Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

dimanche 20 janvier 2019

La chronique du blédard : Parcoursup, Benalla puis gilets jaunes

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 20 décembre 2018
Akram Belkaïd, Paris


Dans les jours qui viennent, les médias français qui traiteront des derniers développements de la crise des gilets jaunes vont certainement s’interroger sur la persistance de ce mouvement au moment de la trêve des confiseurs. Ouvrons une parenthèse pour rappeler que cette expression est née aux débuts de la Troisième République alors que le parlement français était le théâtre de vifs échanges à propos de la nouvelle Constitution. A l’approche des fêtes de fin d’année, les députés de toutes factions s’entendirent pour une suspension des débats, suspension aussitôt baptisée, avec une certaine ironie, « trêve des confiseurs » par la presse de l’époque. Fin de la parenthèse.

Pour beaucoup d’observateurs, ces fêtes de fin d’année devraient sonner le glas du mouvement. Champagne, foie gras et cotillons : circulez, il n’y a plus de rondpoints à occuper ! D’ailleurs, les forces de l’ordre ont commencé à démanteler les installations de bric et de broc dont la presse a beaucoup parlé : tentes, garde-manger, fûts pour faire du feu… Le président Macron et son gouvernement ayant fait quelques concessions – du moins, à les croire -, les gilets jaunes sont donc priés de rentrer chez eux en attendant ce fameux (fumeux ?) dialogue national qui n’interviendra finalement qu’à la fin du mois de janvier.

Mais est-on si sûr que le mouvement est vraiment terminé ? Il est certain qu’une partie des « gj » sont épuisés par plusieurs semaines de mobilisation. Les fêtes de fin d’année, la baisse de luminosité propre au mois de décembre, le retour du froid et de la pluie, sont autant d’incitations à abandonner la partie d’autant que l’envie de passer Noël et le réveillon de la Saint-Sylvestre en famille ne peut être facilement réprimée quelle que soit la catégorie sociale à laquelle on appartient. Et pourtant, rien ne dit que janvier sera un mois tranquille. La colère est encore perceptible et il suffira d’un rien, un tout petit catalyseur pour que l’on assiste à une reprise de la contestation.

Il est difficile de savoir d’où pourrait venir l’étincelle mais les possibilités sont nombreuses. Parlons d’abord du fameux Parcoursup, ce système informatique de sélection des nouveaux bacheliers. Dans quelques semaines, les futurs étudiants commenceront à entrer leur souhait d’orientation et si les choses se passent comme l’année dernière, il y a fort à parier que l’agitation lycéenne – laquelle se poursuit aujourd’hui encore –réveillera les troupes jaunes. Il est d’ailleurs plus que probable que le premier acte ayant préparé le mouvement des gilets jaunes s’est joué au printemps dernier quand des milliers de ménages français se sont retrouvés démunis face à un logiciel au maniement loin d’être simple.

D’ailleurs, Parcoursusp a révélé de nombreuses inégalités au sein de la société française dont une fracture numérique rarement évoquée. Des pans entiers de la jeunesse française savent utiliser leurs téléphones intelligents (smartphones) pour échanger en ligne, s’amuser, regarder des vidéos ou télécharger telle ou telle application mais ils s’avèrent souvent peu capables de remplir des formulaires ou de traiter avec une interface d’intelligence artificielle. Cela sans oublier les foyers qui ne possèdent pas d’ordinateurs. Remplir ses fiches de vœux avec son smartphone n’étant pas une opération aisée, on imagine les efforts déployés par les concernés pour avoir un accès suffisamment long (et tranquille) à un ordinateur de leur centre de documentation.

Lorsque les premiers résultats de la sélection opérée via Parcoursup ont été connus, ce fut une onde de choc dans de nombreuses familles. Refus et mise en liste d’attente à des positions ne laissant entrevoir aucune chance d’accéder à la formation désirée ont provoqué colère, ressentiment et sensation de relégation, notamment chez les élèves des filières technologiques. Plusieurs mois avant l’apparition de pages Facebook dédiée à la protestation contre l’augmentation des taxes sur le carburant, on a vu en juin dernier des parents d’élèves et leurs enfants essayer d’organiser des mobilisations communes via les réseaux sociaux. Un augure qui, en son temps, ne se vit pas accorder toute l’attention qu’il méritait.

L’autre élément ayant contribué à préparer la colère n’a rien à voir avec une quelconque décision fiscale ou une proposition de loi gouvernementale. Il s’agit tout simplement de l’affaire Benalla, ancien collaborateur du président Emmanuel Macron. Le but de cette chronique n’étant pas de revenir dans les détails sur cet étrange scandale, on relèvera simplement qu’il a provoqué une colère inouïe qui s’est notamment exprimée, là encore, sur les réseaux sociaux. Il faudra un jour revenir sur ce dossier pour en comprendre les mécanismes. Est-ce la faute des médias qui en ont trop fait ? Est-ce que l’opinion publique y a vu une énième preuve de la déliquescence au sommet de l’État ? En tous les cas, cette affaire a provoqué bien plus de dégâts dans l’opinion qu’il n’y paraît.


Il suffira donc d’un rien pour que les passions reprennent. Cela, le gouvernement français le sait. Certaines de ses réformes prévues, comme par exemple la modification du système d’indemnisation chômage, devraient être reportées à la Saint-Glinglin. Mais fin janvier, les salariés auront la (mauvaise) surprise de découvrir sur leur fiche de paie un salaire net inférieur à ce qu’il était en 2018. Bien sûr, cette différence s’expliquera par l’entrée en vigueur de la retenue à la source de l’impôt sur le revenu mais il n’empêche. Jusqu’à présent, de nombreux foyers ont géré leur insuffisance de revenus en jouant sur les découverts, les prêts puis en serrant les boulons quand se profilait le paiement de l’impôt. La retenue à la source va changer la donne et nécessiter des adaptations. En ces temps de grogne, cela ouvrira la voie à tous les possibles.
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