Le Quotidien d’Oran, jeudi 16 janvier 2020
Akram Belkaïd, Paris
De nombreuses analyses sont publiées, et continueront de
l’être, concernant l’Algérie et la situation qui y prévaut. Pour leur lecteur,
il est un certain nombre de postulats implicites qu’il est toujours utile et
important de connaître ou de déceler pour se faire une idée de la pertinence du
texte et de son intention. L’un des plus importants, peut-être le plus
important, est de savoir si l’auteur part du principe que l’Algérie est un État
de droit et qu’il fonctionne normalement. Si tel est le cas, alors il convient
de ne pas perdre son temps. Tout ce qui normalise et blanchit ce qui est
anormal n’est pas acceptable.
Un exemple. La récente élection présidentielle du 12
décembre dernier. Faire comme si ce scrutin a été organisé de la manière la
plus rigoureuse et la plus transparente, c’est soit se mentir soit propager un
mensonge de manière délibérée. Qui peut croire que, soudain, le pays s’est
débarrassé de ses mauvaises habitudes ? Qui peut vraiment croire que l’on
peut établir une analyse sérieuse de la situation en disséquant les
« chiffres » de la participation et les « résultats » des
cinq candidats. Gloser sur le fait que « x » a remporté plus de
suffrages qu’ « y » est un exercice creux sauf à essayer de
comprendre les intentions et la logique interne du système ou, pour reprendre
le propos de Mouloud Hamrouche au printemps dernier, du
« non-système ».
Je me souviens d’une conférence organisée il y une vingtaine
d’année à l’Institut du monde arabe (IMA) sur la Tunisie, alors présidée par
feu Zine El Abidine Ben Ali. A la tribune, un chercheur tentait d’expliquer la
logique politique concernant l’évolution des scores électoraux, qu’il s’agisse de
la présidentielle, des législatives ou des municipales, toutes remportées à la
majorité absolue par l’ex-Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD).
Soudain, un Tunisien présent dans l’assistance s’est levé en criant cette
phrase : « il n’y a aucune
différence à être élu à 90% ou 80% quand le système est verrouillé. »
Cela vaut pour l’Algérie. Certes, le pays a désormais un président. It’s a fact. Mais nous savons tous qu’il
y a beaucoup à redire sur ce scrutin. Et il ne s’agit pas simplement de
l’abstention (massive) qui affecte la crédibilité de l’élection mais du
processus en amont, des mécanismes d’exclusion politique qui prévalent depuis
bientôt six décennies, de l’interdiction d’un vrai pluralisme et de
l’impossibilité de tout type d’alternance. Une élection n’est jamais le début
d’un processus politique de démocratisation, elle doit en être l’aboutissement.
Dès la démission d’Abdelaziz Bouteflika, de nombreux
observateurs internationaux posaient la même question. Pourquoi continuer à
manifester alors que le président ne fera pas un cinquième mandat ? Puis
vint une autre question : pourquoi continuer à manifester alors qu’un
scrutin présidentiel est prévu ? Là aussi, ce genre d’interrogation
partait du principe que le « reste », était normal. Or, dans un pays où
des gens vont en prison puis en sortent sur simple appel téléphonique, quand
des gamins sans avocats encaissent des peines de prison ferme pour un simple
drapeau brandi ou quelques propos exaltés sur les réseaux sociaux, alors non,
rien n’est normal. Étayer tout raisonnement en faisant de cette élection un
élément objectif n’est pas honnête sur le plan intellectuel. En clair, ce n’est
pas parce qu’une élection présidentielle a lieu que l’Algérie est une
démocratie ou un État de droit. Les apparences d’un changement ne sont jamais la
preuve d’un vrai changement.
Autre question fondamentale à poser quand quelqu’un
s’exprime à propos de l’Algérie. Quel est, selon lui, le principal problème du
pays ? Ou, pour dire les choses de manière plus directe : qui est le plus
à blâmer ? Je l’ai déjà écrit mais on ne le répétera jamais assez : depuis
le début du mouvement, le Hirak a le courage de regarder le pouvoir algérien
dans les yeux en lui disant ceci : « il
n’y a aucun blabla possible : tu es le problème numéro un. C’est à toi que
l’on doit cet échec et cette situation. »
Pas question donc de biaiser, de tergiverser ou d’éluder les
vraies questions. Le Hirak ne ménage pas le pouvoir. Il ne transige pas. Il ne
fait pas semblant de croire à l’indépendance de la justice pour justifier son
silence quand des gens vont en prison pour leurs opinions. Il ne croit pas que
des négociations sérieuses sont ouvertes juste parce que le mot
« dialogue » a été prononcé (comme il le fut par le passé sans que
rien ne change).
