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Le Quotidien d’Oran, jeudi 24 décembre 2020
Akram Belkaïd, Paris
Ah, Les Inrockuptibles ou, plus familièrement, Les Inrocks… Le magazine branché, exigeant diront certains, snob, railleront les autres, traître rajouteront celles et ceux qui ne lui pardonnent toujours pas son repositionnement, plus ouvert, du milieu des années 1990. Le présent chroniqueur le lit parfois, pas toujours convaincu par ce qu’il y découvre, mais il reste fidèle à un rendez-vous particulier : le supplément qui paraît en décembre en proposant la liste commentée des 100 albums jugés les meilleurs de l’année. Point important à signaler d’emblée, les zinrocks i-zèment guère ce que le commun des oreilles apprécie. Bruce Springsteen ? Très très rarement évoqué (à sa mort, peut-être). Idem pour Muse, jugé groupe complotiste ou Mark Knopfler qui, pourtant, bonifie son penchant littéraire avec l’âge. Et si vous croisez un journaliste de chez eux et que vous souhaitez le zénerver, demandez-lui ce qu’il pense de Coldplay (y compris dans sa première phase). Par contre, deux zigottos dans leur cave qui branchent et débranchent des circuits électroniques (on ne citera pas de noms) en poussant des cris de chats écorchés et en faisant gémir le synthé, ça peut figurer dans la dite liste. Après tout, le rappeur Tyler, The Creator (1er du classement 2019 avec son album Igor) y figure bien, lui dont les jérémiades (il paraît qu’il ne fait plus de rap mais qu’il chante !) en feraient « l’une des figures les plus fascinantes de la pop contemporaine. » Rien que ça…
On leur serra gré tout de même des découvertes que chaque livraison annuelle apporte. De quoi épater une assemblée de post-ados persuadés que l’on en était resté à de la musique en noir et blanc écoutée sur gramophone. Ainsi, avons-nous un jour pu laisser échapper un très désinvolte « ah oui, j’aime bien Flavien Berger ». Stupeur de l’auditoire incapable d’imaginer qu’un ancêtre puisse connaître le gars en question (lequel, avouons-le, nous était totalement inconnu avant qu’on ne lise deux pages sur lui dans le hors-série qui plaça son album Contretemps en tête des albums pour l’année 2018). « Mais quoi…, d’où tu connais Flavien Berger ? » Hé wé, les potos ! Moment de gloire, certes éphémère mais toujours bon à prendre en ces temps de contestation générationnelle.
Par prudence, le présent chroniqueur a toutefois évité de reprendre le propos des Inrocks sur cet artiste adepte, selon le magazine, du « trip cosmogonique » et dont « la pochette du disque suggérait déjà les pliures de l’espace-temps avec cette forme circulaire et mouvante, évoquant autant une spirale de la remémoration qu’une constellation zodiacale. » Car ainsi est conçue la marque de fabrique du magazine. Assemble mots, qualificatifs et images et balance le tout coco ! Ça fera du bon feuillet, du cosmotripique ! Ainsi de la compositrice et interprète, Weyes Blood (Natalie Laura Mering, de son vrai nom), auteure du très neurasthénique (ça, c’est moi qui le dis) Titanic Rising (2ième du classement 2019) aurait « la capacité d’annuler tous les repères spatiotemporels convoquant les madrigaux médiévaux (qu’elle affectionne), les chants lyriques, les arrangements de cordes classiques, le songwriting folk, la rondeur pop, les aigus bouleversants et les graves insolents ». Tout ça dans le même disque ! Tant qu’on y est, on pourrait ajouter les mineurs évanescents et les majeurs bleuissant… Et si la référence à Tyler, The Creator vous a intrigué, sachez que son « lugubre mais jouissif » morceau New Magic Wand « n’est pas sans rappeler les délires meurtriers de ses premiers morceaux d’ado enragé ». Nous voilà bien avancés !
La livraison 2019, nous a permis aussi de découvrir l’album Magdalene de FKA Twigs. Un grand moment puisque de sa collaboration avec le producteur et artiste électronique américano-chilien Nicolas Jaar serait née « une mythologie dénuée d’ironie postmoderniste, que l’on qualifiera donc de ‘‘néomoderne’’. D’un romantisme symphonique et chuchotant, déployant un monde de paradoxes qui transcrivent les soubresauts de l’âme, Magdalene, sublime les envolées suraiguës de FKA, roitelet égaré dans une Voie lactée, alors que crépitent ici et là les chemins de traverse électroniques et de spirituels gong. » Qu’ajouter de plus ? Allez, faisons-nous un petit plizir supplémentaire : « FKA twigs fait partie de cette catégorie d’artistes transversaux et transcendantaux spirituels et sensuels, dont la faiblesse et la force s’expriment tour à tour par des instruments organiques et des machines électroniques, avec la soif de réinvention collée à la voix. » De quoi répondre aux critères incontournables de « l’ôde à la transversalité » et des « noces entre genres » désormais chères aux Inrocks.
Et pour 2020 (année que personne ne regrettera) ? On relèvera, grande satisfaction réconciliatrice, que le premier du classement ne vient pas de nulle part. Il s’agit de The Strokes avec leur album The New Abnormal, position méritée avec notamment un morceau « croisant un rock à la fois rustaud et hypnotique au son eighties ». Après sept ans d’attente, les fans de ce groupe seront ravis par cette livraison mais retenons néanmoins que ses membres « ont besoin de s’éparpiller, pour mieux se retrouver, fût-ce de manière de plus en plus espacée. » Bon, on signalera tout de même au lecteur que Benjamin Biolay figure au treizième rang du cru 2020 (pour une année de m…, c’est donc vraiment une année de m…) !
Mais cessons-là toute mizidonce chère au futur mufti de la République et remercions les Inrocks d’avoir mis en avant, en 2019 (troisième position), le meilleur groupe punk-rock du moment : Fat White Family, avec pour membres les deux frères Saudi, de père algérien (one, two, three !). A la sortie de leur album Serfs up ! (appel à la révolte des serfs), voici ce que déclarait Lias Kaci Saudi : « Aujourd’hui n’importe quel peuple opprimé se soulève et vote pour quelqu’un qui finit par l’opprimer davantage. Alors, on refuse de s’aligner avec le peuple. On emmerde le peuple. Notre boulot n’est pas d’avoir raison ou non. Notre boulot est d’attiser l’imagination des gens. Au final, on ne cherche pas à sauver l’humanité. On veut juste sauver notre peau ». Un manifeste post-punk rustaud à méditer en explorant les marges. Cosmogoniques, bien sûr.
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