place des mécanismes démocratiques au sein d’une institution et comment cela peut rejaillir sur le reste de la société.

De 1981 à 1984, cette « démocratie corinthiane », fustigée par la FIFA, a fait en sorte que les joueurs prennent les principales décisions, qu’ils soient rémunérés de manière équitable, qu’ils décident des recrutements et de la tactique (ce qui déboucha sur un jeu offensif de légende). Ces joueurs ont ainsi démontré que la démocratie n’est pas une abstraction ou un privilège de pays occidentaux. Et quand le régime s’est engagé concrètement dans l’ouverture politique, les « Corinthians » ont soutenu la transition démocratique et appelé leurs concitoyens à aller voter avec cette célèbre banderole déployée par les joueurs avant un match : « Ganhar ou perder, mas sempre com democracia », soit « Gagner ou perdre, mais toujours en démocratie ».

Je ne sais pas si les intéressés en parleront un jour mais une telle expérience a été envisagée en Algérie. Il s’agissait de faire en sorte qu’un grand club de football devienne une entreprise détenue par ses supporters et ses joueurs, son président étant élu par ces « socios » sur le principe d’un socio, une voix. Quoi de mieux pour éduquer une jeunesse dépolitisée et manquant de repères citoyens ? L’expérience, on devine pourquoi, n’a jamais pu se réaliser. Club de football, cercle de lecture, think tank, association caritative, la démocratie, ou sa préparation, relève toujours d’une démarche subversive – mais pacifique – que le système autoritariste combat toujours quand il finit par la détecter. C’est un jeu du chat et de la souris qui se terminera quand celui qui a le monopole de la force comprendra enfin que les choses doivent changer et que les gens ne devraient pas aller en prison pour obtenir leurs droits et libertés.


(1) Les années Boum, sous la direction de Mohamed Kacimi, Chihab Editions, Alger, 2016.


 

 


La chronique économique : Le bitcoin, opacité et volatilité

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 16 juin 2021

Akram Belkaïd, Paris

Feuilleton bitcoin, suite. Après avoir chuté autour de 30 000 dollars, la monnaie virtuelle est revenue à son niveau récent de 40 000 dollars. Cela confirme une première chose : en comparaison d’autres actifs, actions, matières premières, devises, le marché du bitcoin est très volatil et très dépendant des déclarations des acteurs qui y investissent dont Elon Musk, le très fantasque patron de Tesla. Après avoir annoncé que son entreprise n’accepterait plus de paiement en bitcoin – ce qui a provoqué la chute de son cours – Musk a indiqué que ces paiements seraient de nouveau acceptés mais à certains conditions (en gros, que ses détenteurs en possèdent depuis longtemps et continuent de contribuer à la génération de nouveaux bitcoins).

Dépréciation

Dans une précédente chronique, nous relevions les ambiguïtés de la position de Musk qui, via de simples messages diffusés sur Twitter, peut faire la pluie et le beau temps sur ce marché. Il est évident que le caractère spéculatif du bitcoin attire des investisseurs à la recherche de gros rendements. Mais la stabilisation des cours et l’acceptation définitive de cette monnaie – acceptation qui reste loin d’être garantie – passe par une adhésion plus large des entreprises à la recherche de placements.

On sait que la tâche d’un directeur financier consiste aussi à investir une partie de la trésorerie et des bénéfices de l’entreprise. Sur le papier, un actif acheté à 5 000 dollars et qui vaut aujourd’hui 30 000 dollars est une bonne affaire mais cela ne concerne qu’un nombre réduit d’investisseurs. La plupart des sociétés qui acquièrent aujourd’hui du bitcoin sont entrées sur le marché à son plus haut. Résultat, cela les oblige à ajuster la valeur de leurs avoirs en tenant compte des variations du bitcoin. Autrement dit, avec un tel marché fait de hauts et de bas, il est difficile de valoriser la part en bitcoins, surtout si l’on est une entreprise cotée en Bourse et donc obligée de publier des comptes trimestriels. Le bitcoin est un cauchemar pour les comptables et les auditeurs.

Régulation

Quid aussi des particuliers ? Il y a quelques mois encore, une rumeur tenace circulait sur les réseaux attestant qu’il n’y avait pas mieux que le bitcoin pour échapper à l’impôt ou, tout du moins, pour diminuer son revenu imposable. Il est vrai que les mécanismes d’acquisition du bitcoin demeurent peu compréhensibles par la majorité. De nombreuses personnes se laissent donc tenter par l’idée de faire appel à des intermédiaires. Certains d’entre-eux se déclarent « agrémentés » mais on ne sait par qui tandis que d’autres opèrent à partir de places exotiques ou peu réglementées. Bref, il y a beaucoup à perdre pour le novice et ce dernier ne doit pas oublier que, d’une part, rien n’est gratuit et que, d’autre part, toute transaction pour acheter ou vendre du bitcoin laisse une trace.