Le Hirak dis les choses sans détours. C’est ce qui lui vaut
d’être en danger depuis le début et, plus encore aujourd’hui. Tout cela parce
qu’il empêche l’apparence d’un retour à la normalité. Cette normalité pépère où
les dissidences, ou celles présentées comme telles, s’en retourneront aux limites
qui leurs sont imparties. Position plus ou moins confortable qui leur fera
trouver d’autres cibles moins dangereuses.
S’il faut juger la situation du pays, alors il faut rappeler
que le peuple n’est pas décideur, que ce ne sont pas des « députés »
prompts à voter ce qu’on leur ordonne de voter, qui relaient ses attentes et
ses demandes. On trouvera toujours mille et un défauts au peuple du Hirak.
Pourquoi, d’ailleurs, devrait-il être parfait ? Où trouve-t-on exemple
dans l’Histoire de révolutions menées par des êtres purs et parfaits ?
Donc, tout texte d’analyse qui s’éloigne ou qui minimise le point essentiel, à
savoir la responsabilité première du pouvoir algérien, n’est guère pertinent.
Ainsi, pour en revenir à l’élection présidentielle, il y a
eu des textes circulant sur internet appelant à voter pour tel ou tel candidat
au prétexte de faire barrage à celui qui semblait représenter le courant
islamiste. Yakhi festi… On retrouve
ici cette satanée entourloupe qui consiste à faire oublier l’essentiel en
agitant, d’une manière ou d’une autre, le danger des barbus et, ce faisant, les
mauvaises manières, ou supposées telles, des Algériennes et des Algériens
(wanetoutrisme, obsession du complot, rapport ambigu à la France). Le Hirak est
là pour rappeler cette vérité : le problème numéro un, c’est ce système
hors-sol qui, il y a un an, nous expliquait qu’un cinquième mandat de
Bouteflika serait la meilleure chose qui puisse arriver au pays.
Le Hirak n’est pas un coup d’État. Comme l’a dit l’excellent
et avisé Saïd Djaafer, il n’a pas vocation à prendre le pouvoir (1). Il est là
pour acculer le pouvoir, l’obliger à faire concessions sur concessions,
notamment sur la question des libertés individuelles et politiques. Cela prendra
le temps qu’il faut, l’Histoire n’étant pas une connexion internet à haut
débit. L’impatience, l’inconfort, voire cette amertume qui colle au cœur de
nombre d’Algériennes et d’Algériens, ne sauraient être un argument pour
déclamer l’élégie du Hirak.
(1) « 47
vendredis contre des décennies de régression : le Hirak a remis l’Algérie en
mouvement », Radio M Post, 14 janvier 2019.
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1 commentaire:
Il y a deux questions que je me pose, en tant que militant novice, ce texte :
1- est-ce que tu vois les libertés individuelles et politiques comme une fin en soi, un but désiré pour lui-même, ou bien comme un moyen qui sert d'autres buts plus importants, comme les droits économiques et sociaux, par exemple... qui ont été éclipsés par la nature intrinsèquement politique du harak ?
2- le fait que la harak n'est pas une lutte pour le pouvoir est vrai. Cela dit, les partis qui se sentent ou son vraiment exclues de la politique cherchent vraiment à créer des conditions nouvelles pour l'exercice du pouvoir, avec de nouvelles règles, par le biais de ce harak. Certains y voient un problème, moi-même pas du tout. Mais bon, ce que je veux dire en substance est qu'il y a une volonté d'accès au pouvoir (bienveillante ou non) qui s'inscrit dans la dynamique du harak. C'est pour dire que je trouve naturel que certains font une extrapolation et voient que la volonté des acteurs du harak est l'accès au pouvoir...
Enfin.
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