Le Quotidien d’Oran, jeudi 21 mai 2020
Akram Belkaïd, Paris
Ces derniers jours, il a été beaucoup question de lobbying
en Algérie. Le contrat avec le cabinet américain Keene Consulting, pour un
montant de 360 000 dollars sur un an, a refait parler de lui à la faveur d’une
tribune laudatrice publiée par David Keene, patron du dit cabinet, dans le Washington Times (1). D’emblée, une
remarque s’impose. Le Washington Times
est l’un des deux quotidiens de la capitale fédérale américaine mais son aura,
son tirage (100 000 exemplaires) et même ses idées, n’ont rien à voir avec le Washington Post (700 000 exemplaires).
Propriété de la secte Moon, ce quotidien est connu pour sa ligne éditoriale
ultra-conservatrice, lui qui fut jadis pour Ronald Reagan l’équivalent de ce
qu’est Fox News pour Donald Trump.
Certes, le « Post » ne doit pas être non plus
magnifié. A celles et ceux qui ont encore en tête son rôle dans le Watergate on
rappellera que c’est de l’histoire ancienne et que ce quotidien a soutenu
l’invasion de l’Irak en 2003 (et seule la présence de Trump à la Maison-Blanche
semble l’empêcher de militer ouvertement pour une guerre avec l’Iran). Pour
autant publier un texte dans le Washington
Post a bien plus de crédit et d’impact médiatique, pour ne pas dire
politque, qu’un papier dans le « Times » (celui de Washington, pas la
vedette de New York). Cela fait plus sérieux, plus professionnel, sauf à
vouloir absolument faire la cour à la droite-extrême et aux milieux
évangélistes américains.
Cette bizarrerie ne date pas d’hier car le Washington Times est depuis longtemps un
canal très accueillant pour l’expression d’opinions favorables à l’Algérie.
Dans les archives du site, on trouve un texte datant de 2002 où notre pays est
présenté comme un « ami » des Etats-Unis avec, en bas de document, la
mention selon laquelle Abdelaziz Bouteflika est le président algérien (2).
Signature ? Précision de la rédaction ? On ne le sait pas mais il est
tout de même étrange de s’adresser ainsi à un lectorat intrinsèquement hostile
à tout ce qui peut venir du monde arabo-berbero-musulman. Soyons francs, une
tribune dans un quotidien comme le Washington
Times n’a guère d’intérêt sur le plan de la perception américaine du monde.
Certains lecteurs se seront dit « Ah bon ? », d’autres, plus
perspicaces ou mieux informés, auront souri au texte de l’ancien président de
la National Riffle Association (NRA), le puissant lobby en faveur des armes à
feu.
Le lobbying, le vrai, c’est autre chose. C’est travailler au
corps les parlementaires de la Chambre des représentants et du Sénat. C’est
monter des dîners, des voyages sur le terrain. C’est convaincre des stars de la
presse « mainstream » de se déplacer sur place pour s’en revenir
vanter ce qu’on aura bien voulu leur montrer sans qu’ils aient accès au reste.
Thomas L. Friedman, jouant au golf à Alger – comme il l’a fait à Dubaï – puis
pondant deux feuillets enthousiastes dans le New York Times sur les réformes en cours : voilà qui aurait du
chien ! Mais il faut pouvoir assurer…
A supposer qu’elle en possède les moyens financiers, l’Algérie
a-t-elle besoin de faire du lobbying ? La réponse par l’affirmative est
évidente. Exportateur de gaz et de pétrole, le pays a besoin de garder un œil
sur l’évolution de la législation européenne sur les questions énergétiques.
Aux Etats-Unis, le lobbying des États – autorisé mais soumis à déclaration -
est une précaution nécessaire même si elle ne garantit rien pour l’avenir. Pour
Alger, il s’agit de rester aussi en cours à Washington, de serrer de près le
Maroc sur la question du Sahara et, au besoin, de se garantir une bonne image
ce qui est toujours un atout quand survient une crise.
Cela exige beaucoup d’efforts mais aussi de bons arguments.
N’importe quel lobbyiste de « K Street » à Washington ou du centre
européen de Bruxelles le confirmera : il est plus facile de
« vendre » l’image d’un pays qui n’a pas grand-chose à se reprocher
ou qui a de bons arguments pour atténuer les critiques. Ensuite, tout est
question d’habillage. Exemple : quand l’Arabie saoudite lève
l’interdiction de conduire des automobiles pour les femmes, ses lobbyistes – et
ils sont nombreux à Washington, applaudissent. Mais qui est vraiment
dupe ? Les dépenses en lobbying consenties par les monarchies du Golfe ne
sont en réalité qu’une facette du recyclage en Occident des pétrodollars et des
gazodollars. La perception de l’opinion publique américaine, elle, ne change
pas.
Aucun Algérien ne critiquera un lobbying mené pour défendre
les intérêts structurels du pays (accès au marché américain, facilité de
circulation pour ses citoyens, transfert de technologie, appel aux
investisseurs). Par contre, il n’y a pas lieu de se réjouir d’un lobbying juste
destiné à redorer l’image d’un régime qui envoie des jeunes en prison au
prétexte qu’ils réclament haut et fort le changement. Autrement dit, un texte
élogieux dans le Washington Times –
écrit par quelqu’un payé pour cela (!) – peut être brandi comme une victoire ou
une reconnaissance. Mais ce n’est rien d’autre qu’une forme de publicité
achetée dont la médiatisation vise surtout la catégorie de citoyens algériens
toujours prompts à être impressionnés quand quelqu’un, qu’il soit ou non
recommandable, dit du bien de leur pays à l’étranger.
(1) « What Algeria can teach about coping with an
economic crisis », 11 mai 2020.
(2) « A Friend in Algeria », 25 novembre 2002.
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