Il est d’ailleurs étonnant de relever que les dirigeants du G7 continuent d’ignorer les questions de régulation des crypto-monnaies. Certes, les récentes décisions sur la fiscalité des multinationales – qui imposent une plus grande collaboration entre les États – va concerner les utilisateurs et créateurs de bitcoin. Mais rien de concret n’a encore été dit ou entrepris pour réguler un marché qui s’étend de jour en jour et qui demeure comparable à une jungle.



mardi 24 août 2021

La chronique économique : Taxer les GAFA, suite…

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 9 juin 2021

Akram Belkaïd, Paris


Un petit pas mais la marche reste longue, très longue. Cette semaine, les ministres des finances du G7 (club réunissant les sept pays les plus riches du monde) a décidé d’accélérer la réforme du système fiscal international. Ainsi, le taux global plancher pour taxer les multinationales a été fixé à 15%. L’objectif est de faire en sorte que ces entreprises transnationales ne puissent plus échapper à l’impôt en jouant sur les disparités qui existent d’un pays à l’autre sans même parler de ce qu’offrent les paradis fiscaux. Plusieurs centaines de milliards de dollars de recettes pour les Etats sont en jeu.

Contrer l’optimisation

On connaît le mécanisme. Pour attirer des flux de capitaux, certains pays, comme l’Irlande, les Pays-Bas ou le Luxembourg ont des taux d’impositions très bas en comparaison de leurs voisins et concurrents. Pour les multinationales cela offre l’avantage d’y déclarer leurs revenus et donc de payer moins d’impôts. Comment ? La technique la plus connue consiste à y établir un siège social auquel les filiales à travers le monde doivent transférer tout ou partie de leurs bénéfices (notamment via des prix de cession interne ou des frais à payer à la holding). Ainsi, pour la multinationale, il ne s’agit plus de payer l’impôt dans le pays ou l’activité a lieu mais de le faire là où la fiscalité est la moins contraignante.

Parmi les champions de cette optimisation fiscale, on trouve les géants de l’internet. Les « GAFA » (Google, Apple, Facebook et Amazon) sont régulièrement mis en cause pour leur capacité à ne rien débourser ou presque dans des pays où, pourtant, ils réalisent de colossaux chiffres d’affaires et bénéfices. Cette réalité a peu à peu alimenté les polémiques et renforcé les discours contestataires. Pour ne pas être accusés de ne rien faire, certains pays, comme la France, ont décidé il y a quelques années d’imposer des taxes nationales en attendant qu’une législation internationale soit adoptée.

Longtemps, le dossier a été enlisé mais l’élection de Joseph Biden à la présidence des États-Unis a permis de le débloquer, du moins en apparence. En effet, c’est parce que les Etats-Unis sont désormais favorables à l’adoption d’un taux plancher que le G7 a bougé. Dans les prochaines semaines, le dossier passera au G20. Il s’agira alors de convaincre les pays émergents d’adopter eux-aussi cette mesure qui a néanmoins déçu nombre d’ONG. Ces dernières, comme ATTAC, militent pour une plus grande fermeté en matière de fiscalité et estiment que le compte n’y est pas. Elles regrettent que le taux plancher ne soit pas supérieur à 20% et relèvent que le flou dans le calcul de l’impôt permettra encore aux multinationales de recourir à de l’optimisation, comprendre mobiliser des légions de fiscalistes et d’avocats pour trouver le moyen, légal, de payer moins d’impôts.

Besoin de ressources

Pour les membres du G7, Etats-Unis en tête, il y a tout de même la volonté d’augmenter les ressources encaissées. L’évolution de la pandémie de Covid-19 demeurant incertaine, les Etats ont plus que jamais besoin de recettes supplémentaires pour amortir les dépenses engendrées par cette catastrophe sanitaire. Les simulations se multiplient ici et là mais la facture de la pandémie dépasserait désormais les 1000 milliards de de dollars pour les seuls pays du G20. Cela ouvre la voie à deux approches possibles et pas forcément antagonistes : une hausse des impôts et la mise en place de politiques d’austérité.

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La chronique du blédard : Haro sur le Zmigri !

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 3 juin 2021

Akram Belkaïd


Il y a quelques jours, le spectacle de nos compatriotes agglutinés devant l’agence d’Air Algérie, avenue de l’Opéra à Paris, m’a brutalement renvoyé dans le passé. Aussi loin que remontent mes souvenirs, cela s’est toujours passé ainsi ou presque. Dès les premiers beaux jours, sous le regard incrédule ou amusé des passants et des touristes asiatiques, la « chaîne » se formait et, avec elle, ses scènes respectives de colères collectives, de pertes de sang-froid, de malaises voire de bagarres (l’une d’elles, mémorable, avait opposé des clients et des vigiles antillais et provoqué l’intervention brutale des CRS à la fin des années 1990). Ailleurs, notamment devant les agences pour réserver un passage en bateau, c’était aussi le même spectacle affligeant d’une communauté avilie et transformée en bétail. 

Nous ne sommes plus dans les années 1980 et 1990. Il y a internet et ce qu’il est censé offrir comme gains de temps. Mais en ces temps de Covid-19, après plus d’une année de verrouillage des frontières, des milliers d’Algériens résidant en France veulent absolument rentrer au pays. Sur le net, les réservations sont difficiles à valider et la rumeur se charge du reste. Ce « serait » plus facile en agence. Là-bas, si on est patient, on peut s’arranger et trouver chaussure à son pied.

