Le Quotidien d’Oran, jeudi 30 avril 2020
Akram Belkaïd, Paris
« Win rayhine
hakda ? » Où allez-vous comme ça ? L’expression est connue.
Elle s’emploie souvent pour tenter de raisonner des gens dans l’erreur ou dans
l’excès. Elle fait appel à ce qui pourrait leur rester de raison – ou
d’intelligence – pour prendre conscience de la gravité de leurs actes et de
leur erreur à persister dans la même voie. Cette question est donc posée aux
autorités du pays, qu’elles soient apparentes, de façade ou profondes. Où
emmenez-vous ainsi l’Algérie ?
Depuis le début de l’année, mais plus encore, depuis la
suspension des manifestations du Hirak à la mi-mars en raison de l’épidémie de
Covid-19, c’est le retour à l’ordre de fer, le même qui dans les années 1970
imposait à toutes les Algériennes et tous les Algériens de la boucler et de
filer droit. Des journaux en ligne sont bloqués et font l’objet d’une campagne
de dénigrement et de calomnies. Des journalistes et des militants pour la
démocratie sont enfermés sous des motifs aussi divers et variés alors qu’en
réalité, c’est juste l’expression de d’opinions pacifiques qui leur vaut
châtiment. De jeunes gamins sont poursuivis et envoyés en prison parce qu’ils
font ce que n’importe quel jeune de l’âge réalise sur internet et ses réseaux sociaux.
L’arbitraire règne, fut-il paré des habits de la justice.
Le placement sous mandat de dépôt Walid Kechida, 25 ans,
parce qu’il a publié des mèmes (dessins, idées, concepts, phrases, montages
satiriques, etc.) et créé un groupe sur Facebook indique le niveau de
régression des libertés. On pourrait même être tenté d’affirmer que la
situation est devenue pire que sous le règne de l’ex-fakhamatouhou Abdelaziz
Bouteflika, c’est dire ! Nous revoici dans un pays où toute forme de
pouvoir ou d’institution est désormais sacralisée. Il faut courber l’échine et
répéter sans cesse « n’3am ya sidi ! ».
Et ne parlons pas du vote, par une assemblée illégitime, d’amendements au code
pénal pour, soi-disant, moraliser la vie publique. Très floues, ces
dispositions ouvrent la voie à toutes les interprétations et donc, à toutes les
dérives.
Ces initiatives liberticides relèvent du même objectif qui
est de faire taire les Algériens et de leur signifier que les cinquante-six
semaines du Hirak n’étaient qu’une parenthèse. Le message délivré est sans
ambiguïté : l’espérance d’un changement démocratique est à remiser dans la
grosse malle des déceptions et défaites accumulées depuis le printemps berbère
de 1980. Autrement dit, le pouvoir est en train de prendre sa revanche. Pendant
un an, la parole libérée des Algériens a exprimé des vérités crues sur la
gabegie qui règne dans le pays, la corruption, le népotisme, l’absence criante de
projet politique et sociétal. Elle a moqué les dirigeants, n’épargnant personne
pas même les généraux. Le nombre, la densité et le pacifisme des manifestants
ont permis cette dynamique du Hirak. Et puis est venu le Covid-19, ce virus
allié de tous les régimes, qui de Paris à Pékin, entendent profiter de la
situation pour rogner encore plus sur les libertés individuelles.
Le Hirak a chanté La
Casa Del Mouradia et a remporté le match aller. Le pouvoir est en train de gagner
la rencontre retour et son « vrai » but est d’empêcher qu’il n’y ait
un match d’appui – l’Oum Doumrane de la démocratie - autrement dit une résurgence des
manifestations quand l’épidémie sera maîtrisée. Car la colère des Algériens n’a
pas disparu et leur exigence de changement, non plus. Mais, pour l’heure, c’est
la répression, cette hogra de tireur
dans le dos, qui profite de l’inversion du rapport de force. Échaudés, des
jeunes gens quittent les réseaux sociaux. Des journalistes et des activistes –
qui ont bien compris ce qui se passe – se font plus discrets. Quant à
« l’opposition » politique, exception faite du Rassemblement pour la
culture et la démocratie (RCD), on l’entend peu. Et pour ne rien arranger, le
fracas des retournements de vestes s’entend de loin. Voici donc le Hirak
accablé de tous les maux pour son intransigeance et le pouvoir soudainement
paré de qualités et de bonnes dispositions sans que l’on sache si elles sont
réelles, potentielles ou théoriques. Rien de nouveau sous le ciel de la
domesticité.
Empêcher à n’importe quel prix un Hirak-2 est la seule
politique tangible d’un pouvoir dont on n’attend plus les fameux « gestes
de bonne volonté » ou la fameuse « main tendue » espérée, et même
annoncée, par quelques naïfs ou intéressés. Nous assistons, non pas à une
restauration – car à l’ordre ancien n’a jamais disparu même avec la démission
de Bouteflika – mais à un verrouillage sécuritaire et à l’abandon des options
d’ouverture. En clair, il n’y aura pas de réformes politiques et il n’y a rien
à attendre de la révision constitutionnelle annoncée.
En attendant, le temps file. En apparence, il joue contre le
Hirak. En réalité, l’Histoire est loin d’être terminée. Ceux qui gèrent
aujourd’hui l’Algérie ont certainement une très haute opinion d’eux-mêmes et de
leurs capacités à contrôler la situation. C’est peut-être vrai pour le court
terme mais, en réalité, ils sont condamnés à perpétuer l’échec du système,
étant incapables de comprendre que le salut du pays passe par une vraie
démocratisation. Les caisses sont presque vides et l’alerte récente sur les
marchés pétroliers vient nous rappeler toutes les chances gaspillées ces vingt
dernières années en matière de diversification économique. Nous sommes en 2020
et même si les exemples de régimes illibéraux se multiplient dans le monde, on
ne dirige plus un pays comme on le faisait dans les années 1970. On ne gouverne
pas contre le peuple sans prendre le risque d’une casse encore plus grande et
funeste que ce que l’Algérie a connu dans un passé récent. Et puisque nous
sommes au début du ramadan, on terminera par cette simple adresse : « Allah yahdikoum ». Que Dieu
vous guide.
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