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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mercredi 31 mars 2021

La chronique du blédard : France, comme une impression de désordre…

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 11 mars 2021

Akram Belkaïd, Paris

 

 

Un an déjà et toujours cette sensation indépassable de bazar et d’improvisation permanente. Début mars 2020, Emmanuel Macron et ses ministres nous expliquaient qu’il fallait continuer à sortir, à aller au théâtre, « à vivre » avant de virer de bord et d’ordonner un confinement de plusieurs semaines qui restera à jamais dans les mémoires. Début mars 2020, une pauvre inconséquente, exemple parfait d’incompétence et de morgue combinées, nous expliquait aussi que les masques chirurgicaux étaient inutiles, qu’elle-même ne savait pas comment les mettre et qu’il n’était pas question pour l’être lambda d’en acheter dans les pharmacies.

 

Un an et quatre-vingt-dix mille morts (uniquement pour la France) plus tard, beaucoup de choses ont certes changé. Tout le monde, ou presque, sait que les masques sont utiles : la preuve, le nombre de grippes et autres maladies saisonnières a énormément baissé. Les mesures barrière, aussi contraignantes soient-elles, contribuent à lutter contre les contaminations, n’en déplaise aux dénégateurs et autres complotistes.

 

 Mais le bricolage continue. La France, comme tant d’autres pays développés, n’était pas prête à absorber le choc de cette épidémie. Et le problème, c’est qu’elle peine à rattraper son retard. La question des vaccins illustre cette situation malheureuse. Dans les médias, ministres et autres manieurs frénétiques de la brosse à reluire présidentielle répètent à l’envi que la vaccination règlera tous les problèmes et que l’on pourra revenir à la vie d’avant grâce aux deux injections tant attendues. Oui, mais… Encore faut-il pouvoir se faire vacciner. A moins de s’appeler Nicolas Sarkozy ou de bénéficier du « ktef » (épaule) ou de la « wasta » (piston) à la française, il est nécessaire d’être très patient face à son ordinateur. Cette machine est, en effet, le seul moyen réellement disponible pour obtenir un rendez-vous. Las, le message sur écran est toujours le même : « En raison d’une demande importante et d’un nombre de doses limité, il est actuellement très difficile de prendre rendez-vous pour se faire vacciner. » D’un côté le blabla officiel, de l’autre la réalité d’une pénurie qui dure.

 

L’affaire se corse aussi car, dans la perception publique, il y a les « bons vaccins », autrement dit le Pfizer-BioNTech ou le Moderna et celui dont il faut se méfier, c’est-à-dire l’AstraZeneca. Une défiance à mettre sur le compte d’une communication gouvernementale assez malheureuse qui a laissé entendre que ce vaccin présentait d’importantes contre-indications. Cela explique, par exemple, pourquoi le personnel de santé – qui est censé pouvoir se vacciner – rechigne à le faire car c’est l’AstraZeneca qui lui est presque toujours proposé.

 

On n’entrera pas ici dans le détail des critères d’éligibilité : en gros, si on a moins de cinquante ans, voire de soixante-cinq ans, qu’on est en bonne santé, qu’on ne travaille pas dans un hôpital ou dans un établissement pour personnes âgées, il faut s’armer de patience. A ce sujet, les rumeurs vont bon train. Les faveurs des médecins seraient sollicitées pour attester de l’existence de comorbidités qui, même si elles sont imaginaires, ouvrent la voie au vaccin. Mais, comme nous y incite le Danube de la pensée de Drancy, ne soyons pas mizidants. Le problème, c’est que beaucoup de gens éligibles sont dans une attente partie pour durer. Car que leur disent les messages sur les sites de rendez-vous ? : « Vous êtes plusieurs millions à être éligibles à la vaccination contre la COVID-19. Malheureusement, le nombre de doses de vaccin disponibles est encore très insuffisant pour faire face à cette demande. Par conséquent, les créneaux dans les centres de vaccination se font rares. » Pas de vaccins car pas d’usines car plus de politique industrielle depuis très longtemps. Petite pensée émue pour le gouvernement dit « socialiste » de Lionel Jospin (1997-2002) dont l’un des ministres nous expliquait que le temps des usines était terminé… 

 

Obtenir les deux rendez-vous pour se faire vacciner ne suffit pas. Encore faut-il qu’ils ne se soient pas annulés, ce qui est souvent le cas. Les gens vivent ainsi avec une vraie inquiétude, pour ne pas dire une angoisse. Autre message des sites de rendez-vous : « Les créneaux mis en ligne par les centres de vaccination dépendent du nombre de doses dont ils disposent. Néanmoins, il peut arriver qu’ils reçoivent moins de doses que prévu et soient alors obligés d’ajuster le nombre de rendez-vous. Les centres de vaccination mettent cependant tout en œuvre pour limiter ces incidents et assurer un maximum de rendez-vous de vaccination. Si malheureusement vous êtes dans cette situation, vous devez reprendre vos deux rendez-vous de vaccination. »

 

On appréciera l’usage du terme « ajuster » pour ne pas dire « annuler » ou « réduire ». Le pire, c’est quand la première injection a bien eu lieu et que la seconde, qui doit survenir quatre semaines plus tard, est annulée. Ces cas sont plus rares mais ils obligent à reprendre le processus depuis le début. On peut penser que tout cela finira par se tasser et que la campagne de vaccination atteindra ses objectifs d’ici quelques mois mais la vraie question est de savoir si les leçons de cette pénurie seront tirées. C’est loin d’être certain.

 

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