Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mardi 29 décembre 2020

La chronique économique : Apple et ses sous-traitants

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 23 décembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

L’événement s’est déroulé le 12 décembre dernier en Inde, dans la grande banlieue de Bangalore, le cœur de l’industrie informatique du pays. Plusieurs centaines d’ouvriers d’une filiale de l’assembleur taiwanais Wistron, excédés de ne pas avoir perçu l’intégralité de leur salaire en octobre et en novembre (179 euros au lieu de 235 euros promis) ont donné libre cours à leur colère en saccageant l’usine, détruisant les équipements et en mettant le feu aux voitures du personnel de direction. La police est intervenue et près de cent-cinquante personnes se sont retrouvées derrière les barreaux.

 

L’histoire prend une dimension particulière quand on sait que le principal client de Wistron est la firme Apple qui le charge d’assembler pour elle les fameux téléphones intelligents iphone. L’entreprise américaine a annoncé qu’elle suspendait sa collaboration avec son sous-traitant lequel a assuré tout mettre en place pour revenir à la normale et assurer à ses employés les meilleures conditions. Près de 10 500 personnes sont concernées par ce qui est un épisode emblématique des errements de la mondialisation et de l’internationalisation du commerce.

 

Essor des délocalisations

 

Certes, cela n’est pas nouveau. Depuis déjà cinq décennies, les transnationales ne cessent de délocaliser leur production dans les pays où la main-d’œuvre est moins chère, plus « flexible » (pas ou peu de syndicats et encore moins de durée minimale de travail hebdomadaire) et où les États rivalisent en cadeaux fiscaux pour attirer les investisseurs. Apple. Mais la mondialisation vaut aussi pour les idées et les principes. Les ouvriers qui travaillent pour des sous-sous-traitants d’Apple ont une meilleure connaissance du fonctionnement de l’économie. Ils savent que ce qu’ils fabriquent quotidiennement aura un prix de vente bien plus important que leur salaire mensuel. Autrement dit, ces inégalités dont profitent les grandes firmes sont désormais tangibles quel que soit l’endroit où l’on se trouve. Cela vaut pour les employés de Wistron comme pour ceux du chinois Foxconn, lui aussi régulièrement pointé du doigt par les organisations de défense des droits humains.

 

Dès lors, la réaction des ouvriers indiens n’est pas surprenante. Elle indique qu’une ligne rouge a été franchie et que le capitalisme international n’a pas encore obtenu le droit de transformer les travailleurs en esclaves corvéables à merci.

 

Jeu de dupes

 

L’autre point important est l’illustration des relations ambigües entre donneurs d’ordre et sous-traitants. A chaque fois qu’un drame survient qui met en évidence un manquement des seconds, les premiers jurent qu’ils ignoraient tout de cela. C’est alors l’heure des promesses, des « nous allons adopter de nouvelles procédures pour permettre bla-bla-bla ». Un jeu convenu destiné à laisser passer l’orage et à éviter qu’il ne prenne l’envie à certains consommateurs de boycotter le produit. Mais dans la réalité, le fondement même de la sous-traitance est basé sur un principe implicite de transfert de mauvaises pratiques. Le donneur d’ordre veut de la qualité et de la rentabilité. Aux sous-traitants de s’adapter. Cela vaut pour l’industrie informatique comme pour les mines ou d’autres activités. Et rien ne changera sans une action convergente des consommateurs et des gouvernements. 

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