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Le Quotidien d’Oran, mercredi 30 décembre 2020
Akram Belkaïd, Paris
Connaissez-vous l’enseigne Lidl ? En Europe, y compris en France, il s’agit d’une chaîne de magasins à bas prix. Du « hard discount » pour reprendre l’expression consacrée. Petits prix, marques de magasin, promotions continues, Lidl est le magasin des foyers modestes, encore moins cher que ne le furent Ed l’épicier ou Leader Price. Mais cette enseigne fait aujourd’hui le « buzz » et semble en passe de modifier son image sans toutefois changer ses prix.
Baskets, buzz et chaussettes
Dimanche, la chaîne a mis en vente plusieurs produits dont des baskets, des chaussettes, des claquettes et des t-shirts. Une opération attendue depuis deux mois qui a provoqué une véritable cohue dans les 1 500 magasins concernés. Sur les réseaux sociaux, plusieurs internautes ont publié des images éloquentes de chariots débordants de ces produits ou encore d’échauffourées entre clients. Inutile de préciser que de nombreux commentaires négatifs ont accompagné ces posts. Mais ce n’est pas cela qui constitue l’essentiel de cette affaire.
En effet, nombre des produits achetés ont été immédiatement proposés à la vente sur des sites internet de seconde main. Et le plus intriguant dans l’affaire, c’est que les prix affichés sont de très loin supérieurs à ceux de l’achat. Exemple : un ensemble baskets (ou sneakers) et chaussettes, achetés autour de 20 euros était proposé dimanche soir à… 4 900 euros. La plupart du temps, l’ensemble était proposé pour quelques centaines d’euros. Comment expliquer cette folie ? Ainsi, des produits en théorie invendables – qui irait porter sur lui un produit de marque discount ? – sont devenus aussi recherchés que des marques de luxe. Tout cela ne doit rien au hasard et résulte d’une véritable opération marketing qui en dit long sur l’époque.
Le rôle des « influenceurs »
D’abord, les quantités mises en vente étaient limitées. Pas plus de 50 baskets par magasins. On le sait, la rareté crée le désir et alimente la spéculation. En juin 2019, Lidl avait déjà testé cette stratégie en mettant en vente de petits lots de robots ménagers qui se sont arrachés comme des petits pains. Mais, il n’y a pas que l’effet rareté qui joue. Dans le cas des baskets, c’est aussi une opération de communication qui consiste d’abord à faire l’éloge de ces chaussures en les présentant comme le « must have » pour les adolescents, ce que l’on doit avoir pour exister aux yeux des autres. Porter ces baskets bleues et jaunes, couleurs de l’enseigne, c’est ainsi être, selon Lidl, le « coolest kid in town », le plus cool des gamins de la ville.
Et à ce stade, intervient un type d’acteur économique de plus en plus agissant. Il s’agit des fameux « influenceurs », des hommes et des femmes, souvent des adolescents, qui donnent le « la » en matière de consommation car leurs conseils et recommandations sont suivis par des millions d’internautes. Par exemple, l’ex-footballeur Djibril Cissé, très suivi par les réseaux et la presse people, a beaucoup fait pour donner de la visibilité aux baskets de Lidl.
Lidl a aussi organisé des défilés de mode avec des mannequins connus portant baskets et chaussettes de la marque. Résultat, ces deux produits deviennent l’objet d’un désir ardent des consommateurs. Avoir à tout prix ce qui est rare et ce qui est porté par des « stars », telle est donc la ligne de conduite qui explique cet emballement. Lidl change son image. Ce n’est plus une marque pour les pauvres, c’est une marque « cool ». Cela ne modifiera rien au statut de la majorité de ses clients qui peinent à boucler leurs fins de mois. Mais peut-être que le racisme social qu’ils subissent– il n’est pas rare que les clients de Lidl soient moqués par les réseaux sociaux – sera désormais moins virulent. Ou, peut-être, ne comprendront-ils pas que le capitalisme le plus sauvage s’attaque aussi aux magasins qu’ils sont obligés de fréquenter…
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