Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

jeudi 4 mars 2021

La chronique du blédard : L’urgence est là…

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 25 février 2021

Akram Belkaïd, Paris

 

Tic-tac, tic-tac, le temps passe, les défis restent et les questions fondamentales attendent leurs réponses… Mais, bonne nouvelle, le Hirak a repris le chemin de la rue. Certains doutaient de sa capacité à reprendre le fil des revendications. D’autres se sont, volontairement ou non, égarés dans les méandres du discours relativisant son impact, sa représentativité, sa nature sociale (vous savez, la fameuse ruralité…). La réponse s’est affichée le lundi 22 février. Mais personne ne conteste qu’il reste tant de choses en suspens.

 

Je ne vais pas vous infliger une énième laudation du Hirak. Ce qui m’importe c’est d’écrire noir sur blanc à quel point la situation dans son intégralité me semble préoccupante. L’Algérie a un besoin urgent de réformes, de décisions stratégiques et de chantiers à mettre en œuvre. Le grand problème c’est qu’il faut un minimum de cohésion nationale pour que ces défis soient relevés. Certains sont conjoncturels, d’autres structurels. Il est temps de les prendre à bras le corps. Et pour cela, il faut un minimum de confiance entre le peuple et ceux qui le dirigent. Ce qui n’est certainement pas le cas.

 

Pour les économistes et les banquiers que l’on croise à Paris ou Londres, le scénario est déjà écrit. Ils sont persuadés que l’Algérie n’aura pas d’autres recours que de s’endetter de nouveau. L’équation est simple : le pays dépense plus que ce qu’il ne gagne. Conclusion, il doit piocher dans son épargne qui fond comme neige au soleil. Dans ce genre de situation, il n’y a pas mille et une solutions. Soit on baisse ses dépenses avec un plan drastique d’économies soit en s’endette en espérant que le temps des vaches grasses va vite revenir. On peut aussi combiner les deux. Baisse des dépenses et endettement. On connait les conséquences sociales d’une telle recette.

 

On notera que je n’ai pas évoqué une autre possibilité : la hausse des recettes. Dans le cas de l’Algérie, c’est mission impossible ou presque. Il faudrait pour cela que le prix du baril augmente ou alors que l’on exporte plus de volumes de pétrole ou de gaz. Or, une petite musique commence à se faire entendre et il serait temps que les dirigeants algériens disent enfin la vérité au peuple : beaucoup d’experts considèrent que l’Algérie n’est plus un pays pétrolier. C’est toujours, et cela le restera encore un bon bout de temps, un pays gazier, mais le pétrole, khlass, ou presque. Les réservoirs se vident. Merci au pouvoir bouteflikien d’avoir fatigué, pour ne pas dire abimé, les grands gisements en pompant avec frénésie durant les deux dernières décennies. Et pour quels résultats…

 

On ne peut pas augmenter nos recettes car la diversification de l’économie est un échec. Quarante ans de slogans creux, de lois censées encourager l’initiative privée, tout cela s’est soldé par une stagnation des exportations hors-hydrocarbures. Bref, tout cela est connu mais l’urgence est là. La rente ne suffit plus. Et, au risque de me répéter, j’attends toujours que l’on m’explique pourquoi l’Algérie n’a pas été capable, en vingt ans, de créer un fonds souverain qui nous serait bien utile aujourd’hui…

 

Au risque de paraître totalement décalé, il n’est pas trop tard pour cela. On peut toujours construire sa cheminée en attendant d’avoir les buches. Cela ferait partie d’un plan de diversification qui ne porterait ses fruits qu’à moyen terme mais ce serait un bon début. Il y a quelques années, j’ai posé la question à l’un de nos responsables, désormais hors du coup : pourquoi l’Algérie n’a pas de fonds d’investissement. Sa réponse fut sans aucune équivoque : « qui va le contrôler ? ». La question, pour lui, n’était pas de savoir comment le mettre en place, quelle politique d’investissement lui faire suivre et quels actifs lui demander d’éviter. Non, c’était, comment le contrôler ? Comment l’empêcher de gagner en autonomie comme ce fut le cas, de manière éphémère, avec la Banque centrale.

 

Le Hirak est une manière, pour les Algériens, de dire qu’il est temps qu’ils soient « vraiment » associés à la prise de décisions les concernant. Bien sûr, un gouvernement est fait pour gouverner, un parlement, pour voter les lois, mais rien ne peut fonctionner sans légitimité. Sans adhésion réelle à un projet explicite de relèvement du pays. Exemple : dire aux Algériens, dans les temps actuels, que nous avons le meilleur système de santé en Afrique n’est pas sérieux. Mieux vaut reconnaître la gravité de la situation et réfléchir avec le maximum de gens compétents à améliorer cette situation.

 

Autre enjeu, ne pas perdre le contact avec la marche du monde et les grands enjeux internationaux. Je me trompe peut-être mais j’ai rarement entendu un dirigeant algérien aborder la question du réchauffement climatique ou de la situation écologique. On me dira, il y a d’autres problèmes plus urgents or, se préoccuper de ce sujet, ce n’est pas un caprice de pays riches et de sociétés développées. La dégradation des eaux et des sols, la détérioration de la qualité de l’air, l’usage intensif de pesticides – dont l’une des conséquences est l’explosion des cas de cancer en Algérie – tout cela mérite aussi réflexion, débats et prises de décisions. 

 

Le Hirak est une formidable occasion de libérer les actes mais aussi la parole. Il ne s’agit plus de cacher la réalité en prétendant être capable de tout gérer. Les solutions aux problèmes existent, du moins en partie, mais à la seule condition que cesse l’immobilisme et que les Algériens soient dans l’adhésion avec ceux qui les dirigent.

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