Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

dimanche 20 janvier 2019

La chronique du blédard : En attendant le changement

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 3 janvier 2019
Akram Belkaïd, Paris

Il y a dix ans, Barrack Obama était élu président des Etats-Unis d’Amérique sur la fameuse promesse du « change is coming », le changement vient. On connaît la suite (à moins de considérer que Donald Trump constitue, in fine, ce fameux changement…). Quelques années plus tard, un politicien sournois et inutile se faisait élire président de la République française en répétant à l’envi « le changement, c’est maintenant ». Là aussi, on connaît la (piètre) suite… Mais ce qui est intéressant dans les deux cas, c’est que ces deux politiciens ont bien compris l’exigence – et l’attente – du changement chez les électeurs.

Qu’entendons-nous souvent autour de nous ? Le « ça ne peut plus continuer comme ça » est un discours récurrent sous de nombreuses latitudes (et l’Algérie n’échappe pas à cette constatation mais c’est une autre histoire). Comprenons-nous bien. Il ne s’agit pas de propos de comptoir ou de mots lancés par la force de l’habitude avant de s’en retourner à ses pénates. On parle ici de constats, souvent de bon sens, d’expériences et parfois même d’intuitions. La machine s’est emballée et personne ne semble pouvoir la contrôler. Qui peut vraiment croire que la planète peut continuer à subir encore longtemps ce rythme démentiel de production des richesses et de destruction de l’environnement ? Qui peut vraiment croire que les ressources en pétrole, eau potable ou simplement en air respirable sont infinies ?

Plus important encore, qui peut vraiment croire, exception faite de la valetaille médiatique et intellectuelle (mais le croit-elle vraiment ?), que l’inégale répartition des richesses aggravée par une mondialisation désormais hors de tout contrôle ne va pas engendrer des ondes de chocs dont nous n’imaginons même pas la violence. Qu’est-ce que ce monde où une Banque centrale peut dépenser des centaines de milliards de dollars pour acheter des créances douteuses sur le marché quand, dans le même temps, des augmentations de quelques dizaines d’euros sont refusées à des corps de métier tels que les enseignants ou les infirmières ?

Le changement, c’est une remise en cause profonde des paradigmes économiques qui régissent le monde actuel. Toute autre modification, surtout cosmétique, mènera à des drames. Les peuples, qu’on le veuille ou non, sont mieux informés qu’avant. En France, il ne faut pas avoir fait de longues études pour comprendre que la privatisation des autoroutes ou celle annoncée des aéroports (ou du loto) procède d’une captation organisée du bien public par des intérêts privés et cela avec la complicité d’une partie de la classe politique et des médias (lesquels sont détenus par ces mêmes intérêts privés). Et l’emballage idéologique de ce genre de déprédation ne trompe plus guère. « Efficience du marché, libre-concurrence, retrait nécessaire de l’Etat pour qu’il se concentre sur ses missions, exigences de la mondialisation » : du blabla creux servis par les adeptes de la servitude volontaire à l’ordre néolibéral.

En France, le mouvement des gilets jaunes a très bien posé les termes de l’équation. Les servants de cet ordre, les misérables éditocrates toujours prêts à clamer leur docilité, peuvent bien essayer de délégitimer cette contestation en la réduisant à des manifestations racistes, antisémites ou homophobes, la réalité est toute autre. C’est une exigence profonde de changement de système qui se fait entendre en France et ailleurs.

Quand on entend le président Emmanuel Macron discourir comme il l’a fait à l’occasion de ses vœux de fin d’année, on se rend bien compte que le système ne lâchera pas prise facilement. Coïncidence exemplaire, son propos sentencieux de fin d’année était diffusé au moment même où des dispositions légales étaient prises pour rendre la vie des chômeurs encore plus difficile avec des sanctions et des suspensions d’indemnisations.

On nous dit que le mouvement des gilets jaunes s’essouffle. En réalité, ce sont les mêmes qui ne lui prédisaient que quelques jours d’existence – ah, cette maudite méconnaissance de sa propre société – qui jouent en boucle cette musique en espérant la transformer en prophétie autoréalisatrice. Il est certain qu’occuper des ronds-points ou se manger des balles en caoutchouc en pleine poitrine peut conduire à une certaine lassitude. Mais la France est aujourd’hui une lande sèche prête à s’enflammer encore. Le moindre événement mettant en exergue les différences de traitement entre la majorité de la population et la minorité protégée – disons les choses telles qu’elles sont – conduiront à de nouvelles protestations.

Parmi les scénarii évoqués ici et là, on recense l’hypothèse d’une nouvelle crise financière, comparable à celle de 2008. Est-ce que l’Etat français, comme ses pairs occidentaux, aura alors la même latitude pour sauver les acteurs financiers et bancaires avec de l’argent public ? Pas si sûr. Mais comment pourrait-il faire autrement quand on sait à quel point haute administration et intérêts financiers sont reliés ? Pour faire taire l’inévitable contestation, il y aura nécessairement des mesures de restriction, des limitations de libertés, bien plus dures que celles auxquelles on assiste actuellement avec l’empêchement des gilets jaunes de gagner la capitale ou de manifester. En clair, le changement, le vrai, ne se fera pas sans peines. Et il passera nécessairement par la confrontation.


Note qui n’a rien à voir, ou presque : Bonne et heureuse année aux lectrices et lecteurs de cette chronique. Que 2019 leur apporte le meilleur.
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