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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

dimanche 20 janvier 2019

La chronique économique : Quand Trump veut mater la Fed

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 26 décembre 2018
Akram Belkaïd, Paris

C’est l’un des points majeurs du dogme néolibéral et du consensus de Washington. Une Banque centrale doit être indépendante du pouvoir politique afin que ce dernier ne puisse influer sur ses décisions ni lui dicter sa stratégie monétaire. L’idée de base est que les gouvernements sont toujours enclin à favoriser la planche à billet, à l’image de ce qui se passe actuellement en Algérie, et que les banquiers centraux doivent donc avoir la capacité de leur refuser une telle facilité. Aujourd’hui, les deux grandes banques centrales du monde, la Réserve fédérale (Fed) aux Etats-Unis et la Banque centrale européenne (BCE) sont indépendantes. Leur statut est consacré par les textes et il est très difficile pour le pouvoir exécutif de congédier leurs présidents.

Jerome Powell sur la sellette

Mais tout cela était valable avant l’élection de Donald Trump. Selon plusieurs informations parues dans la presse, et mollement démentie par l’intéressé, le président américain réfléchirait à congédier Jerome Powell, le président de la Fed. Pour mémoire, le locataire de la Maison-Blanche a déjà poussé vers la sortie l’ancienne présidente Janet Yellen qu’il jugeait trop proche des démocrates et responsable d’une emprise trop importante des marchés financiers sur l’économie réelle. Mais concernant Yellen, Donald Trump s’est contenté de ne pas renouveler son mandat.

Dans le cas de Jerome Powell, c’est carrément une procédure de « licenciement » qu’envisagerait Donald Trump. Ce serait la première fois au cours des quarante dernières années – c’est-à-dire depuis que la Fed joue un rôle aussi important dans le pilotage de l’économie – qu’une telle chose arrive. Aux Etats-Unis, la presse économique et financière ne cache pas sa stupéfaction voire sa colère. Passe encore que Trump bouscule tous les usages en congédiant ministres et ambassadeurs par un simple tweet. Passe encore que sa politique étrangère semble dictée par l’humeur du moment. Mais s’attaquer au président de la Fed est une transgression majeure qui fait déjà date.

Pour Donald Trump, la Réserve fédérale est trop obnubilée par l’inflation et elle ne prête pas suffisamment attention aux batailles commerciales que mène l’Amérique. Le problème est simple. Pour la Fed, il est temps de mettre fin à la période de détente monétaire et d’enclencher un cycle haussier des taux. L’idée est d’empêcher le retour de l’inflation et tout échauffement de l’économie au moment où le pays connaît quasiment le plein-emploi. L’idée implicite est d’accompagner l’atterrissage de l’activité et de limiter les hausses salariales que toute période faste en matière d’emploi génère.

Pour le président américain, la hausse des taux signifie la hausse du dollar et donc une moindre compétitivité des exportations américaines. Or, aider les entreprises américaines à s’imposer sur les marchés étrangers est l’une des priorités de Donald Trump. Un dollar fort, signifie une baisse des exportations et donc une hausse des importations autrement dit une destruction des emplois américains. Une perspective inacceptable pour le président américain pour qui la Fed comment « une terrible erreur ».

Le politique reprend la main

Jerome Powell sent donc le vent du boulet. Il a d’ailleurs annoncé que la Fed n’augmentera ses taux qu’à deux reprises en 2019 au lieu des trois prévues. Une concession qui ne va certainement pas contenter Donald Trump et il est prévisible que cette affaire n’en reste pas là. Si les uns vont s’indigner de l’interventionnisme du président américain dans un domaine qui n’est pas censé relever de ses prérogatives, d’autres vont suivre cela avec attention. En effet, si Jerome Powell est renvoyé (il faudra que le Congrès approuve), cela signifierait que le politique reprend le dessus sur les banquiers centraux. Les regards se tourneront alors vers l’Europe où le président de la BCE ne rend de comptes à personne…
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