Je ne m’attarderai pas sur les conditions iniques imposées aux candidats au retour. Elles ont changé en moins de deux jours et cela pourrait encore évoluer. Mais le message intrinsèque qui est envoyé à la communauté est toujours le même : vous devez en chier, vous devez souffrir. Rien, en Algérie, ne s’obtient facilement, il n’y a donc aucune raison pour que vous ne soyez pas confrontés à la même difficulté. Il est des pays qui ouvrent grand leurs bras à leur diaspora, ne serait-ce que pour des raisons économiques. Il en est d’autres, l’Algérie est en tête, qui prennent un malin plaisir à la rudoyer voire à l’humilier. Et cela ne date pas d’hier. 

En observant les personnes installées dans la file d’attente – leur nombre a été tel que ces regroupements sont désormais interdits, les réservations ne se faisant que via internet – j’ai vu donc de la colère mais aussi de l’abattement et de la résignation. Comme si tout cela était normal. Un acte d’une simplicité absolue, rentrer chez soi pour les vacances d’été, devient ainsi une épreuve où l’on se doit de se vider de soi, de consumer ses forces. « Ils aiment ça. Ils sont incapables de faire les démarches normalement » m’avait dit un jour un très haut responsable avec un immense mépris dans le ton. Pour lui, les premiers responsables sont les Algériennes et les Algériens, incapables d’autodiscipline, toujours enclins à créer le bazar là où il ne devrait pas exister.

Personne n’aime être rudoyé. Personne n’aime la difficulté quand les choses pourraient être plus simples et plus fluides. Mais il y a des décennies de conditionnement, d’application de mesures bureaucratiques tatillonnes, de soupçons à l’égard de celui qui vient de l’extérieur. Il y a aussi cette volonté d’en imposer à l’autre, de toujours le dompter, de lui signifier qu’il y a ceux qui commandent et imposent et ceux qui obéissent et baissent l’échine. Ainsi, les droits dont nous sommes tous censés bénéficier deviennent des exceptions, des prodigalités accordées de manière aléatoire ou intéressée, c’est selon. Donc non, « ils » n’aiment pas ça. Mais « ils » ont, nous avons, été conditionnés à ce rapport de force.

On me dira que c’est la faute à la pandémie de Covid-19 et qu’il est normal que les autorités soient vigilantes pour ne pas favoriser la diffusion du virus. Comme presque toujours avec ce système, des arguments rationnels sont destinés à conforter l’arbitraire. Tous les pays du monde ont pris des mesures prophylactiques mais seule l’Algérie a fermé ses frontières à ses ressortissants vivants, ou étant présents, à l’étranger. Dans le même temps, des privilégiés ont continué de faire l’aller-retour avec l’Europe, notamment la France. Des travailleurs étrangers employés dans des chantiers sont entrés en Algérie alors que certains venaient de zones où l’épidémie flambait. Une logique à géométrie variable…

Nombre d’Algériennes et d’Algériens vivant au pays ont trouvé ça « normal ». Ces mesures restrictives n’ont guère choqué ni indigné. Chose rare, cette fermeté discriminatoire est peut-être même l’un des uniques points de convergence entre gouvernants et gouvernés. Haro sur les zmigri ! Celles et ceux qui, via les réseaux sociaux, se sont plaint de ne pouvoir rentrer au pays peuvent en témoigner. Peu d’empathie, peu de soutien et même des propos moralisateurs et insultants. « Vous êtes à l’étranger, c’est votre choix, ne venez pas vous plaindre », « c’est de votre faute [les émigrés] si le virus est entré en Algérie », etc.

Dans une série de Tweet datant de mercredi 2 juin, ma consœur Leïla Beratto dresse un constat pertinent : « J'ai lu, écouté, regardé, un certain nombre de commentaires liés aux premières arrivées d'hier, et au processus d'ouverture partielle des frontières algériennes. J'en conclus que peu de personnes comprennent ce par quoi les gens bloqués sont passés/passent. » Et d’ajouter : « Les auteurs de commentaires semblent ne pas mesurer ce qui se joue, non pas uniquement d'un point de vue économique, mais d'un point de vue émotionnel et psychologique. Et je ne peux m'empêcher de penser que c'est de notre faute [celle des journalistes et des médias, note du chroniqueur], de ne pas avoir su raconter. »

Cela est vrai. Mais la tâche est rude car la force de ces récits devra vaincre au moins deux conditionnements cités précédemment. Le premier est celui du « pour l’Algérien, rien ne s’obtient facilement de la part de ses autorités. Il faut qu’il en sue et qu’il peine ». Le second est lié à la combinaison de détestation, de mépris et d’envie à l’égard de la diaspora. Le « tu es parti, tu dois payer » semble avoir encore de beaux jours devant lui sauf si, bien sûr, on est un footballeur né en France (et encore, on en reparlera à la prochaine défaite de l’équipe d’Algérie…).

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