Le Quotidien d’Oran, jeudi 17 décembre 2020
Akram Belkaïd, Paris
Le constat est évident. La normalisation des relations entre Israël et le Maroc, dernier pays arabe en date à avoir franchi le pas, est un coup de poignard dans le dos des Palestiniens. Depuis le début des années 2000, la position officielle des membres de la Ligue arabe était pourtant claire : pas de normalisation sans restitution des territoires occupés. Autrement dit la paix et la sécurité contre la possibilité d’un État palestinien viable, possédant une continuité territoriale et avec Jérusalem-est pour capitale. Rien de plus et rien de moins que ce qu’exigent nombre de résolutions des Nations Unies.
La corbeille de mariée offerte au Maroc semble bien garnie : reconnaissance par les États-Unis de sa souveraineté sur le Sahara Occidental – reconnaissance qui va à l’encontre des résolutions des Nations-Unies -, promesses d’investissements (qui en profitera ?) et livraison de matériel militaire (pour en faire quoi ?). Mais Rabat, comme les Émirats arabes unis, Bahreïn ou le Soudan (dont on n’est plus très sûr s’il veut vraiment normaliser ses relations avec Tel Aviv), n’a obtenu aucun geste, aucune compensation pour les Palestiniens. Cela rappelle un peu les accords de 1978-1979 entre l’Égypte et Israël, quand feu Anouar Sadate n’avait, en réalité, qu’un seul objectif : récupérer le Sinaï.
En réalité, ces normalisations, ces empressements à officialiser des relations qui, de toutes les façons existaient déjà, ne changent rien à la situation qui prévaut à Gaza et en Cisjordanie. Blocus total pour la première malgré une situation humanitaire catastrophique, occupation de fait pour la seconde avec grignotage constant de territoire palestinien. En deux décennies et demi, le nombre de colons installés dans ce qui est censé être l’État palestinien atteint le record de 400 000 personnes, 600 000 si l’on inclut Jéruslam-est. Pour jeter un petit os à ses nouveaux amis, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a indiqué que le processus d’annexion de ces colonies est « gelé ». Pas question de démantèlement… Et, on en fait le pari, ce « gel » ne durera que quelques semaines. D'ailleurs, on apprend déjà qu’ici et là, de nouvelles constructions sont prévues. Rappelons, encore une fois, que les Nations Unis considèrent ces colonies comme illégales au regard du droit international.
Ces normalisations font prendre conscience que le « processus de paix » né des accords d’Oslo est une fable. C’est une arnaque dont le seul résultat tangible est le mitage de la Cisjordanie. Si l’État palestinien devait exister aujourd’hui, en tenant compte des colonies, des routes interdites aux Palestiniens et des assises territoriales des « implantations » dont personne ne connaît l’étendue sur le plan géographique et administratif (les Israéliens considèrent qu’une colonie va bien au-delà de ses bordures extérieures), il ressemblerait à un archipel indonésien. Des centaines de petits bouts de terre qu’il serait matériellement impossible de connecter les uns aux autres sans l’aval israélien.
L’autonomie palestinienne dont on parle tant pour faire croire que nous avons affaire à un conflit entre parties égales est une chimère. La seule capacité de décision de Mahmoud Abbas, l’indéboulonnable président de l’Autorité palestinienne (à quand des élections ?) est de museler son propre peuple au nom de la coopération sécuritaire avec Israël. Laquelle coopération sécuritaire n’a certainement pas été suspendue malgré les évolutions récentes. Les pantouflards de l’Autorité y auraient trop à perdre. Demain, dans le meilleur des cas, ce semblant de gouvernement aura peut-être le droit de régner sur quelques bantoustans – les grandes villes palestiniennes – mais sans souveraineté et certainement sans aucun droit de regard sur les colons israéliens. Naplouse ou, plus encore, Hébron, où quelques milliers de colons imposent leur loi à la population palestinienne, sont de véritables cas d’école en la matière.
L’absence de relations diplomatiques entre les pays arabes et Israël visait à se garder un élément de négociation. Dans un monde globalisé, Tel Aviv sait que son économie aurait beaucoup à gagner dans un ensemble régional qui lui serait enfin accessible. De quoi obtenir des concessions pour le camp arabe. Mais au-delà de l’aspect économique, il est un fait paradoxal dont on parle peu : c’est la fascination qu’exerce le monde arabe sur une partie de la population israélienne. Pour une bonne partie d’entre-elle, c’est le mystère des origines, la part de soi qui a été perdue. C’est aussi ce qui manque pour asseoir définitivement la reconnaissance internationale de son pays. Colloques, réunions internationales, compétitions sportives, camp de scouts : n’importe quelle personne venant du monde arabe et ayant croisé des Israéliens lors de ces événements peut en témoigner : la recherche du contact, la sollicitation, vient presque toujours d’eux. En s’engageant, sans pudeur aucune, dans la cavalcade de la normalisation, référence au fameux poème de Nizzar Qabbani (« El-Mouharwiloune* »), Rabat comme ses pairs se prive d’un atout qui aurait été utile en cas de négociations sérieuses avec Israël. Encore faudrait-il qu’il y en ait ou qu’il existe une volonté arabe de continuer à peser sur ce dossier (**).
Quid alors du cas algérien ? Si la majorité de la population continue de soutenir les Palestiniens, certains, de guerre lasse ou par calcul, proclament leur désintérêt. Il faut dire que cela ne concerne pas que les citoyens anonymes. A la fin des années 2000, déjà, une délégation de représentants de partis membres de l’Organisation de libération palestinienne (OLP) s’était vue opposer une fin de non-recevoir par les autorités algériennes sollicitées pour mener une conciliation entre le Fatah et le Hamas. Cela fait deux décennies, trois en comptant les années 1990, que l’Algérie n’a pas fait grand-chose pour les Palestiniens. On dira que nous avons d’autres chats à fouetter. On dira aussi, en reprenant, sans peut-être s’en rendre compte, un argument de la propagande sioniste, qu’il y a d’autres drames dans le monde qui méritent eux-aussi un engagement.
Sauf que la Palestine est une injustice infinie. Une question de respect du droit international et une affaire de décolonisation. Cela exige de la solidarité mais aussi une vigilance extrême pour ne pas en faire un combat religieux – car tel n’est pas le cas – ou pour ne pas verser dans l’antisémitisme. Savoir ce qui se passe vraiment en Palestine est la condition qui accompagne le refus de la normalisation. Lire, comprendre, s’informer est une obligation car les incantations de soutien ou l’agitation de drapeaux ne suffisent pas. C’est savoir, par exemple, que, contrairement aux bêtises relayées par certains internautes algériens ou marocains, les Palestiniens n’ont pas du tout renoncé. Ils sont dans le temps long. Avec le çoumoud, ils résistent, à leur manière. Ayant deviné depuis longtemps qu’ils n’ont rien à attendre des États arabes.
(*) « (…) Sont tombés, les derniers murs de la pudeur /Et nous étions heureux… et nous avons dansé / Et nous-nous sommes félicités de signer la paix des lâches / Plus rien ne nous fait peur / Plus rien ne nous fait honte /En nous les veines de la grandeur se sont asséchées ».
(**) Lire aussi l’article prémonitoire de M. Saadoune, « Palestine trahie : après les Emirats, Bahreïn, Oman et…. le Maroc ? », 24hdz.com, 18 août 2020. Ainsi que notre article « Idylle entre les pays du Golfe et Israël », Le Monde diplomatique, décembre 2020.
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