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Le Quotidien d’Oran, 18 mars 2021
Akram Belkaïd, Paris
Quelqu’un dans la salle peut-il nous dire quel est le modèle économique de l’Algérie ? Si je pose cette question, c’est à la suite d’un échange, très cordial, sur les réseaux sociaux à propos de l’égalitarisme et du socialisme. Il est évident que deux ou trois décennies de socialisme à l’algérienne ont dégoûté à jamais nombre de nos compatriotes du socialisme, vu désormais comme synonyme d’inefficacité économique, d’empêchement en matière d’initiatives individuelles et, in fine, de retard en matière de développement et de développement de la corruption.
Durant les révoltes arabes de 2011, il était intéressant de noter que nombre de figures emblématiques de la contestation en Égypte étaient totalement rangées du côté du libéralisme. Pour ces activistes, dont le très célèbre Wael Ghonim, la démocratie et l’État de droit vont de pair avec l’ouverture du marché, la libre-entreprise, la libéralisation des échanges, etc. Dans le cas algérien, à l’heure où le Hirak témoigne d’une volonté de changement politique et institutionnel, il est malaisé de faire entendre une voix allant à l’encontre de ce consensus libéral. C’est un peu comme si dans la tête de chacun, la meilleure issue pour le pays serait l’avènement d’une économie de marché débarrassée des pesanteurs administratives et où plus rien ne s’opposerait à l’envie de faire du profit. Dans ces conditions, il peut paraître ringard de défendre les principes socialistes en rappelant que le libéralisme est pourtant, à ce jour, une grande machine à créer et à aggraver les inégalités et que la prospérité de certains « happy few » ne peut faire oublier la grande précarité d’une grande majorité.
Quelle que soit l’évolution politique de l’Algérie dans les prochaines années, des choix clairs devront être faits. La rente pétrolière se tarit peu à peu et il faudra bien trouver des solutions pour nourrir cinquante millions d’habitants voire plus. Dans tous les cas, la vie en autarcie sera impossible car on imagine un tel choix être accepté par une population jeune qui a envie de vivre dans son siècle. Il faudra alors définir de manière claire la stratégie économique à long terme. Ouverture totale ? Infitah ? Capitalisme assumé avec un retrait de l’État et un inévitable démantèlement des amortisseurs sociaux ? Ou alors réinvention du socialisme avec la volonté affirmée de défendre les intérêts de tous ?
Bien entendu, des leçons doivent être tirées de l’expérience collectiviste des années 1960 et 1970. L’idée que l’Etat doive être le premier opérateur économique a certainement vécu. Il ne sert à rien d’entraver les ambitions individuelles en empêchant le développement du secteur privé. Il est des gens qui aiment entreprendre, créer des entreprises, les développer, cela relève de la nature humaine et ce fut peut-être la grande erreur de Houari Boumediene de croire que seule une action coercitive pouvait endiguer cela. Le résultat du verrouillage administratif de l’économie fut que certains Algériens développèrent des trésors d’inventivité pour tirer profit de cette situation, l’exemple des pénuries et du marché noir les accompagnant parlant de lui-même.
Pour ne plus avoir à dire « socialisme » et pour ne pas trop utiliser le terme « capitalisme » - lequel, de toutes les façons, n’existe pas en Algérie (on parlerait plutôt de « capitalisme de copains et de coquins ») – nombre de nos dirigeants usent de l’expression « économie sociale de marché ». En gros, ce serait « vive le marché » mais en s’arrangeant pour que la prospérité concerne la majorité avec des règles imposées par l’État qui veille au grain. Le concept est séduisant mais on se lasse vite de l’eau tiède. Née en Allemagne, cette vision des choses résiste de moins en moins bien à l’ubérisation du monde et à toutes les contraintes imposées par la mondialisation (délocalisations, primauté du financier sur l’économique, « amaigrissement » de l’État, etc.). De même, la récente affaire de l’éviction du PDG de Danone démontre bien que le concept de « capitalisme responsable » a encore beaucoup de chemin à faire pour s’imposer dans les esprits et les pratiques.
Le « capitalisme à la chinoise », quant à lui, fait l’objet de nombreuses études et réflexions. La situation est pour le moins atypique : un parti au pouvoir qui continue de se réclamer du communisme mais qui laisse se développer une puissante économie de marché avec l’émergence progressive de géants privés qui pèsent autant que les mastodontes d’État. S’il faut refuser la gestion policière et liberticide de la société par le parti communiste chinois (PCC), la manière dont Pékin gère l’économie tout en veillant à garantir des mécanismes de distribution mérite d’être analysée en Algérie. Il y a certainement des enseignements à en tirer.
Cela vaut aussi pour tout ce qui concerne les réflexions autour des Biens communs et de la non-marchandisation de certains secteurs vitaux ou stratégiques. Dans l’une de ses définitions premières, avant même que ne s’impose la vision marxiste, le socialisme tire sa substance d’une ambition d’améliorer le sort de la majorité de la population. A moins de croire aux chimères de la théorie du ruissellement (« si les riches sont plus riches, cela profite au reste de la société »), c’est ce point de départ qu’il faut privilégier dans la réflexion. L’approvisionnement du pays pendant le ramadan et le prix du kilogramme de pomme de terre sont certainement des éléments importants mais l’énonciation de ce que serait ou devrait-être le modèle économique algérien est plus urgente et mérite un débat national. Et il serait regrettable de confier, en toute opacité, cette réflexion à tel ou tel cabinet international, chantre de la mondialisation heureuse.
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