Le Quotidien d’Oran, jeudi 7 mai 2020
Akram Belkaïd, Paris
En ces temps d’épidémie et d’incertitudes vis-à-vis du court
terme, il n’est pas inutile de s’inscrire dans le temps long et de s’interroger
sur les grandes tendances de fond qui caractérisent désormais l’humanité. Cette
chronique entend partager avec vous de larges extraits du best-seller de l’historien
Yuval Noah Harari : Homo deus. Une
brève histoire du futur (*). Dès le propos liminaire de l’ouvrage, un
constat surprenant est posé. L’humanité aurait triomphé de ses trois grands
ennemis ancestraux. « Le programme a
été le même pendant des milliers d’années, rappelle l’auteur. Ce sont les trois mêmes problèmes qui ont
préoccupé les habitants de la Chine du XXe siècle, ceux de l’Inde médiévale et
de l’Égypte ancienne : la famine, les épidémies et la guerre. »
Or, selon l’historien, ces trois problèmes sont en passe
d’être résolus. Pour qui ressent dans sa chair ou son âme les bouleversements
quotidiens du monde ou qui, tout simplement, est attentif à l’actualité
quotidienne, voilà qui peut paraître exagérément optimiste ou même provocateur.
« À l’aube du troisième millénaire,
pourtant, l’humanité se réveille sur un constat stupéfiant. On y réfléchit
rarement, mais, au cours des toutes dernières décennies, nous avons réussi à
maîtriser la famine, les épidémies et la guerre. Bien entendu, ces problèmes
n’ont pas été totalement résolus, mais les forces incompréhensibles et
indomptables de la nature sont devenues des défis qu’il est possible de
relever. »
Lisons l’argumentaire de l’historien avant d’établir un
jugement définitif sur son affirmation. Contexte actuel oblige, passons sur la
partie consacrée aux famines et aux guerres (aujourd’hui, ces dernières « tuent moins que le sucre »)
et examinons ce qu’il écrit à propos des épidémies et des maladies
infectieuses, « deuxième plus grand
ennemi de l’humanité » après la famine. Il cite d’abord le cas de la
peste noire qui se déclara au début des années 1330 et dont le bilan effroyable
est aujourd’hui évalué entre 75 et 200 millions de morts en vingt ans. « Les autorités étaient totalement
démunies face à cette catastrophe, rappelle Harari. Hormis organiser des prières de masse et des processions, elles
n’avaient aucune idée des moyens d’arrêter l’essor de l’épidémie — à plus forte
raison d’y remédier. » Sont ensuite cités les cas les plus
emblématiques d’épidémies comme celles qui dévastèrent l’Amérique du sud après
l’arrivée des Espagnols ou les îles hawaïennes après le débarquement du
capitaine James Cook : en moins d’un siècle la population locale passa
d’un demi-million d’habitants à 70 000 survivants.
Qu’en est-il aujourd’hui ? L’historien rappelle les
progrès fulgurants de la science dans la capacité à comprendre rapidement les phénomènes
épidémiologiques. Le cas du Covid-19 (le livre est paru avant l’apparition de
ce virus) le montre bien avec son identification et son séquençage qui n’ont
pris que quelques semaines. « Malgré
le tribut terrible qu’a prélevé le sida, et les millions d’êtres humains tués
chaque année par des maladies infectieuses installées de longue date comme le
paludisme, les épidémies menacent bien moins la santé des hommes aujourd’hui
qu’au cours des précédents millénaires. » À l’aune de l’épidémie
actuelle, il n’est pas évident d’accepter pareil propos sans le contester. Mais
il faut lire la suite pour bien comprendre l’analyse de l’auteur, notamment
lorsqu’il évoque les conséquences de la dégradation de l’environnement en
matière sanitaire.
« Beaucoup redoutent
que ce ne soit là qu’une victoire temporaire, et qu’une cousine inconnue de la
peste noire ne nous guette au coin de la rue. Nul ne saurait garantir que les
épidémies ne feront pas leur come-back, mais il y a de bonnes raisons de penser
que, dans la course aux armements entre médecins et germes, les premiers
courent plus vite. Les nouvelles maladies infectieuses semblent essentiellement
résulter de mutations aléatoires dans les génomes des agents pathogènes. Ces
mutations permettent à ceux-ci de se transmettre des animaux aux humains, de
déborder le système immunitaire humain ou de résister à des médicaments tels
que les antibiotiques. Des mutations de ce genre se produisent probablement
aujourd’hui et se répandent plus vite qu’autrefois du fait de l’impact humain
sur l’environnement. »
En clair, les virus mutent, passent du monde animal à l’être
humain, parce que nous détruisons l’environnement, mais dans cette guerre entre
médecine et virus, la première est loin d’être démunie. Pour l’auteur, « si nous ne pouvons avoir la certitude
qu’un nouveau virus Ebola ou une souche de grippe inconnue ne va pas balayer la
planète et tuer des millions de gens nous y verrons non pas une catastrophe
naturelle inévitable, mais un échec humain inexcusable, et réclamerons la tête
des responsables. » Et de citer les mises en cause virulentes à
l’encontre des scientifiques et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
pour leur réaction tardive vis-à-vis de l’épidémie d’Ebola. Une
critique qui « suppose que
l’humanité possède les connaissances et les outils nécessaires pour prévenir
les épidémies ; si une épidémie échappe néanmoins à tour contrôle, la
faute en serait ainsi à imputer à l’incompétence des hommes plutôt qu’au
courroux divin. »
Lucide, Harari n’élude pas la question de la menace des
virus « fabriqués » par l’homme. « La
biotechnologie nous permet de vaincre les bactéries et les virus mais elle
transforme les hommes eux-mêmes en une menace sans précédent. » Cette
biotechnologie qui élabore médicaments et vaccins peut donc aussi « permettre aux armées et aux
terroristes de concocter des maladies plus terribles encore et des agents
pathogènes apocalyptiques. Dès lors, il est probable qu’à l’avenir de nouvelles
grandes épidémies ne continueront de mettre en danger l’humanité que si
celle-ci les crée au service d’une idéologie implacable ». A l’heure
où nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les origines du Covid-19 (virus
« fabriqué » ? virus échappé d’un laboratoire chinois ?),
ces dernières lignes font froid dans le dos.
(*) Albin Michel, 2019, 463 pages, 24 euros. Yuval Noah
Harari est aussi l’auteur du best-seller Sapiens :
une brève histoire de l’humanité, 2015.
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